Après trois semaines de discussions sur la loi de santé, la ministre réceptionne les rapports d’étape des animateurs de la concertation. Les médecins libéraux se sont présentés unis autour de positions partagées. Ça semble toujours difficile sur le tiers payant, assez cadenassé sur les délégations de tâches, plus ouvert sur l’organisation territoriale de la médecine libérale. Quant au groupe sur le rôle du médecin généraliste, il est jugé prometteur par vos syndicats. Son pilote, Pierre-Louis Druais s’explique.
Depuis fin janvier, les réunions de concertation autour du projet de loi santé s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Tiers payant, pratiques avancées, service territorial de santé au public, chacun des groupes thématiques avance, plus ou moins facilement, selon le sujet. Mais tous devaient présenter, ces jours-ci, un premier bilan de leurs travaux. Un point d’étape amorçant la dernière ligne droite avant le débat parlementaire.
Qu’il s’agisse de l’évolution des compétences médicales ou de l’organisation des soins de proximité, les syndicats l’assurent, l’unité était au rendez-vous. Dans un cas comme dans l’autre, l’opposition au projet de loi était manifeste. Mais les propositions et possibilités de réécriture se sont révélées quasi impossibles sur le premier sujet mais évidentes pour le second.
« Personne ne veut de la délégation de tâches »
Piloté par le Pr Yves Matillon, le « groupe de travail sur l’évolution de certaines compétences médicales » avait pour but de « répondre aux inquiétudes sur le risque de démantèlement de l’exercice médical », selon les termes de la lettre de mission de Marisol Touraine. Un objectif éminemment sensible alors que les articles concernés cristallisaient, pour une bonne part, l’opposition des médecins à la réforme. Numérotés 30 à 33, les articles incriminés prévoyaient le transfert de tâches dévolues jusqu’à présent aux généralistes vers les infirmiers, pharmaciens ou encore sages-femmes. Pour nombre de médecins, il ne s’agissait ni plus ni moins que du « saucissonnage » de leur spécialité, au profit d’autres professionnels. Autrement dit par Éric Henry, président du SML, « ils veulent nous vendre le démontage de la profession vers ceux d’en-dessous ». Et d’assurer que « personne ne veut de la délégation de tâches ».
[[asset:image:4466 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["PHANIE"],"field_asset_image_description":["\u0022D\u00e9l\u00e9gation sous la responsabilit\u00e9 du m\u00e9decin et non transfert...\u0022"]}]]Après l’unique réunion du groupe de travail, Luc Duquesnel reste lui aussi « inquiet » sur ce dossier des pratiques avancées. « On nous a dit que l’article 30 était incontournable », assure le chef de file de l’Unof qui demandait, tout bonnement, la suppression de cette disposition relative aux infirmières cliniciennes. « On nous a dit que le gouvernement y tenait beaucoup, qu’on ne pouvait le modifier qu’à la marge », ajoute-t-il. Et pour cause, c’est le 3e plan Cancer, lancé en février 2014, qui créé ce nouveau métier ! À défaut de procéder à cette suppression, appelée de leurs vœux par plusieurs syndicats de médecins, « le Pr Matillon nous a demandé de réécrire ces articles », explique Jean-Paul Hamon. Pour le leader de la FMF, la vaccination ou la prescription de substituts nicotiniques, autant d’actes visés par les articles débattus, « doivent être faits sous le contrôle du médecin ». En d’autres termes, il doit s’agir d’une « délégation sous la responsabilité du médecin et non d’un transfert ». Et, selon Jean-Paul Hamon, l’introduction d’un amendement rédigé dans ce sens « change radicalement l’esprit du texte ». Un point de vue partagé par Claude Leicher pour qui « les infirmières cliniciennes ne doivent pas être autonomes mais sous la responsabilité du médecin traitant ». Une chose est sûre, pour le président de MG France, « on va vers plus de pratiques avancées d’où la nécessité de rester dans la discussion pour encadrer leur mise en œuvre ». Impossible, pour l’heure, de savoir si l’amendement proposé sera repris par le groupe de travail pour être présenté au gouvernement. Ni s’il sera débattu au Parlement.
« Des alternatives venant du terrain »
Autre sujet sensible, autre ambiance. Du côté des discussions sur l’organisation des soins de proximité dans les territoires, il semblerait que les revendications des syndicats aient été entendues. Hors de question, pour eux, que les ARS imposent leur organisation des soins sur le terrain.
Contrairement au groupe de travail du Pr Matillon, celui sur le fameux « service territorial de santé au public » était « plus ouvert », affirme Luc Duquesnel. « Je pense qu’il va pouvoir y avoir un accord avec Jean-François Thébaut et Véronique Wallon », ajoute-il. S’il n’a pas noté « d’opposition de leur part quant au projet de réécriture », il affirme partager les objectifs des deux pilotes tels que « la déshopitalisation et plus de coordination ». Et assure avoir pu « proposer des alternatives partant du terrain », un schéma où « les ARS viendraient épauler les organisations mises en place par les professionnels ».
Pas de doute non plus pour Claude Leicher, l’unanimité syndicale devrait inciter Jean-François Thébaut (HAS) et Véronique Wallon (ARS Rhône-Alpes) à reprendre les propositions de réécriture du texte
[[asset:image:4471 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["\u0022v\u00e9rifier, rep\u00e9rer les besoins de sant\u00e9 et y apporter une r\u00e9ponse, c\u0027est l\u0027affaire des professionnels.\u0022"]}]]faites lors des réunions de travail. Satisfait de « l’abandon de la notion de service territorial », il souligne que « vérifier, repérer les besoins de santé et y apporter une réponse, c’est l’affaire des professionnels ». Une organisation au sein de laquelle « les ARS devraient être des facilitateurs et non des donneurs d’ordre », rappelle Jean-Paul Hamon. Du côté du SML, on est moins optimiste quant aux suites qui seront données aux discussions. « J’avais l’impression qu’on avait bien avancé, reconnaît Éric Henry. Or, à la fin de la dernière réunion, on nous a ressorti des mesures sur les maisons de santé contre lesquelles on est opposé ». Comme une boucle « qu’on refermerait à la fin, je n’ai pas l’impression qu’on va inventer un nouveau mode d’exercice mais juste qu’on nous refourgue le modèle des maisons et pôles de santé », ajoute le président du SML.
Ce marathon de réunions n’a pas non plus fait l’impasse sur le mistigri. Trois semaines de concertation pour aborder les seuls problèmes du régime obligatoire. Tel semble être l’état d’avancement du groupe tiers payant qu’anime la présidente du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie. « On montre déjà qu’il faut faire une réforme au niveau de l’affiliation à un régime obligatoire », explique Claude Leicher, évoquant « une séance absolument extraordinaire, la semaine dernière » où étaient détaillées les difficultés générées à l’occasion des changements d’affiliation ou de régime. La pilote du groupe, Anne-Marie Brocas, « est totalement à l’écoute », affirme pourtant le leader de MG France pour qui il va falloir « être très, très imaginatif pour trouver une solution que les professionnels acceptent ». Luc Duquesnel a, pour sa part, « l’impression qu’on cherche une porte de sortie pour que le gouvernement ne perde pas la face ». Comme quoi, même sur le sujet qui fâche le plus, la discussion reste ouverte...
Sur la médecine générale, « ça s’est très bien passé »
Et le chantier sur la médecine générale dans tout ça ? Une fois n’est pas coutume, tous les syndicats soulignent la qualité de ce volet de la concertation. Pilotée par le Pr Pierre-Louis Druais (voir notre interview) la réflexion porte sur la place du médecin généraliste et du médecin traitant dans le système de soins. Et semble mettre à mal la vision hospitalo-centrée du projet de loi largement dénoncée par les médecins libéraux.
« Ca s’est très bien passé », assure Claude Leicher pour lequel « la loi doit être celle de l’organisation des soins primaires, à côté d’un pôle hospitalier qui ne peut pas servir de seul lieu de soins ». Formation initiale, DPC, parcours de santé, délégation de tâches, éléments de rémunération, Pierre-Louis Druais aborde de multiples questions intéressant les généralistes. Si toutes ne trouveront pas de réponse dans le projet de réforme, le président du Collège de la médecine générale plaide pour l’insertion, dans la loi, d’un chapitre dédié à la médecine générale. Il comporterait des éléments de définition de la discipline, du rôle du généraliste et de la fonction de médecin traitant. « C’est une excellente idée », salue Luc Duquesnel, pour qui « le projet de loi est anti-médecine générale libérale ». Reçu la semaine dernière par Pierre-Louis Druais, le leader de l’UNOF était accompagné du Dr Patrick Gasser, son alter ego chez les spécialistes à la CSMF. Une façon, pour lui, de rappeler l’importance du « lien entre le médecin traitant et le médecin de deuxième recours pour une bonne prise en charge des patients ».
[[asset:image:4476 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["PHANIE"],"field_asset_image_description":["Le pr\u00e9sident du Coll\u00e8ge de la m\u00e9decine g\u00e9n\u00e9rale plaide pour l\u2019insertion, dans la loi, d\u2019un chapitre d\u00e9di\u00e9 \u00e0 la m\u00e9decine g\u00e9n\u00e9rale"]}]]Collaboration et coordination entre professionnels de santé, organisation de parcours de soins comptent parmi les éléments que le généraliste de Port-Marly souhaiterait valoriser dans le cadre de rémunérations forfaitaires. Même si le sujet relève du domaine conventionnel, le Pr Druais ne l’élude pas. Tout comme il ne fait pas l’impasse sur certains des thèmes traités par les autres groupes de travail. Après trois semaines de consultations, il devrait maintenant rencontrer le Dr Yves Decalf, son homologue chargé du chantier de la médecine spécialisée, Yves Matillon ainsi que Véronique Wallon et Jean-François Thébaut. Le but de l’opération étant « l’échange des copies pour en extraire le plus grand dénominateur commun ».
Après avoir été écoutés, les syndicats seront-ils entendus ? Tous s’interrogent sur ce que Marisol Touraine retiendra des propositions issues des groupes de travail. « La concertation se passe réellement, c’est vraiment productif, assure Claude Leicher, reste à savoir ce que le gouvernement en fera ». « On fait confiance aux rapporteurs, insiste Luc Duquesnel, mais on se demande encore quel sera l’avenir des rapports. » Sans parler du contenu des amendements. Réponse au plus tard début avril, lors du débat à l’Assemblée nationale.