LE QUOTIDIEN : Comment les humanités médicales ont-elles émergé dans le paysage académique ?
ALAIN SCHAFFNER : Il s’agit d’un courant de pensée qui est apparu aux États-Unis dans les années 1970, au moment où l’on s’est aperçu que la bipartition entre un médecin qui sait tout et un malade qui ignore tout et reçoit le traitement qu’on lui applique de manière autoritaire n’était plus tenable. Des disciplines telles que la philosophie, le droit, la théologie, l’histoire se sont donc emparées de la relation entre le praticien et le patient. Le deuxième moment fort a eu lieu dans les années 1980-1990, lors de l’épidémie de Sida : les médecins se sont retrouvés face à des malades tout à fait inhabituels, souvent jeunes, parfois issus de milieux très favorisés, qui essayaient de comprendre ce qui leur arrivait, de discuter avec eux. Cela a donné de nouvelles perspectives pour la recherche.
Les années 2000 ont vu émerger une nouvelle forme de médecine très liée aux humanités médicales, la médecine narrative…
Oui, pour nous autres littéraires, la médecine narrative est du pain béni : c’est l’idée qu’une maladie s’inscrit dans l’histoire d’une vie, et produit donc des récits. Ce sont des récits que le médecin n’a pas toujours la capacité d’écouter, et qui sont pourtant des sources d’information extraordinaires. Enfin, pour terminer cet aperçu de l’histoire des humanités médicales, on peut ajouter que c’est une dénomination qui est remise en question depuis plusieurs années, notamment parce qu’elle contient le mot « médical ». Certains préfèrent parler d’humanités de santé, ce qui permet une perspective plus large.
Les humanités médicales sont donc avant tout un champ de recherche, et non une façon de former de meilleurs médecins ?
Oui, et je suis d’ailleurs professeur de littérature dans une université de sciences humaines et sociales, je me trouve donc personnellement assez éloigné de l’enseignement aux médecins. Ce qui n’empêche pas que j’aie d’excellents collègues qui travaillent dans les facultés de médecine, qui y introduisent la philosophie, l’histoire de la médecine, les sciences sociales, etc.
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