Etude et pratique

"SPRINT", UN ESSAI QUI CHANGERA LES RECOS ... ET LES PRATIQUES DANS L'HTA

Publié le 08/01/2016

Chez les patients hypertendus non diabétiques, mais à haut risque cardio-vasculaire, abaisser la PAS à 120mmHg permet de réduire la mortalité.

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Crédit photo : CRISTINA PEDRAZZINI/SPL/PHANIE

Essai randomisé comparant un contrôle intensif de la pression artérielle versus un contrôle standard

The SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial) Research Group. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Controls N Engl J Med 2015;373:2103-16.


CONTEXTE

Les études observationnelles en population générale ont montré que le risque de mortalité cardiovasculaire augmentait linéairement à partir d’une pression artérielle systolique (PAS) ≥ 115 mmHg (1). La recommandation pour la pratique de la Société française d’hypertension de 2013 (celle de la HAS de 2005 a été « suspendue » en 2011) préconise une cible de pression artérielle systolique < 140 mmHg pour les hypertendus et < 150 mmHg pour ceux âgés de plus de 80 ans (2).

Cependant, ces cibles sont le fruit d’un consensus d’experts, car aucun essai n’avait comparé un contrôle plus intensif de la PAS versus < 140 mmHg, sauf chez les patients diabétiques de type 2 (DT2). Les résultats d’une telle comparaison étaient négatifs dans ACCORD (3), et positifs dans UKPDS 38, mais avec un très faible niveau de preuve (4). De ce fait, la cible optimale de PAS à atteindre pour les patients hypertendus non diabétiques était incertaine.
 

OBJECTIF

Évaluer l’effet d’un contrôle intensif de la PAS (< 120 mmHg) versus le contrôle recommandé (< 140 mmHg) sur les complications cardiovasculaires cliniques des patients hypertendus traités.
 

MÉTHODE

Essai randomisé en ouvert d’une durée maximale de 6 ans avec adjudication indépendante des évènements cliniques en insu de la randomisation.

Pour être inclus, les patients devaient avoir une HTA traitée, une PAS comprise entre 130 et 180 mmHg, être âgés d’au moins 50 ans et soit avoir un haut risque cardiovasculaire défini par un score de Framingham à 10 ans ≥ 15%, soit un débit de filtration glomérulaire (DFG) compris entre 20 et 60 ml/mn/1,73 m2 (MDRD), soit des antécédents de maladie cardiovasculaire (sauf AVC), soit un âge ≥ 75 ans.

> Les quatre principaux critères de non inclusion était le DT2, un antécédent d’AVC, une insuffisance rénale sévère (DFG < 20 ml/mn/1,73 m2) et l’insuffisance cardiaque (symptomatique ou fraction d’éjection systolique ventriculaire gauche < 30%).

> Les patients ont été randomisés, soit dans le groupe contrôle standard (PAS < 140 mmHg), soit dans le groupe contrôle intensif (PAS < 120 mmHg). Le traitement a été ajusté (trimestriellement) pour atteindre ces cibles selon l’algorithme utilisé dans ACCORD (3). La PAS (moyenne de 3 évaluations) a été mesurée avec un tensiomètre électronique après 5 minutes de repos en position assise.

> Le critère de jugement principal composite comprenait les infarctus du myocarde (IdM), les syndromes coronaires aigus sans IdM, les AVC, les décompensations d’insuffisance cardiaque et les décès cardiovasculaires. Les critères de jugement secondaires étaient chaque composant du critère principal, la mortalité totale, et le critère principal + la mortalité totale. Sur la base d’un taux de 2,2% d’évènements/an dans le groupe standard et pour observer une réduction de 20% des évènements sur le critère principal dans le groupe intensif avec une puissance de 88,7% et un risque alpha < 5%, il fallait inclure 9 250 patients. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel stratifié sur les 102 centres investigateurs.
 

RÉSULTATS

Parmi les 14 692 patients éligibles, 9 361 ont été randomisés. A l’inclusion, les caractéristiques des patients étaient comparables entre les groupes. L’âge moyen était de 67,9 ans (28% ≥ 75 ans) et 64% étaient de genre masculin. La PAS moyenne était de 139,7/78,2 mmHg, le score de Framingham moyen à 10 ans de 20,1%, et 28% des patients avaient un DFG < 60 ml/mn/1,73 m2. Les patients prenaient en moyenne 1,8 médicament antihypertenseur.

> L’essai a été prématurément interrompu après 3,2 ans à la suite de deux analyses intermédiaires prévues montrant une différence significative entre les groupes. A 3,2 ans, la PAS était de 121,5 mmHg dans le groupe intensif et 134,6 mmHg dans le groupe standard (différence = 13,1 mmHg). Les patients du groupe intensif prenaient 2,8 antihypertenseurs et ceux du groupe standard 1,8.

> Il y a eu 243 (5,2%) évènements du critère principal dans le groupe intensif et 319 (6,8%) dans le groupe standard : HR = 0,75 ; IC95% = 0,64-0,89, nombre de sujets à traiter (NST) pendant 3 ans pour éviter un événement = 63 (Figure 1). Il y a eu aussi une réduction significative des insuffisances cardiaques décompensées : HR = 0,62 ; IC95% = 0,45-0,84, NST 3 ans = 125, des décès cardiovasculaires : HR = 0,57 ; IC95% = 0,38-0,85, NST 3 ans = 167, et de la mortalité totale : HR = 0,73 ; IC95% = 0,60-0,90, NST 3 ans = 271 (Figure 2). Il n’y avait pas d’interaction avec l’insuffisance rénale, l’âge < ou ≥ 75 ans, le genre, le niveau de prévention (primaire ou secondaire) ou la PAS à l’inclusion.

> En termes d’effets indésirables, il y a eu significativement davantage d’hypotensions : NST pendant 3 ans pour observer une hypotension supplémentaire = 72, de syncopes : NST = 91, d’anomalies électrolytiques : NST = 100, et surtout d’insuffisance rénale aiguë : 4,4% vs 2,6%, NST = 56.

 

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COMMENTAIRES

SPRINT est un essai gigantesque financé par le système de santé Etatsunien (hors industrie pharmaceutique). Il répond à une question qui agitait le monde de l’hypertension depuis des années. L’hypothèse qu’une cible de PAS < 120 mmHg (vs 140 mmHg) était susceptible de diminuer les complications cardiovasculaires des hypertendus non diabétiques avait été émise par le National Heart, Lung, and Blood Institute en 2007, mais jamais vérifiée (5).

 > Pour résumer, ajouter un médicament antihypertenseur à des hypertendus traités non diabétiques, âgés de plus de 50 ans, à haut risque cardiovasculaire (20% à 10 ans) et dont la PAS est > 130 mmHg réduit de :

- 25% les complications cardiovasculaires en 3 ans, 38% les décompensations d’insuffisance cardiaque, 43% la mortalité cardiovasculaire, et 27% la mortalité totale;

- au prix d’une augmentation de 71% des épisodes d’insuffisance rénale aiguë (4,4% vs 2,6%).

Cependant, ces résultats ne concernent pas :

- les patients diabétiques alors que 84% d’entre eux ont une PAS > 130 mmHg (6), et que 27% des hypertendus sont diabétiques (7).
- les patients avec antécédent d’AVC, d’accident vasculaire transitoire ou d’insuffisance cardiaque.
- les patients ayant une insuffisance rénale sévère (DFG < 20 ml/mn/1,73 m2);

Ces limites liées aux critères de non inclusion font qu’il ne faut surtout pas « sprinter » pour abaisser la PAS de TOUS les hypertendus à 120 mmHg. SPRINT montre que la balance bénéfice/risque d’un contrôle de la PAS à 120 mmHg est favorable, uniquement dans la population concernée.

En pratique, c’est assez simple : il suffit d’ajouter un antihypertenseur au traitement des patients hypertendus âgés de plus de 50 ans, indemnes de DT2, d’insuffisance rénale sévère ou cardiaque et d’antécédent d’AVC, et dont la PAS est > 130 mmHg, en surveillant étroitement la fonction rénale, la natrémie et la kaliémie.

Docteur Santa Félibre, médecin généraliste enseignant
HTA

Source : lequotidiendumedecin.fr