Ma femme est absente, je prends un bain bien chaud. Je songe à la course folle d’un spermatozoïde à la vitesse de trois millimètres par minute qui échappe à la mort de l’acide vaginal, franchit le col de l’utérus, slalome entre les globules blancs et atteint les trompes de Fallope avec l’objectif ultime en ligne de mire, l’ovule. Cet ovule à qui il fait la danse du ventre, cet ovule qui se laisse tenter par ce spermatozoïde si vigoureux, si génétiquement différent et si séduisant.
J’avais besoin de ce temps de repos pour digérer l’information, pour me ressourcer. Je me regarde dans le miroir. Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas examiné de cette manière. Certainement, Hélène doit exécuter des gestes similaires. Comment elle doit observer et toucher son ventre, ses seins, sa peau. Scruter la moindre différence. Penser à son insouciance d’il y a encore quelques semaines et s’imaginer dans quelques mois, presque incapable de bouger.
La porte d’entrée produit son bruit caractéristique quand elle se referme. Ma femme, Laurence, vient de rentrer.
– Ah, tu es là ? dit ma femme très surprise. Tu es malade ?
– Non, juste un coup de fatigue. Ça doit être la rentrée. C’est certainement dans ma tête.
– Ah c’est ça ! J’étais certaine que ça allait te faire quelque chose de voir ta fille sur les bancs de ta fac ! Je te l’avais dit ! En ce moment ça doit être la pleine lune parce qu’il y a plein de choses bizarres qui se passent.
– Comme quoi ? je demande en mettant ma chemise.
– Ça me fait tout drôle tu ne peux pas savoir, il paraît qu’Hélène est enceinte.
– Ah bon ?
– Ça m’étonne que tu ne sois pas au courant, je pensais qu’elle t’en parlerait.
– Non, je veux dire « ah bon t’es au courant ». C’est confidentiel ces choses-là.
– Hélène, confidentiel ? Tu rigoles ? Hélène l’a dit à Anna qui l’a dit à William qui m’a téléphoné pendant que je faisais les courses. Ça m’étonne qu’il ne t’ait pas téléphoné. Mais bon, si tu prends ton bain au lieu de décrocher ton portable, c’est sûr que ça va pas aider. Et tu savais toi qu’elle avait quelqu’un dans sa vie ? Bon, on en reparlera plus tard, je dois filer chez Suzanne.
Je me suis interrogé devant le miroir. Si personne ne connaît son ami, et si elle n’en avait pas, et si c’était mon sperme qu’elle avait gardé et utilisé, et si William avait tout manigancé pour me ternir, et si elle voulait un enfant de moi ?
Un taxi m’emmène chez Hélène, puis à l’hôpital. Échographie positive. Hélène est bien enceinte. Tout va bien à part mon doute sur la paternité. Dans deux jours ça fera un mois de grossesse. Comment diable me souvenir si j’étais chez elle ce jour-là ? Test ADN. Un peu de salive que j’envoie au labo. Réponse demain. Hélène est très calme. Je la raccompagne chez elle.
Une fois dans la rue j’appelle son père.
– William, ta fille est enceinte.
– Je sais. Combien de temps ?
– Un mois. Bien entendu elle peut encore avorter. Sinon, tout se passe normalement.
– Ton professionnalisme et ta gentillesse ne me surprennent pas, Lambert. C’est vrai qu’Hélène fait un peu partie de ta famille, mais je tenais vraiment à te remercier. Je vais discuter avec elle, je te rappellerai après. Embrasse tes femmes pour moi et porte-toi bien.
Tes femmes ? Il pense à qui ? Et pourquoi se mêle-t-il de ma santé ?
Chez moi, ma femme et ma fille m’attendent. Il fait un peu froid, je mets les mains dans ma poche de pantalon ; mes spermatozoïdes sont bien au chaud et je suis content pour eux.
Prochain épisode dans notre édition du 26 juin
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