Par Clément Paquis
Une verrue est une petite tumeur cutanée bénigne qui a pour origine une infection virale de la peau. Voilà pour la définition médicale. Pour le reste du monde, une verrue est une petite saloperie inesthétique, contagieuse et relativement pénible à éradiquer. Exactement un mois après mon arrivée à Plumier-les-Natives, je suis tombé nez à nez avec mon premier patient à verrue.
« Je suis prop' pourtant docteur, je me lave les mains dès que je sors des cabinets, je prends deux douches par jour, j'ai pas un travail qui m'obligerait à côtoyer des saloperies pleines de microbes, alors je comprends pas comment j'ai réussi à choper ça, franchement… »
Pour une malheureuse verrue sur le poignet, je n'allais pas embêter mes confrères spécialistes. J'ai donc prescrit à Monsieur Bellangier un petit traitement par le froid disponible en pharmacie. Lorsqu'il est revenu me voir la semaine suivante et qu'il m'a montré son ventre couvert d'une trentaine de verrues, je l'ai immédiatement envoyé chez mon confrère dermatologue Fabrice Boulier.
« C'est l'Ghislain ! me hurlait Bellangier alors que je rédigeais la lettre pour Boulier, il a jeté une malédiction sur le village ! Il se venge de notre trahison ! »
Je me souviens avoir plaisanté en répondant à mon patient qu'une malédiction à base de verrues, c'était relativement amateur à côté des sept plaies d'Égypte et que n'était pas Dieu vengeur qui voulait. Je revois encore le visage effrayé de M. Bellangier, me dévisageant d'un regard craintif.
« Faut pas rigoler avec ça, Dr Firmin… » avait-il bredouillé sans me quitter des yeux.
* * *
Si vous n'avez jamais entendu parler d'épidémie de verrues, c'est que vous n'avez jamais mis les pieds à Plumier-les-Natives en cette fin d'année 2014.
Chaque matin, ma salle d'attente était pleine à craquer d'une dizaine de patients aux corps recouverts de verrues. Cela fascinait tellement mon confrère Boulier qu'il avait fini par mettre en stand-by son cabinet en ville pour venir s'installer au village afin d'être aux premières loges. Il lui tenait vraiment à cœur de comprendre les raisons de cette soudaine et violente propagation de l'infection. De mémoire de dermatologue, on n'avait jamais vu une chose pareille. Du moins pas en France, pas au XXIe siècle. Le papillomavirus humain était certes pénible à éradiquer, mais dans notre société hautement hygiéniste, on en venait tout de même relativement facilement à bout. Boulier, en plus d'être un confrère, était un ami de longue date. Nous partagions cette passion commune pour la bande dessinée et avions lancé un petit fanzine BD ensemble lorsque nous étions en seconde année de médecine, à Strasbourg. « Mon vieux, m'avait-il lancé, je suis prêt à parier que ton toqué de service, ton rebouteux, n'est pas étranger à toute cette affaire ! »
Boulier était un cartésien pur jus. Les malédictions, les blasphèmes, les rebouteux, tout cela n'était pour lui que le décor d'une histoire policière passionnante dans laquelle il estimait devoir jouer le premier rôle, celui de l'enquêteur émérite qui boucle l'affaire grâce à son flair légendaire et son infaillible sens logique. À chaque nouvelle visite d'un patient touché par « le fléau du rebouteux », ainsi que Boulier aimait à le qualifier pour mieux habiter son rôle de détective, ce dernier venait me trouver dans mon cabinet, et tirant sur une pipe éteinte qu'il avait dénichée dans un vide-greniers, il me lançait l'air songeur : « Eh bien, mon cher Watson, avez-vous recueilli de nouveaux éléments pour notre enquête ? »
Grâce à notre Sherlock local, nous allions rapidement en avoir.
Prochain épisode dans notre édition du 23 juin
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