Livres
Fils d’un grand neurologue de Lisbonne, Antonio Lobo Antunes, 73 ans, a exercé la psychiatrie pendant une dizaine d’années tout en écrivant ses premiers livres. Il est considéré comme l’une des grandes figures de la littérature contemporaine et son œuvre a été couronnée de nombreux prix, dont le prix Camoes en 2007.
« Au bord des fleuves qui vont » (1) est la traduction tardive d’un livre publié en 2010, trois ans après qu’il a été opéré d’un cancer. Il est composé de 14 chapitres, autant de jours, du 21 mars au 4 avril 2007, que le narrateur, qui souffre du même mal, aura passé à l’hôpital. Loin de (se) montrer un homme au faîte de la douleur et de la peur, Antonio Lobo Antunes saisit ce moment et ce lieu où rôde la mort pour faire remonter des souvenirs enfouis jusque vers la source de l’existence et la « joie perdue » de l’enfance. Avec des phrases interrompues, une ponctuation incertaine, des voix, des époques et des sujets qui s’entremêlent, pratiquement aucun repère narratif, son style sans concession surprend toujours, qui, lorsqu’on se laisse prendre, est un réel envoûtement.
Marie Didier a mené une double vie, assumant de front ses vocations de médecin et d’écrivain. Interne à l’hôpital Mustapha, à Alger, puis gynécologue à Toulouse, elle s’est engagée aux côtés des déshérités et des malheureux. De « Contre-Visite » en 1988, « Dans la nuit de Bicêtre », couronné par le prix Jean Bernard de l’Académie de médecine, jusque, en 2011, « le Veilleur infidèle », tous ses livres témoignent, avec des sources d’inspiration différentes, de la même grande humanité. À 76 ans, elle se dévoile et livre des « fragments d’une histoire vécue » sous le titre « Ils ne l’ont jamais su » (2). Les événements les plus secrets ou les plus douloureux de sa vie hors du commun sont « peu présents, voire absents » du livre. Car son propos est de se souvenir et de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, sans le savoir et sans qu’elle l’ait su elle-même, ont infléchi le cours de son existence.
Il est des auteurs qui parlent d’eux sans nombrilisme. Antoine Piazza est de ceux-là, qui a inauguré une série d’inspiration autobiographique avec « les Ronces », où on le découvre en tant que professeur des écoles. « Tours de garde » (3) est inspiré aussi par un morceau de sa vie, mais le livre tourne autour de son épouse, victime d’un traumatisme crânien et restée dans le coma pendant plusieurs semaines dans une chambre d’hôpital, avant de se rétablir. Mais le véritable héros du récit, celui auquel l’ouvrage est dédié, est l’hôpital (Trousseau à Tours), le personnel médical, les malades, les visiteurs, que l’auteur croque avec minutie et sans pathos.
Troubles psychiques
Premier roman de l’Indien Jerry Pinto traduit en France, « Nous l’appelions Em » (4) arrive auréolé de prix. Il a pour thème l’enquête d’un fils sur la maladie dont souffre sa mère, troubles bipolaires ou schizophrénie. Près de lui, sa sœur Susan et son père Augustin sont tout aussi démunis. À partir d’extraits de journaux intimes et de lettres et en interrogeant ses parents, le jeune homme tente de remonter, en revenant sur leur passé heureux, à l’origine de la maladie. Le portrait qui se dessine d’une jeune femme aussi amoureuse qu’insouciante, dans le Bombay des années 1950 et 1960, tranche avec l’image actuelle d’une famille soudée dans l’épreuve mais profondément meurtrie. Un regard plein d’amour et d’humour.
La folie est aussi le fil conducteur du nouveau livre de Caroline Tiné (prix du Premier Roman en 1990 pour « l’Immeuble »), « le Fil de Yo » (5), dont l’héroïne est une jeune infirmière dans une clinique psychiatrique près de Paris. Sans attache, Yo partage son temps entre le bar, au pied de l’immeuble où elle occupe une petite chambre de bonne et qui est le refuge de tous les angoissés du quartier, et la Clinique, où, grâce à son empathie avec les Fous, elle obtient souvent de meilleurs résultats que les docteurs patentés et psychorigides. Mais l’équilibre de Yo est fragile et le fil entre raison et folie risque à tout moment de casser.
Bonnes et mauvaises drogues
« Cannabis sur ordonnance » (6) est à la fois un témoignage émouvant et un livre militant. Martine Schachtel,qui a été infirmière et a publié plusieurs ouvrages sur la profession et le domaine médical, y raconte comment, en lui faisant confectionner des sablés au cannabis, elle a pu adoucir les derniers mois qui restaient à vivre à l’une de ses sœurs victime d’un cancer du poumon, épuisée par les séances de chimiothérapie et hébétée par des doses massives de morphine. Alice est décédée mais le débat sur l’usage thérapeutique du cannabis est relancé.
Retour à la fiction avec un thriller médical sur fond de trafic de drogue, signé Philippe Kleinmann, chirurgien à Lariboisière, et Sigolène Vinson, avocate, un duo formé pour « Bistouri Blues » en 2007 (prix du Roman d’aventures) et reconstitué pour « Substances » (7). Après qu’une fusillade organisée par le cartel mexicain de la drogue a ensanglanté Paris, le commissaire Cush Dibbeth et son ami d’enfance, le Dr Benjamin Chopski, reviennent sur le devant de la scène. Un caïd blessé est manquant : l’enquête policière et l’enquête médicale commencent… et mènent à une troisième piste.
En dessins
Décrire son quotidien dans le coma par le dessin est l’entreprise saisissante réalisée par Matthieu Blanchin, qui a reçu l’Alph’Art du meilleur premier album à Angoulême en 2001. L’année suivante, il est opéré en urgence d’une tumeur au cerveau, il tombe dans le coma et doit être trépané. « Quand vous pensiez que j’étais mort » (8) témoigne de cette parenthèse de dix jours dans un monde de cauchemars à la frontière du réel et de l’irréel, puis du difficile retour chez les vivants, des rechutes et du lent chemin vers la guérison, la reconstruction, le réapprentissage du dessin. Un témoignage tumultueux en noir et blanc, qui navigue entre la violence et l’angoisse, l’absurde et le drôle.
(1) Christian Bourgois, 245 p., 18 euros.
(2) Gallimard, 191 p., 15,50 euros.
(3) Rouergue, 124 p., 13,80 euros.
(4) Actes Sud, 260 p., 22 euros.
(5) JC Lattès, 301 p., 18 euros.
(6) Albin Michel, 149 p., 15 euros.
(7) Éditions du Masque, 444 p., 20,90 euros.
(8) Futuropolis, 176 p., 24 euros.
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