Sous la pluie battante de Cabourg, Claudine, 80 ans, et son mari patientent sagement devant la porte de ce cabinet d’un nouveau genre. Tout sourire, l’assistante médicale, Sylvie Redouani, les fait entrer. « Je ne vais pas laisser les malades dehors avec un temps pareil », plaisante l’ancienne secrétaire médicosociale, 65 ans, en poste depuis octobre 2023 au sein du Recours médical.
C’est le nom de cet espace de santé libéral ouvert en juin 2023 par deux généralistes urgentistes chevronnées, les Drs Émilie Chaplain, 44 ans, et Claire Dumouchel, 39 ans, afin d’apporter une solution de soins immédiats complémentaire à la médecine générale. « Des études ont démontré que 40 % des patients qui consultent aux urgences pourraient être gérés en ville, plus près de chez eux, au lieu d’attendre huit heures. Notre offre se veut une alternative pour désengorger les urgences », argumente la Dr Dumouchel. D’où l’idée de créer cette structure ouverte de 14 h à 21 h (sauf le mardi), y compris le dimanche et les jours fériés, sans rendez-vous, dans des locaux aménagés et loués par la ville de Cabourg. « Nous prenons en charge des besoins de soins urgents, notamment de traumatologie, sutures, immobilisations, brûlures, plâtres… Mais rien qui soit de l’ordre de l’urgence vitale », précise son associée, la Dr Chaplain. Le site mentionne aussi la pédiatrie, les petites urgences ophtalmos, ORL, dermatologiques ou encore la réalisation d’examens complémentaires.
Contrairement à sa consœur qui exerce encore à temps partiel au CH de Bayeux, la Dr Chaplain, ancienne PH au CHU de Caen, a préféré quitter l’hôpital public pour « retrouver du sens et le contact avec les patients ». Il a fallu huit mois aux deux urgentistes pour rencontrer les acteurs locaux – « y compris les médecins aux alentours » – et le maire et leur présenter le projet. « La mairie a donné son feu vert en nous louant le local avec un bail professionnel et un loyer modéré », raconte la Dr Dumouchel.
Motifs variés et activité soutenue
Situé à deux pas de la mairie, le cabinet de 80 m2 est équipé de deux salles de consultation, une salle d’attente, une réserve avec du matériel médical, un stock de médicaments et un électrocardiogramme. En ce mois de janvier, le flux des patients ne tarit pas. Véronique, 80 ans, qui habite à Cabourg, vient pour la première fois, pour une douleur au dos. « C’est mon kiné qui m’a parlé de ce centre. C’est un soulagement. Je n’ai pas de rendez-vous chez mon médecin avant quinze jours… », témoigne la patiente. À ses côtés, Alice, 13 ans, en visite chez ses grands-parents, a des « plaques » sur tout le corps. « On n’a pas de médecin traitant, confie la maman d’Alice. Heureusement qu’il y a ce centre, sinon j’amenais ma fille aux urgences. » Fernando, 93 ans, arrive d’une petite commune à 20 km de Cabourg. Sans médecin traitant depuis deux ans, cet homme âgé souffre d’une crise de goutte articulaire. « Je vais vous donner ce qu’il faut mais j’aimerais vous revoir pour contrôler l’évolution dans deux jours », rassure la médecin.
Brûlure avec un fer à repasser, douleurs cervicales, plaies… les motifs qui poussent les patients à consulter en cette journée sont variés. Pour chaque patient, l’assistante médicale vérifie l’identité, l’âge, le motif de consultation, le lieu d’habitation, le nom du médecin traitant et priorise les passages. « Et si le patient vient pour une plaie, elle peut faire le pansement », ajoute la Dr Chaplain. Chaque consultation donne lieu à un compte rendu avec courrier au médecin traitant, s’il existe.
Secteur 2 à tarifs maîtrisés
Après 18 mois de fonctionnement, Recours médical affiche en moyenne 25 consultations par jour, hors vacances scolaires. « L’été, où Cabourg passe de 3 500 à plus de 40 000 habitants, on peut dépasser 40 consultations par jour », explique la Dr Chaplain. En 2024, le cabinet a pris en charge près de 6 000 patients dont seulement 4 600 ont déclaré un généraliste traitant. « Les médecins sont surchargés, souligne la Dr Dumouchel. Or, plus la prise en charge est précoce, plus on diminue le risque de complications, d’hospitalisations et de soins lourds. »
« Il n’y a pas de concurrence ; autant que possible, on réoriente les patients vers leur médecin traitant
Dr Émilie Chaplain
Face aux critiques qui fleurissent contre les « dérives » des centres de soins non programmés, les deux urgentistes réaffirment que leur offre est « complémentaire » à la médecine générale. « Il n’y a pas de concurrence, insiste la Dr Chaplain. Autant que possible, on réoriente les patients vers leur médecin traitant ou, via le 15, vers les structures adaptées. Il faut qu’on arrête de nous taper dessus. » En septembre 2024, ce modèle avait été critiqué par le Dr Antoine Leveneur, président de l’URML Normandie. « Alors qu’on manque de bras, on débauche des médecins hospitaliers et on crée des fast-foods médicaux. Cela n’a pas de sens », avait-il taclé.
Au-delà du service rendu aux patients, évident, les médecins à l’origine de Recours médical revendiquent leur « totale liberté ». Installées en secteur 2 avec option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam), elles facturent 50 euros la consultation et 60 euros après 20 h, les samedis, dimanches et jours fériés. Le cabinet pratique le tiers payant, accepte les patients bénéficiaires de la CMU et de la C2S et ne bénéficie d’aucune subvention de la Cnam. « Notre activité permet de rembourser les emprunts, de payer les frais de fonctionnement et les charges. Mais cela reste fragile, on se donne trois ans pour savoir si c’est viable ».
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