Par Sébastien Sarraude
Résumé de l’épisode 4. Notre médecin termine sa dernière semaine avant la retraite par un cas compliqué. Son patient, M. Lafourcade, qui semblait présenter un cas de grippe, est en soins intensif. Son cas laisse plusieurs médecins perplexes… le diagnostic est très pessimiste. Notre médecin n’a pas le courage d’affronter sa compagne, et se dérobe, par la porte la plus proche.
Je m’isole au cabinet de toilette que je découvre immonde. Vivement que cet hôpital soit détruit. Comment peut-on faire ses besoins dans un local aussi insalubre ? Le personnel d’entretien n’a plus de budget, alors je suppose que la politique est de cacher la misère. J’hésite à m’humecter le visage avec le filet d’eau coulant du lavabo d’un autre âge. Les murs craquelés sont d’une couleur indéfinissable, les plinthes sonnent creux et tombent sur le sol une à une au seul contact de mes sabots, révélant ainsi au grand jour salpêtre et autres moisissures. Et on sauve des gens ici, paraît-il. En réalité, on sauve surtout les apparences comme on peut en collant du lino sur les murs qui se désagrègent. Mais la structure ne ment pas. Elle est comme moi. De l’extérieur, je montre encore de l’engouement, mais à l’intérieur je suis usé. Ce patient est celui de trop.
J’entends des bruissements dans une conduite sous le lavabo. La grille métallique ne tient plus que par deux vis rouillées. Sans rencontrer la moindre résistance, je parviens à la détacher du mur, arrachant ainsi les chevilles censées la maintenir au mur, et le plâtre. Un violent mouvement de recul et de dégoût m’envoie heurter la paroi opposée des toilettes.
Il est là. Je le vois. Imperturbable, il me regarde sans s’enfuir, se dresse sur ses pattes arrières, furetant l’air et faisant vibrer ses moustaches. Il se passe quelques secondes d’échange, les yeux dans les yeux. Je ne lui fais pas peur, il a dû en voir d’autres, des humains, à travers sa grille de ventilation. Je semble ne représenter aucun intérêt pour lui, alors il retombe sur ses quatre pattes et s’en va, laissant au passage un peu de son urine. Il quitte le navire.
Et soudain, la lumière fut.
Je reste assis sur le cul, au sens propre comme au figuré, comment ai-je pu ne pas y penser ?
Je surgis dans le couloir et hèle Mme Lafourcade en m’approchant d’elle d’un pas décidé.
— Vous ! Votre mari pratique-t-il une activité en milieu humide ? Pêche, kayak…
Elle me répond du tac au tac :
— Pêche ! Gilles est un grand pêcheur en lac, et nous nous sommes brouillés il n’y a pas longtemps parce qu’il y passait tous ses week-ends avec ses poivrots de copains.
Je souris en la fixant. Elle me regarde comme on regarderait un aliéné. Puis, elle s’énerve et reprend du poil de la bête :
— Je peux voir mon mari, oui ou non ?
Elle ne supporte plus tous ces mystères qu’on lui inflige depuis son arrivée ce matin.
Je déboule dans la pièce comme un boulet de canon surprenant tout le personnel.
— Amoxicilline, céphalosporine et cyclines ! De suite !
Les infirmières esquissent un sourire sous leurs masques, j’ai appris à le déceler avec le temps. Mes confrères froncent les sourcils et attendent mon verdict.
— Leptospirose ! Monsieur s’est octroyé un week-end à la pêche il y a une vingtaine de jours, sans en parler à sa femme. Monsieur a été puni par l’urine de rat !
Tous se regardent et certains secouent négativement la tête matérialisant leur regret de ne pas y avoir pensé eux-mêmes. Gilles va s’en sortir. D’ici une bonne dizaine de jours, il quittera l’hôpital et je ne serai même plus là pour le regarder partir par la grande porte.
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Vendredi, la douche froide (4/5)
Partir par la grande porte (5/5)
Vendredi, la douche froide (4/5)
Jeudi, sauver une gloire locale (3/5)
Mercredi, branle-bas de combat (2/5)
Lundi, dernière semaine (1/5)
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