Est-ce que le contexte politique actuel de défiance de la population à l’égard du gouvernement permet aux médecins de faire-valoir eux aussi – après les avocats, les pharmaciens et les huissiers – leurs revendications ?
Frédéric Pierru. Il est clair que la grande faiblesse politique de l’exécutif, pourtant contraint de mener des politiques a priori impopulaires, incite de nombreux groupes professionnels à se mobiliser. L’accumulation des reculs face à des revendications catégorielles donne un signal qui facilite l’action collective pour bloquer un certain nombre de projets de réforme. Certains groupes, comme les notaires ou les huissiers, qui défendent traditionnellement leurs intérêts dans les coulisses de l’État en ayant accès aux centres de décisions étatiques, sont désormais obligés de passer par des actions publiques, à destination de l’opinion publique, pour bloquer les tentatives de libéralisation de leur secteur.
Les professionnels de santé sont plus coutumiers de ce type d’action collective : depuis la fin des années 1970, les syndicats de médecins libéraux, par exemple, en viennent régulièrement à manifester ou à lancer des campagnes d’opinion pour faire barrage aux politiques de maîtrise dites « comptables » des dépenses de santé. À cet égard, il ne faut pas remonter loin dans le temps pour trouver une mobilisation couronnée de succès : en 2012, les syndicats de médecins libéraux ont réussi à vider de leur contenu les velléités ministérielles d’encadrement des dépassements d’honoraires et de la liberté d’installation. Les prochaines élections professionnelles aux URPS renforcent l’inclination des syndicats de médecins à montrer leur force face à un pouvoir affaibli. Bref, en sciences politiques, on dirait que la « fenêtre d’opportunité politique » est optimale pour les professionnels de santé.
Les prochaines élections politiques régionales et cantonales (printemps 2015) peuvent-elles jouer en faveur des médecins ?
F. P. C’est évident. L’exécutif a des sondages en berne. Il est confronté à une majorité de plus en plus divisée. Et, de surcroît, il redoute une déroute à peu près certaine aux prochains scrutins électoraux. Sa faiblesse est donc maximale. De plus, il s’est mis lui-même dans les cordes car la prochaine loi de santé est censée donner un signal de gauche à un électorat désorienté par des politiques macro-économiques et sociales pour le moins rigoureuses.
Pour ma part, je pense que la ministre de la Santé va être contrainte de reculer ou, à tout le moins, de différer l’examen parlementaire de son projet de loi, sous la pression d’une partie de sa majorité qui anticipe une Bérézina électorale qui viendra renforcer les conséquences en termes d’élus et de moyens des dernières élections municipales et européennes.
Dans quelle mesure ce mouvement peut-il redéfinir la place et le rôle des syndicats de médecins libéraux souvent contestés par leur base ? D’autant que des élections syndicales et URPS vont bientôt avoir lieu. Autrement dit, est-ce que les syndicats jouent leur va-tout ?
F. P. La configuration est assez classique. Les divisions et les concurrences entre syndicats favorisent la surenchère « libérale », dans un contexte en effet pré-électoral. Par ailleurs, la base est exaspérée et peut être tentée par des mobilisations plus radicales et moins institutionnalisées, comme les coordinations, phénomène là encore assez récurrent dans la longue histoire des relations entre État, Sécurité sociale et médecins libéraux. Du coup, plus que jamais, les représentants syndicaux se disent « je suis leur chef donc je les suis ».
De mon point de vue, cela explique par exemple les prises de position de plus en plus « corporatistes » d’un Claude Leicher, porte-parole d’un syndicat, MG France, plus enclin que d’autres à adopter une vision plus globale et systémique de la réforme du système de santé. Là, on voit bien qu’il y a un recentrage de son discours autour de la défense stricte des intérêts des médecins généralistes, défense que lui conteste par exemple l’UNOF. Dans cette configuration concurrentielle et politisée, les marges de manœuvre de chaque organisation sont très faibles.
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