LE QUOTIDIEN – Y a-t-il divorce entre le gouvernement et le corps médical ? Les médecins nous disent plutôt que oui. Et vous ?
ROSELYNE BACHELOT – Ce n’est pas mon sentiment. À l’évidence, l’exercice de la médecine et tout spécialement l’exercice de la médecine générale est en pleine mutation. La première transformation est plus généralement liée à une mise en cause des structures et des hiérarchies sociales. Et de ce point de vue, le médecin a peut-être été touché plus tardivement que d’autres. Il y a eu les professeurs, les politiques, les patrons… Et aujourd’hui, à son tour, le médecin. Ce phénomène est peut-être d’autant plus mal vécu par le médecin qu’il a un très haut niveau d’études et que ce sont très souvent des motifs altruistes qui ont guidé son choix professionnel. Cette première mutation est donc vivement ressentie.
La deuxième, à l’uvre dans toute la société, c’est la volonté de concilier vie familiale et vie professionnelle, d’avoir une vie laissant aussi une part aux loisirs… Cette évolution traverse aussi le corps médical.
Et puis il y a une mutation plus conjoncturelle : celle liée à la crise économique. Les médecins sont doublement exposés aux incertitudes et aux angoisses suscitées par ce qui est la plus grande crise économique moderne : d’abord pour eux-mêmes ; et à travers les inquiétudes que véhiculent leurs patients. Les médecins sont aussi les confidents de leurs patients qui leur racontent bien des choses, au-delà de la maladie. Ils vivent donc à répétition ces chocs émotionnels liés à la crise. Comment, dans un contexte pareil, le médecin ne ressentirait-il pas d’angoisse ! Enfin tous les médecins savent que les modes d’exercice de leur métier vont se transformer. Ils voient les choses se dessiner – ils savent bien que l’exercice pluridisciplinaire va se développer, que la télémédecine va révolutionner la médecine de proximité… – mais tout cela n’est pas encore forcément très lisible.
Je constate aussi qu’il y a une importante fracture générationnelle dans la profession. Je suis extrêmement frappée par les différences de discours qui existent entre les médecins de ma génération et les plus jeunes.
Vous analysez le malaise de la profession. Comment expliquer, alors, cette impression qu’ont beaucoup de médecins que vous ne les comprenez pas ?
Mais qui mieux qu’un ministre de la Santé peut comprendre les mutations que je viens d’évoquer ! Parce que finalement, toutes ces remises en cause, nous les vivons aussi : nous vivons aussi une crise de la désacralisation du pouvoir, nous vivons aussi cette exigence d’être sur la brèche 24 heures sur 24 dans une société qui, paradoxalement, ne rêve que de loisirs et d’épanouissement individuel… Et nous sommes obligés d’exercer notre responsabilité dans une grande incertitude. Je me sens proche des médecins, je comprends leurs inquiétudes.
Alors quelquefois, il peut être tentant d’être un peu caricatural et, en situation de crise, de trouver quelques boucs émissaires. On ne peut pas, pour autant, faire l’économie d’une réflexion plus approfondie. Le procès qui m’est fait par certains est à relativiser. Il ne faut pas non plus oublier que l’on est période préélectorale professionnelle, d’où un climat parfois tendu.
IL PEUT ÊTRE TENTANT DE TROUVER QUELQUES BOUCS ÉMISSAIRES
Comment réagissez-vous au mouvement tarifaire des généralistes ? Le récent arrêt de la Cour de cassation sur le C=CS vous donne-t-il des arguments complémentaires pour refuser la hausse du C ou bien pourriez-vous au contraire faire un geste ?
Attention à ne pas tout mélanger avec l’arrêt de la Cour de cassation ! Il ne me donne aucun argument pour ou contre les revalorisations tarifaires. Cet arrêt était attendu. L’analyse juridique qui m’avait été apportée était tout à fait claire : il ne faut pas confondre le mode d’exercice et le diplôme. Bien sûr, les médecins généralistes sont des médecins spécialistes et reçoivent des rémunérations qui reconnaissent leur spécialité et certaines qui leur sont propres, comme le forfait ALD. Les psychiatres, qui sont des spécialistes, ont eux aussi des modes de rémunération particuliers.
Mais je vois que la solution n’est pas dans une réponse simpliste. Il faut une réflexion innovante sur les modes de rémunération des médecins libéraux en tenant compte de l’état global des finances publiques de la France.
Y aura-t-il des éléments tarifaires dans le règlement arbitral conventionnel que Bertrand Fragonard doit vous présenter mardi prochain ?
Nous avons eu évidemment de nombreux contacts avec Bernard Fragonard. Mais j’attends de recevoir son rapport pour réagir.
Que retenez-vous du rapport Legmann sur la refondation de la médecine libérale ?
J’ai eu bien évidemment l’occasion d’en discuter avec Michel Legmann. Il y a beaucoup de choses dans ses propositions qui rejoignent la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires], ce qui n’est pas étonnant. Parce que quand on va au fond des choses et qu’on veut bien quitter certains discours convenus, on constate que le titre II de la loi a été bâti à partir des états généraux de l’organisation des soins [les EGOS] et du débat qui avait alors eu lieu avec la médecine de proximité. Le cur du dispositif inscrit dans ce titre II est celui qui a été imaginé par les médecins. Ainsi on retrouve l’exercice en coopération, à la fois horizontal et vertical, on retrouve les SROS [schémas régionaux d’organisation sanitaires] ambulatoires non-coercitifs, on trouve le guichet unique dans les ARS [agences régionales de santé], la démocratie sanitaire, l’éducation thérapeutique…
Ce rapport plaide entre autres pour un assouplissement de certains projets de décrets d’application de la loi HPST jugés vexatoires par certains syndicats médicaux, comme les déclarations d’absence, ou les contrats santé solidarité. Est-ce envisageable ?
Je rappelle qu’un décret, ce n’est pas un troisième tour législatif, c’est l’application de la loi. La loi énonce un principe et le décret doit s’y conformer. L’ensemble des parties prenantes est consulté. Il s’agit bien d’une vraie concertation, et pas seulement d’un simple « porté à connaissance », comme cela se passe trop souvent. Nous sommes réellement dans un travail très approfondi.
Le président de la République m’a confié une feuille de route très stricte qui prévoit notamment que l’ensemble des textes d’application doit être publié pour la date anniversaire de la promulgation de la loi HPST. Nous devrions tenir le calendrier.
Autre projet qui ne fait pas l’unanimité, le DPC. Une révision des modalités prévues est-elle possible ?
Je n’ai pas d’approche théologique sur cette affaire. J’ai indiqué aux différents représentants syndicaux que l’implication des médecins et des différents professionnels concernés (parce que le DPC n’est pas seulement pour les médecins) était essentielle, que des structures étaient d’ailleurs destinées à leur donner un rôle important. Ce sont eux qui bâtissent les programmes, qui sont à la manuvre dans ce qui fait le fond du DPC.
Se pose la question de l’organisme gestionnaire. Sur ce point, j’ai demandé une nouvelle analyse juridique pour savoir si nous pouvons assouplir les choses. J’attends cette analyse, et si je vois qu’une ouverture est possible, nous en étudierons les contours ensemble. Je le redis : je n’ai pas de vision théologique sur le DPC et je n’imagine pas un développement professionnel continu qui ne serait pas élaboré avec les professionnels.
Votre ministère va-t-il piloter la concertation sur la médecine de proximité lancée par Nicolas Sarkozy, et comment l’opération va-t-elle être conduite ?
Une personnalité de grande qualité se verra confier le pilotage de cette mission, et, bien entendu, celle-ci s’appuiera sur le ministère de la Santé dont l’engagement sera total.
Votre ministère publie dans nos colonnes des fiches repères sur la loi HPST, à l’attention des médecins libéraux. Dans quel but ?
Le but, c’est de mieux faire connaître la loi HPST, parce que nous avons été très surpris de voir que quand on parle de l’avenir de la médecine avec des professionnels, ils nous disent qu’il faudrait réformer tel ou tel point. Je leur réponds qu’ils sont en train de me décrire ce qui figure déjà dans la loi HPST – ce qui n’est pas très étonnant puisque cela figurait auparavant dans les EGOS. Il y a aussi des gens qui me parlent, par exemple, du caractère obligatoire du SROS ambulatoire. Je leur dis toujours que ce SROS ambulatoire est exclusivement incitatif, que c’est une qualification du territoire de santé, avec une cartographie qui ne sera pas ce qu’elle est actuellement. Bref il y a d’un côté ceux qui ne sont pas du tout informés, et de l’autre ceux qui sont désinformés. J’ai donc pensé que c’était dans un media comme le vôtre qu’il convenait de faire passer cette information de manière transparente
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