Les listes affinitaires de soignants sont-elles le signe d’un repli communautaire ?
Arnaud Alessandrin* : L’existence de ces listes n’est pas nouvelle. Il en existe qui recensent des médecins ou gynécologues plus à l’écoute des femmes, de soignants bienveillants avec les populations LGBT, les personnes grosses ou obèses, ou encore pour aider les personnes transidentitaires à identifier les bons psychiatres ou endocrinologues… Cet été, l’Ordre des médecins s’est indigné face à la constitution d’une liste de médecins supposément non racistes. Or, il ne s’est jamais indigné que des femmes choisissent plutôt des femmes médecins ou que d’autres listes soient constituées par des associations financées par l’État. Mais quand il s’agit de personnes racisées, on crie au communautarisme ! Ce deux poids, deux mesures me semble davantage révéler la vraie nature de l’Ordre des médecins plutôt que celle des auteurs des listes. Si la constitution de ces listes posait problème, l’indignation devrait être la même à chaque fois.
Ces annuaires de médecins traduisent donc un autre mal, selon vous ?
A. A. : En sociologie, nous apprenons que les personnes ne se protègent pas de rien. Elles le font parce qu’elles ont l’expérience ou la peur de la discrimination, stigmatisation ou maltraitance. Ces listes ne sont pas constituées par des personnes qui auraient pour projet politique ou mauvaise intention de faire sécession ou d’être communautaires vis-à-vis de la République. Elles sont le fruit d’expériences de discrimination.
La vision universaliste du soin empêche-t-elle de voir et de lutter contre ces discriminations ?
A. A. : Il existe un mythe égalitaire à la fois utopique et nécessaire. Nécessaire car nous attendons des médecins qu’ils traitent tous les patients de la même façon. Mais c’est un mythe car il est impossible de faire abstraction de nos préjugés, de nos représentations et de nos stéréotypes. Il faut tendre vers l’universalité du soin, mais nous ne sommes absolument pas aujourd’hui dans une égalité de traitement. Il faut sortir du monde médical pour voir comment d’autres professionnels vivent la même tension et comprendre comment ils essaient de résoudre cette problématique. C’est le cas des enseignants lorsqu’ils arrivent en formation. On leur dit dans une même phrase « il faut traiter tous vos élèves de la même façon mais attention, tous vos élèves sont singuliers ». Les citoyens attendent la même chose des médecins. Nous ne sommes plus dans une société où l’on peut faire abstraction des singularités individuelles et communautaires.
Pour lutter contre ces discriminations, l’Ordre des médecins appelle les patients à les signaler, à porter plainte. Est-ce une solution ?
A. A. : L’Ordre des médecins se trompe à traduire la discrimination d’un point de vue juridique. En réalité, les discriminations sont avant tout des sentiments de discrimination. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu discrimination, pas forcément non plus qu’il y a eu intention du monde médical, ni même que les patients sont paranoïaques. Il existe un ensemble de façons de se comporter, de soigner et de toucher qui, pour des populations, donne la sensation véritable d’être moins bien traité que les autres. Et juridiquement, ceci ne tient pas. On ne peut pas porter plainte contre un préjugé ou un stéréotype.
*Arnaud Alessandrin est codirecteur des Cahiers de la Lutte contre les discriminations.
Article suivant
Une mauvaise réponse à de vrais problèmes, selon l’Ordre
Arnaud Alessandrin, sociologue : « Dans notre société, on ne peut plus faire abstraction des singularités »
Une mauvaise réponse à de vrais problèmes, selon l’Ordre
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique