« Les hôpitaux ne sont pas que des briques et du mortier ; ce sont des entités vivantes capables de fournir des soins de la plus haute qualité. Nous devons donc leur donner les moyens de fournir des soins spécialisés, de prendre en charge des pathologies complexes et de soutenir nos prestataires de soins de santé primaires ». C’est avec ces mots que le Dr Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe, a ouvert une réunion sur l’avenir des établissements de soins en 2023, en présence des pouvoirs publics, de représentants hospitaliers et de partenaires.
En France, alors que le secteur est confronté à de nombreuses crises, l’hôpital se maintient à une place centrale dans le système de soins. Fin 2022, on comptait 1 338 hôpitaux publics, 658 établissements privés à but non lucratif et 980 cliniques privées (chiffres publiés le 20 décembre 2023 par la Drees, ministère de la Santé).
Comme l’observe Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) : « depuis un siècle, l’hôpital public est le lieu où se réalise la promesse républicaine d’un égal accès aux mêmes soins d’excellence, quelle que soit sa situation personnelle ». Et d’appeler les pouvoirs publics à soutenir le secteur : « Notre priorité doit être de donner les moyens à l’hôpital public d’accomplir sa mission de service public. Cela suppose, d’abord, de le financer à hauteur de ses coûts. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui explique le déficit record observé, de plus de 1,5 milliard d’euros. Les surcoûts de l’inflation, les mesures salariales doivent être couvertes ; sans cela, l’investissement ne se redressera pas ».
De son côté, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) a lancé un cri d’alarme sur la situation des cliniques, alors que la revalorisation des tarifs des actes a été limitée à 0,3 % cette année contre 4,3 % pour le public. Face à cette décision, « on doit craindre des fermetures d’établissements, des fermetures de services d’urgences, obstétrique et de chirurgie. Et bien sûr, il y aura un impact sur les investissements et le social, des risques de licenciement de personnels. Tout cela est absolument dramatique », déplorait Lamine Gharbi, président de la FHP, fin avril au Quotidien. Un mouvement de grève se prépare d’ailleurs pour le 3 juin. S’il y a un enjeu d’organisation entre les différents acteurs des établissements de soins, le secteur doit aussi prendre en compte les évolutions territoriales avec l’émergence de nouveaux acteurs en ville, dont les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Et, alors que l’hôpital se bat aujourd’hui pour des moyens pour son fonctionnement, il doit aussi répondre aux nouveaux enjeux. Arnaud Robinet souligne en effet le besoin de « s’adapter aux nouvelles attentes de la société ». Notamment pour le personnel hospitalier. « Il faut réenchanter l’environnement de travail des professionnels, mieux les écouter, leur proposer des évolutions de carrières plus simples. Et, évidemment, lutter pied à pied contre toutes les violences, y compris sexistes et sexuelles. L’attractivité et la fidélisation, mère des batailles de l’hôpital, vont de pair avec ce mouvement », insiste le patron de la FHF.
Notre priorité doit être de donner les moyens à l’hôpital public d’accomplir sa mission de service public
Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)
L’hôpital de demain, un établissement numérique et durable
Si le numérique s’implante depuis plusieurs années, adapter l’hôpital aux futures technologies est toujours d’actualité. Après les programmes Hôpital numérique, Hop’En, le Ségur du numérique en santé entend accompagner les établissements dans leur transformation, balayant les sujets des systèmes d’information, des logiciels métiers, de la cybersécurité… Doté d’un financement de deux milliards d’euros pour l’ensemble du secteur, il vise en effet à « accélérer la modernisation, l’interopérabilité, la réversibilité, la convergence et la sécurité des systèmes d’information », précise l’Agence du numérique en santé.
L’ avenir digital et écoresponsable des établissements de soins était au cœur du symposium international organisé en octobre 2023 en Belgique par la communauté Patient numérique (1). « Deux raisons ont motivé le choix de cette thématique, explique au Quotidien le Dr Thierry Vermeeren, fondateur et responsable scientifique de l’organisation. D’une part, le digital peut faciliter la pratique professionnelle et diminuer la pression extrêmement importante qui pèse sur le personnel hospitalier. À titre d’exemple, l’acquisition d’un robot de charge permettra de manipuler facilement un patient et de prévenir ainsi l’apparition de troubles musculosquelettiques chez les soignants ».
Bonne nouvelle, ces évolutions ne seront pas forcément plus coûteuses. « Mettre face à face la qualité et le coût du soin est une mauvaise idée, poursuit le Dr Thierry Vermeeren, également enseignant à l’EM2C Institute, un pôle européen de formations continues en informatique médicale. Il faut repenser les pratiques en intégrant la technologie, non en la superposant. Autrement dit il convient de distinguer le numérique en santé, qui consiste à introduire des outils digitaux dans un processus de soins, de la santé numérique qui impose de repenser ce même processus à partir de l’aide apportée ou attendue ».
Et le responsable scientifique de la communauté Patient numérique observe : « si la durabilité est une problématique plus récente, de plus en plus de voix s’élèvent pour rendre la pratique hospitalière écoresponsable. N’oublions pas que la santé est à l’origine de 7 % des émissions de gaz à effets de serre. »
Dans son rapport sur l’hôpital du futur, l’OMS appelle d’ailleurs à repenser l’architecture des établissements « en mettant résolument l’accent sur des infrastructures résilientes, adaptables et durables sur le plan environnemental, capables de résister aux aléas tout en accordant la priorité à la sécurité et au confort ».
Il faut repenser les pratiques en intégrant la technologie, non en la superposant
Dr Thierry Vermeeren, fondateur de la communauté Patient numérique
Le Dr Vermeeren signale : « Quant au financement de cette double transition, je répondrai que des hôpitaux ont mis en place de bonnes pratiques sans dépenser davantage et parfois même en réalisant des économies. Le recours à des gaz d’anesthésie non polluants a par exemple un impact économique nul. » Fin avril, l’AP-HP a d’ailleurs publié son bilan carbone. Réalisé à partir des données de ses activités en 2022, il révèle que les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités du groupe hospitalier francilien équivalent à un total de 1,9 M tonnes équivalent CO2 (CO2e) avec une incertitude de +/- 9 %, ce qui correspond à environ 312 kg CO2e d’émissions par journée d’hospitalisation et environ 21 t CO2e d’émissions par ETP. L’AP-HP précise que plus de la moitié de ses émissions sont liées à l’activité de soins. Le groupe a adopté une feuille de route « décarbonation » avec comme premier objectif de réduire de 2,17 % d’émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2024. L’ Agence nationale d’appui à la performance des établissements sanitaires et médico-sociaux (Anap) publie régulièrement des guides pour accompagner les hôpitaux sur les sujets de développement durable et de la responsabilité sociale et environnementale. Elle organise le 25 juin une journée sur le thème : financer sa transition écologique.
Force est néanmoins de constater que le développement de la démocratie sanitaire accompagnera l’hôpital de demain
S’intégrer dans son écosystème
Par ailleurs, les patients jouent le rôle majeur de “levier” dans cette évolution. « De plus en plus sensibilisés à l'écologie, ils apprécient d’avoir un catering non polluant et des gobelets biodégradables. Ils amènent aussi progressivement le corps médical à changer de pratiques car leurs attentes, en matière d’écoresponsabilité ou de numérique, paraissent moins contraignantes que celles de l’institution », souligne le Dr Thierry Vermeeren.
Mais si une nouvelle ère numérique de la démocratie sanitaire est parfois annoncée, le Dr Vermeeren insiste là encore sur quelques préalables : « Être un patient est un état, pas une qualité. Si son vécu, sa relation à la maladie apportent énormément d’informations, il ne faut tomber dans le recueil systématique de son avis car son apport ne sera pas toujours pertinent. Il doit être considéré comme un partenaire, non comme un énième paramètre à prendre en considération. Créons de la valeur ajoutée, pas de la difficulté ! » Force est néanmoins de constater que le développement de la démocratie sanitaire accompagnera l’hôpital de demain. L’ AP-HP par exemple a adopté un plan d’actions sur trois ans pour améliorer l’accueil et l’accompagnement des patients, un programme issu de six mois de concertation auprès de professionnels mais aussi de patients et de leurs représentants.
Parmi les nombreux défis, n’oublions pas son intégration dans l’écosystème santé. Si l’hospitalo-centrisme français est souvent décrié, la tendance est aujourd’hui à l’ouverture ! À l’exemple de la recherche qui sort des CHU pour se faire de plus en plus décentraliser, du développement d’organisation en ville comme les CPTS, ou les services d’accès aux soins (SAS). « L’avenir, c’est aussi le collectif. L’hôpital n’est pas une île et travaillera demain encore davantage avec la ville, avec les élus, avec le secteur privé. C’est très bien. Cela suppose de définir clairement la mission de chacun, et de se doter des bons outils », conclut Arnaud Robinet.
(1) La communauté Patient numérique, créée en 2011, réunit 70 hôpitaux et 40 entreprises du secteur de la santé en Belgique, en France et au Luxembourg.
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