Par Céline Santran
« Tout ce qui ne vient pas à la Conscience se retrouve sous forme de destin. »
Carl Gustav Jung
Rémi n’arrivait toujours pas à y croire.
« Il a vraiment dû me prendre pour un fou », songea-t-il en pensant à son collègue, le docteur Raymond, qu’il avait quitté quelques minutes plus tôt. Lorsque ce dernier avait mentionné le loto, Rémi avait mis un moment à se souvenir où il avait bien pu laisser ce maudit ticket… Ils devaient être sous le porte-photo, sur le buffet du salon, mais peu importe, puisqu’il connaissait les chiffres joués par cœur, c’étaient ses numéros fétiches.
Il avait donc pianoté sur son smartphone et retrouvé rapidement sur Internet le tirage au sort qui l’intéressait. Ses yeux s’étaient alors arrondis comme des soucoupes et il s’était senti défaillir.
- Un problème ? Vous êtes tout pâle d’un coup !,s’était inquiété le docteur Raymond.
Péniblement, Rémi avait ravalé sa salive, levé les yeux et affiché le sourire béat du ravi de la crèche :
- Rien rien, mais je crois que je vais vraiment changer de vie, pour de bon...
Et il avait pris congé en bafouillant un au revoir à peine audible.
En montant quatre à quatre les escaliers menant à son appartement, Rémi se remémora ce fameux « Carpe Diem ». Il cocha mentalement les cases qui dansaient devant ses yeux, conscient de son état plus que fébrile. Le concert de George Benson, fait, le loto, fait, le week-end insolite dans un lieu improbable, il avait justement prévu d’en faire le soir même la surprise à Aline. Une surprise avec, en prime, une cerise sur le gâteau en forme de ticket gagnant ! Dire que le précieux bout de papier était resté plusieurs jours coincé, chiffonné sous un vulgaire porte-photo, au risque, en plus, d’être mis à la poubelle par la femme de ménage ! À cette pensée, Rémi pressa le pas. Lorsqu’il tourna enfin la clé dans la serrure, il sourit en songeant à la dernière envie folle sur sa liste : la cuite au nirvana ambré, pour sûr, elle allait être d’anthologie...
La lettre avait été posée bien en évidence sur le porte-photo, sur le buffet du salon :
Rémi,
Je ne choisis pas le bon moment, mais tôt ou tard, même si tu ne voulais pas le voir, cela devait de toute façon arriver. Toutes ces années où tu n’as vécu que pour ton travail, tu n’as pas vu que peu à peu, insidieusement, nous nous éloignions l’un de l’autre. Tu n’es pas responsable de ce qui s’est passé avec ce psychopathe de Marquant, toute la profession a reconnu en toi un expert compétent qui ne pouvait prévoir cette infime part d’imprévisible que recelait la pathologie de ton patient. Ce drame a bouleversé tes certitudes, ébranlé ta confiance en toi, mais moi, je suis bien placée pour savoir que tu as toujours été champion pour voir la paille dans l’œil de tes patients… La suite, tu la connais, enfin, non, tu la découvres maintenant, en lisant cette lettre… Moi je la voyais pourtant comme le nez au milieu de la figure, cette poutre, cette épée de Damoclès qui se balançait au-dessus de ta tête, de nos têtes à tous les deux… Des années que j’essaie de t’envoyer des signaux, mais j’ai fini par comprendre que tu serais toujours meilleur conseiller pour tes patients que pour toi-même. Et puis en rangeant hier histoire de me vider un peu la tête, je suis tombée sur ce ticket…
Ne m’en veux pas, je profite juste du destin, une aubaine comme celle-là ne se présente pas deux fois dans une vie. Ne t’inquiète pas pour moi, je saurai faire bon usage de cette manne tombée du ciel.
Quand je pense que tu disais toujours que tu n’avais jamais eu de chance au jeu...
Aline.
Avec la collaboration de
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