« Vous vous rendez compte : 1 400 euros la journée ! On parle bien du salaire mensuel de beaucoup de Français ! »
Ces mots sont ceux d'Agnès Buzyn, évoquant au cœur de l'été 2018 le plafonnement certes élevé mais nécessaire des pratiques tarifaires des médecins intérimaires à l'hôpital, rémunérés sans cela par les établissements entre « 2000 et 3 000 euros la journée » pour pallier la pénurie médicale dans les spécialités les plus en tension (anesthésie, urgences).
La ministre de la Santé partage son cheval de bataille avec l’Association limousine des usagers de la santé (ALDUS) qui vient de publier dans « Le Populaire du Centre » et « La Montagne », deux grands quotidiens régionaux, une tribune au vitriol sur ces médecins « mercenaires », dénonçant les pratiques et conséquences de certains remplacements sur l'équilibre financier des hôpitaux. Son titre, rageur : « Passées les bornes, il n'y a plus de limites ».
Dénigrement
Fondée en 1982, l'ALDUS regroupe quelques dizaines de membres très attachés à la notion de service public hospitalier et de médecine de proximité. En 2013, le rapport Véran sur l'intérim médical estimait à 6 000 le nombre de médecins intérimaires dans les hôpitaux publics, pour un coût de 500 millions d’euros. Et aujourd'hui ? Le montant global de l'intérim médical reste inconnu. Dans sa tribune, l'association s'insurge en tout cas que certains praticiens « peu scrupuleux » profitent de la position de faiblesse des hôpitaux pour fixer leurs propres conditions de recrutement et faire « monter les enchères ». « Ce système de remplacement obère le budget des établissements, écrivent les usagers. Ceux-ci, à la recherche de personnel, sont obligés de se plier aux exigences de ces remplaçants, alors que des contrats de praticien hospitalier à temps partiel, très encadrés, existent depuis très longtemps. »
« Nous avons relevé dans nos territoires des honoraires excessifs, confirme au « Quotidien » Gérard Abrioux, président de l'ALDUS, qui coûtent aux contribuables comme à la Sécurité sociale. Le récent plafonnement [voir encadré, NLDR] décidé par les pouvoirs publics à 1 400 euros la journée pour un remplaçant hospitalier nous semble disproportionné, au regard de ce que peut gagner un jeune interne corvéable à merci, ou même un généraliste salarié dans un hôpital. »
Outre l'aspect financier, l'organisation reproche aux médecins remplaçants de dénigrer le travail des praticiens en poste, dont le métier « ne consiste pas seulement à faire quelques consultations ». Ils « animent toute une équipe, participent à l’accréditation de leurs services, font évoluer les techniques, font acquérir du matériel nouveau et plus performant, suivent régulièrement des formations d’actualisation médicale, participent à la recherche clinique et fondamentale, à la formation des étudiants, et surtout prennent en charge sur le long terme les patients souffrant de pathologie chronique… Et tout cela avec l’humanité et l’empathie attendues ».
À travers cet hommage aux praticiens hospitaliers titulaires se dégage une nouvelle charge contre leurs homologues remplaçants, accusés de contribuer à la « destruction » du service public hospitalier et de la continuité des soins.
Sur ce constat, l’ALDUS a réclamé aux pouvoirs publics et au conseil de l’Ordre des mesures voire des « sanctions » à l'encontre des médecins intérimaires, sans succès pour l'instant.
Tous dans le même bateau
La puissance de l'attaque des usagers de Limoges a obligé le Syndicat national des médecins remplaçants en hôpitaux (SNMRH) à réagir par la voix de son vice-président, le Dr Jean-Paul Rey. « On ne demande jamais à un pilote de ligne combien il gagne par mois, mais par contre, on n'arrête pas de s’intéresser aux revenus des médecins hospitaliers », a-t-il grincé, lassé que les médecins remplaçants soient les boucs émissaires des difficultés et du déficit des hôpitaux publics. Bien loin de l'image du mercenaire richissime que leur prêtent les critiques, l'anesthésiste-réanimateur insiste sur la précarité des remplaçants hospitaliers et sur leurs difficultés d'exercice.
Il pointe du doigt les défaillances d'un système de santé qui vont au-delà du simple problème de l'intérim médical à l'hôpital. « Le problème réside dans le fonctionnement aberrant des hôpitaux dirigés par des technocrates, qui nous expliquent comment faire notre métier, insiste le Dr Rey. Sur le fond, il n’y a pas de mercenaires, il n’y a que des remplaçants. Ce sont eux et les stagiaires qui font tourner les hôpitaux. Là est le problème. En résumé, le système français est mauvais, mais on continue tant qu’il n’y a pas de catastrophes… »
Au-delà de la situation propre à la Haute-Vienne, cette ligne de défense de l'attractivité de toutes les carrières médicales a convaincu, un temps, le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARe) de se ranger au côté des médecins remplaçants. Cet automne, le SNPHARe est également monté au créneau pour défendre des membres du SNMRH (dont sa présidente), sous le coup d'une plainte ordinale déposée directement par le ministère de la Santé pour comportement contraire à la déontologie. « Cette plainte a fait suite à la publication par le SNMRH de la liste noire des hôpitaux qui plafonnent l'intérim médical et de leur appel à faire grève pendant les vacances scolaires. Sur le fond, nous ne sommes pas d'accord avec ces revendications, mais sur la forme, le ministère ne peut pas les punir de la sorte. S'en prendre ainsi à un syndicat est inadmissible ! » Contacté, le ministère n'a pas été en mesure de nous indiquer si la plainte est toujours en cours.
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne
Denis Thuriot (maire de Nevers) : « Je songe ouvrir une autre ligne aérienne pour les médecins libéraux »