ORL

UNE PERTE DE GOÛT

Publié le 24/05/2018
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L'anosmie olfactive est parfois consécutive à une rhinite aiguë banale, dont le virus neurotrope détruit tout ou partie du neuro-épithélium olfactif. Son pronostic peut être sombre, avec l'absence de récupération dans 40 % des cas. Ce trouble olfactif retentit sur le psychisme des patients et s'accompagne d'un syndrome dépressif dans la moitié des cas.
Examen TDM

Examen TDM
Crédit photo : Pr PIERRE BONFILS

Avril 2018 - Madame C., âgée de 59 ans, consulte pour une perte du goût survenue voici trois mois et demi, quelques jours après les fêtes de Noël. Elle n'a pas d'antécédent notable hormis un reflux gastro-oesophagien traité depuis plusieurs années par de l'oméprazole avec succès. Elle est en période post-ménopausique et elle ne prend pas de traitement hormonal substitutif. Elle n'a jamais eu d'autre problème ORL auparavant, notamment aucun épisode identique de perte du goût, aucun symptôme permettant d'évoquer un dysfonctionnement rhino-sinusien chronique (pas d'obstruction nasale, de perte de l'odorat, de rhinorrhée, de douleur ou de pesanteur faciale chroniques).

L'interrogatoire révèle que cette perte du goût a été consécutive à un épisode infectieux ORL, que la patiente dénomme une "grippe", survenue durant cette période. Durant l'infection nasale aiguë, elle avait, dans un contexte légèrement fébrile (38 °C) : le nez bouché de façon bilatérale, une rhinorrhée antérieure initialement claire, puis après deux jours, de rares éternuements et peu ou pas du goût. Au bout d'une dizaine de jours, les symptômes de la rhinite aiguë se sont atténués : l'obstruction nasale s'est amendée en quelques jours, la rhinorrhée a disparu comme la fièvre mais le goût n'est pas réapparu. Madame C. a attendu mais trois mois et demi plus tard, il n'en est rien : si elle perçoit dans les aliments leur caractère sucré ou salé, elle a perdu toute la finesse du goût. Elle est incapable de ressentir la saveur fine de la plupart des aliments. Les divers types de viande ont le même goût, de même que et l'eau et le vin, dont elle capte juste une légère amertume. Quelque peu désespérée, elle éprouve des difficultés à cuisiner : elle ne sait plus si les plats préparés sont bons. Elle a perdu tout désir de passer à table, de recevoir des amis à dîner, chaque repas étant une souffrance. Elle a l'impression de manger une sorte de "carton" plus ou moins salé, ou plus ou moins sucré mais sans aucune saveur. Le moral n'est pas bon… Elle n'en a parlé pour l'instant à personne de son entourage.

L’ANALYSE SÉMIOLOGIQUE

Cette analyse de l'interrogatoire permet de progresser considérablement vers le diagnostic. Il convient donc d'attribuer à chacun des symptômes la valeur sémiologique adaptée.

Madame C. se plaint d'une "perte du goût". En réalité, il ne s'agit pas d'une "perte de goût" réelle car la patiente perçoit le sucré et le salé. La perception du sucré et du salé repose sur les papilles gustatives. Ce dont se plaint Madame C. est une "perte de la flaveur" : elle n'est plus capable d'effectuer une analyse fine des aliments qu'elle porte dans sa cavité orale. Ceci est toujours secondaire à une perte de l'odorat. Néanmoins, beaucoup d'hommes et de femmes ne perçoivent pas, dans une telle circonstance, que la perte sensorielle est olfactive ; ceci est souvent lié à une sous-utilisation du sens olfactif à notre époque. Il est d'ailleurs marquant que, dans ces circonstances, le patient affirme le plus souvent qu'il a un odorat normal (seuls des tests permettraient alors d'affirmer la perte olfactive).

→ Certains symptômes sont absents : Madame C. ne présente actuellement aucun symptôme permettant de suspecter l'existence d'un dysfonctionnement rhino-sinusien : ni obstruction nasale, ni rhinorrhée, ni douleur faciale… et elle n'a jamais eu auparavant de tels symptômes. L'interrogatoire ne permet donc pas de rattacher cette perte de la flaveur – et donc de l'odorat – à une maladie rhino-sinusienne chronique, notamment à une polypose naso-sinusienne (voir tableau).

→ Le point essentiel de l'interrogatoire est l'épisode rhino-sinusien aigu qui a précédé la perte sensorielle. Madame C. a eu un épisode classique hivernal viral qui s'est amendé spontanément en une dizaine de jours, comme cela est habituel. Fait essentiel, la perte de la flaveur (de l'odorat) a été immédiatement consécutive à cet épisode : elle n'a pas été ressentie quelques semaines après l'infection virale. Nous pouvons donc porter le diagnostic d'anosmie post-rhinitique (post-rhinitique signifie dans ce contexte : post-rhinite aiguë et non pas post-rhinite chronique) sur les seules données de l'interrogatoire.

L'EXAMEN CLINIQUE

→ Effectué par le médecin généraliste, cet examen ne peut être que limité dans ce contexte ; il convient de vérifier que la cavité orale est bien normale : elle doit l'être devant un tel tableau clinique. L'examen des cavités nasales par une simple rhinoscopie antérieure avec un spéculum de nez, sans possibilité d'effectuer une fibroscopie nasale (geste réalisé par les ORL en consultation), a une faible valeur diagnostique : elle permet de vérifier l'absence de gros polypes dans les cavités nasales mais la normalité de cet examen au spéculum ne permet pas de conclure à une stricte normalité des cavités nasales. Seul l'ORL avec un fibroscope pourrait examiner correctement la cavité nasale jusqu'au rhinopharynx. Il n'est néanmoins pas nécessaire de recourir à l'aide de l'ORL à ce stade. En effet, le diagnostic d'anosmie post-rhinitique repose sur l'interrogatoire. Il s'agit d'une perte de l'odorat – et de la flaveur – immédiatement consécutive à une rhinite aiguë virale.

LES EXAMENS COMPLEMENTAIRES DE PREMIÈRE INTENTION

→ Aucun examen complémentaire n'est utile à ce stade. L'anosmie post-rhinitique est liée à une destruction plus ou moins importante du neuroépithélium olfactif, c'est-à-dire de l'organe de l'odorat. Aucun examen complémentaire ne permet de visualiser de telles lésions.

→ Un seul examen paraclinique pourrait être utile si certains éléments sémiologiques étaient notés lors de l'interrogatoire : ce serait la présence, avant la perte de la flaveur ou persistant depuis, de symptômes pouvant faire évoquer un dysfonctionnement rhino-sinusien ancien et peu invalident : une obstruction nasale, une rhinorrhée notamment postérieure. Si tel était le cas – mais nous avons souligné l'absence de ces symptômes chez Madame C. –, un examen tomodensitométrique (ou un ConeBeam) des cavités naso-sinusiennes, en coupes axiales, coronales et sagittales, sans injection de produit de contraste serait indiqué.

→ En effet, le seul diagnostic différentiel avec celui d'anosmie post-rhinitique est une anosmie liée à une polypose naso-sinusienne révélée lors d'une infection nasale aiguë (tableau). Mais l'anosmie dans la polypose naso-sinusienne est toujours précédée ou associée de signes rhino-sinusiens évoluant souvent depuis des années (mais parfois peu pris en compte par le patient car peu invalidants). Au moindre doute, il est donc préférable de demander un examen tomodensitométrique des cavités naso-sinusiennes. Dans le cadre de l'anosmie post-rhinitique, cet examen doit être strictement normal, en particulier au niveau des fentes olfactives et du massif ethmoïdal (figures A, B et C).

LE TRAITEMENT

→ L'anosmie post-rhinitique est d'origine neurosensorielle. Il n'existe donc aucun traitement, qu'il soit local ou général, permettant d'améliorer cette situation clinique.

→ Il convient avant tout d'informer la patiente sur son devenir olfactif et gustatif. Durant la période virale initiale, les virus en cause (probablement neurotropes) ont détruit le neuroépithélium olfactif.

Dès lors, deux solutions : soit la destruction de l'organe est malheureusement totale et il n'y aura pas de récupération (40 % des cas environ), soit la destruction de l'organe est partielle et il y aura une possibilité de récupération spontanée et partielle (60 % des cas). Cette récupération est liée à la multiplication et à la différenciation de pré-neurones olfactifs, posés sur la membrane basale, qui vont progressivement remplacer les neurones olfactifs détruits par le virus. Cette multiplication et cette différenciation neuronale sont longues : les premiers signes de récupération arrivent rarement avant le 6e-9e mois. Aucun traitement ne permet de favoriser cette repousse neuronale.

→ Signalons qu'à la phase de récupération peut apparaître une parosmie, souvent isolée mais dont la perception affole les patients : dans ce cas, la patiente percevra des odeurs mais ces odeurs seront transformées, souvent très désagréables (odeur de brûlé, d'excrément). Bien que désagréable – et transitoire –, cette parosmie est de bon pronostic car elle signe que l'organe de l'odorat est en cours de "réparation". La parosmie peut durer plusieurs semaines à plusieurs mois, mais finit par disparaître pour laisser la place à un odorat sans parosmie.

CONCLUSION

Le médecin généraliste, devant un tel cas clinique, peut donc conduire seul, sans l'aide d'un ORL, l'étape diagnostique et thérapeutique.

→ Le diagnostic d'anosmie post-rhinitique est posé sans difficulté à partir de l'analyse sémiologique des symptômes. Il faut savoir demander un examen tomodensitométrique des cavités naso-sinusiennes au moindre doute (diagnostic différentiel avec une polypose naso-sinusienne) : en cas de doute, l'aide d'un ORL sera nécessaire.

→ Le médecin généraliste veillera à surveiller l'état psychique de la patiente car ces atteintes brutales neurosensorielles sont associées dans plus de 50 % des cas à un épisode dépressif qu'il ne faut pas négliger, surtout s'il n'y a pas de récupération : la perte de l'odorat et de la flaveur a un retentissement majeur sur la qualité de la vie. Ces anosmies post-rhinitiques sont la première cause de perte de l'odorat et de la flaveur dans le monde.

LIENS D'INTÉRÊTS

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.

RÉFÉRENCE

1- Le Livre de l'Interne en ORL, sous la direction de Pierre Bonfils. Éditions Lavoisier, 2e édition, 2017, 800 pages (format poche).


Pr Pierre Bonfils (chef du service d'ORL et de chirurgie cervico-faciale. Hôpital européen Georges Pompidou. 75015 Paris. Email : pierre.bonfils@aphp.fr)

Source : Le Généraliste: 2836