En quinze ans, le nombre de visites a été divisé par trois. Pour garantir l’accès aux soins et le maintien à domicile des personnes âgées de plus en plus nombreuses, l’Assurance maladie se dit prête à élargir la VL (70 euros) aux patients en soins palliatifs, et à ceux en ALD ou de plus de 80 ans « vus pour la première fois par le médecin traitant et en incapacité de se déplacer pour raison médicale ».
Il semble loin le temps où les médecins généralistes se déplaçaient au domicile des patients pour une angine… Depuis le début du millénaire, le nombre de visites effectuées par les omnipraticiens est passé de 77 à 23,3 millions par an actuellement, selon les derniers chiffres de l’Assurance maladie. Cette chute vertigineuse résulte notamment de la signature en 2002 d’un avenant par la caisse et les syndicats de médecins. À l’époque, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) souhaite réduire le nombre de visites superflues. En retour, l’avenant introduit la notion de visite justifiée et accorde une rémunération supérieure (passage de 3 à 10 euros) pour le déplacement des médecins. Finies les visites de confort : les omnipraticiens se concentrent alors sur les seules visites justifiées. Et ce n’est pas pour leur déplaire. « On en faisait trop », reconnaît le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML).
Plus rares, mais plus longues
Avec ce recentrage sur les besoins réels (personnes âgées ou polypathologiques), les visites deviennent chronophages, plus difficiles, « réservées à des patients lourds qui, s’ils ne sont pas grabataires, ont du mal à se déplacer », explique le Dr Gilles Urbejtel, généraliste à Mantes-la-Ville et membre du bureau national de MG France. Le Dr Vermesch évalue ainsi à 45 minutes la durée moyenne d’une visite.
Alors que la population médicale diminue, l’espérance de vie des Français s’allonge et le nombre de personnes âgées grandit. La France passe alors d’un trop-plein de visites à un manque. À tel point qu’il devient difficile, voire impossible pour certains patients de trouver un médecin qui se déplace. En février, dans une lettre au Généraliste, le Dr Dinorino Cabrera, fondateur du SML, s’était offusqué de la situation de sa mère, 94 ans et récemment opérée du coeur, qui ne parvenait pas à trouver un généraliste acceptant de se rendre chez elle au Chesnay (Yvelines). « La visite est indispensable pour le patient polypathologique ne pouvant se déplacer », clame le Dr Vermesch.
Pour autant, la visite ne peut devenir la norme. « Quand il y a pénurie de médecins disponibles, le praticien privilégie le plus efficace pour sa patientèle. Il vaut mieux soigner trois patients au cabinet qu’un seul à domicile », observe le Dr Gilles Urbejtel.
Pas la faute des jeunes
L’arrivée de nouvelles générations de médecins, que d’aucuns pensent moins investies, peut-elle également expliquer cette chute du nombre de visites à domicile ? Début avril, lors du 12e CMGF à Paris, le Pr Serge Gilberg, membre du Collège de la médecine générale, a écarté cette théorie. « J’avais un préjugé, celui que les jeunes médecins font moins de visites. Mais les chiffres montrent le contraire », a-til reconnu. En 2016, 15 % des omnipraticiens avaient entre 30 et 39 ans. Lesquels effectuaient 15 % du total des visites à domicile (données Cnam). D’après les chiffres, chaque tranche d’âge effectue proportionnellement sa part de visites.
Toutefois, « les jeunes médecins n’ont pas envie de passer 60 heures au travail. Cela limite le temps médical. Pour des raisons de rendement, les généralistes privilégient au maximum les consultations, c’est logique », expose le Dr Urbejtel.
Une rémunération inchangée
« Il n’y a aujourd’hui pas assez de visites à domicile », constate le Dr Vermesch. Si leur durée moyenne a augmenté depuis la signature de l’avenant de 2002 par les partenaires conventionnels, sa rémunération est restée inchangée, ne prenant pas en compte le temps pris par les praticiens, ni l’évolution du coût de la vie. « La différence entre les 25 euros d’une consultation et les 35 de la visite ne justifie pas de passer trois fois plus de temps pour un patient », estime le Dr Urbejtel. « Ces visites à 35 euros nous font perdre de l’argent. C’est un problème ! », souligne de son côté le Dr Mickaël Riahi, généraliste à Paris et membre du bureau de la CSMF Jeunes Médecins. Sans compter que les municipalités n’hésitent plus à verbaliser les médecins en visite, malgré leur caducée (voir le dossier du Généraliste).
Pour les syndicats, il est grand temps de revaloriser ces actes primordiaux. « Ce n’est pas le seul levier mais un verrou indispensable à faire sauter, explique le Dr Urbejtel. On ne peut pas demander aux médecins déjà en surcharge de passer plus de temps sur la route qu’au chevet de leurs patients. » Le SML et MG France réclament l’élargissement du périmètre de la visite longue (VL), rémunérée 70 euros (VL + MD), actuellement réservée aux déplacements au domicile des patients atteints de pathologies neurodégénératives. Elle ne peut être cotée que trois fois par an et par patient. Le SML souhaite que la VL concerne tous les patients en affection longue durée (ALD) de plus de 70 ans. MG France réclame qu’elle soit applicable à toutes les visites complexes de patients dépendants. Les praticiens ne se déplaçant plus que pour des visites indispensables, « la cotation VL devrait s’appliquer quasi systématiquement à tous les patients que nous allons voir en visite justifiée », glisse le Dr Riahi.
La visite longue bientôt étendue ?
Interrogée par Le Généraliste début mars sur la possibilité de négociations sur le sujet, la Cnam avait indiqué n’avoir « aucun commentaire à faire sur cette demande des syndicats ». Lors des dernières réunions de négociations conventionnelles, la Caisse a cependant ouvert la porte à un élargissement de la VL aux patients en soins palliatifs, ALD ou de plus de 80 ans « vus pour la première fois par le médecin traitant et en incapacité de se déplacer pour raison médicale ».
« Un premier pas » dont le Dr Vermesch ne se contentera pas, même s’il salue le geste du directeur général de la Cnam, Nicolas Revel. « C’est mieux que rien. L’Assurance maladie craint les conséquences financières, mais les médecins doivent être honorés à leur juste valeur. Un équilibre économique est à trouver pour leurs cabinets », conclut le président du SML.