LE QUOTIDIEN : En quoi consiste le dispositif proposé par l’association SPS ?
Dr ÉRIC HENRY : Depuis l’épidémie et le confinement, les soignants ont plus que jamais besoin d’aide et d’accompagnement psychologique. Grâce à l'appui de plusieurs partenaires, nous avons lancé une campagne de communication sur notre dispositif mis en place depuis 2016. Il s'agit d'une plateforme d'écoute 24h/24 et 7 jours sur 7 avec un numéro vert* et une appli mobile Asso SPS. Entre 150 et 200 psychologues cliniciens évaluent la souffrance des appelants qui sont ensuite orientés vers le réseau national du risque psychosocial composé de près de 1 000 psychologues, médecins généralistes et psychiatres. Tous les entretiens menés sont anonymes, respectant le secret médical. Au début de la campagne, nous avons ciblé les soignants des régions les plus impactées comme le Grand Est et l’Ile-de-France, puis Auvergne Rhône Alpes et l’Outre-Mer.
Quel est votre premier bilan ?
En l’espace de cinq jours, le nombre quotidien d’appels est passé de cinq à 200 avec une durée d’écoute moyenne de 15 minutes. Les médecins appellent davantage que les infirmiers et les aides-soignants — et les hospitaliers plus que les libéraux.
Nous avons eu assez peu d’appels de professionnels des services de réanimation. Il existe probablement dans ces structures des cellules locales d’écoute et de prise en charge psychologique. En revanche, nous avons reçu déjà une cinquantaine d'appels de directeurs d’hôpitaux qui vérifient que la plateforme fonctionne et recherchent des conseils pour accompagner leurs équipes. C'est un point positif, cela signifie qu’ils ont pris conscience de l'importance de la prévention du risque psychosocial dans leur établissement. Auparavant, beaucoup refusaient. Et tout, environ 20 % des appels relèvent de chefs de service ou de directeurs.
Que vous disent les soignants en souffrance ?
Beaucoup nous décrivent des cauchemars liés au Covid-19, des troubles du sommeil, de la fatigue, de l’épuisement professionnel. La plupart disent se sentir submergés par la peur d’infecter leurs patients, leur entourage ou par la culpabilité de ne pas aller travailler dans certains cas. C'est avant tout l'anxiété par rapport au coronavirus qui domine chez les soignants avec 30 % des appels.
En même temps, ils n'ont pas envie de laisser leurs collègues en pleine tempête ! C’est une injonction paradoxale qui engendre le stress et la souffrance. Il y a aussi ceux qui sont en colère en raison du manque de moyens de protection, de la pénurie de médicaments. Cette épidémie est particulière car elle peut toucher n’importe qui du jour au lendemain. Chacun est renvoyé à sa propre mort et c’est là que naît l'angoisse ou la peur.
Que faut-il prévoir pour l'après-crise sanitaire ?
Aujourd’hui, il y a une forte mobilisation de nombreux acteurs pour proposer des cellules d'écoute. Les initiatives sont nombreuses et j’en suis heureux. Demain, une fois la crise sanitaire passée, l’association SPS sera prête à travailler avec tous ces acteurs pour renforcer la prise en charge locale.
Il faut inventer des sentinelles pour repérer les soignants qui souffrent afin de les amener vers les centres de consultation. Si le Covid-19 nous aide à structurer nos réponses d’aide à tous les niveaux — de la douleur à la dépression, en passant par l’épuisement professionnel jusqu’au suicide — alors ce sera une belle avancée pour la société.
* Numéro vert : 0 805 23 23 36
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