Exercice

PARLER LIBREMENT DE NOS ERREURS MÉDICALES

Publié le 29/04/2011
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Nos décisions et comportements au cours des consultations sont souvent influencés par des facteurs extérieurs qu’il est nécessaire de connaître et d’analyser, pour mieux les dominer et diminuer les erreurs médicales qu’ils peuvent engendrer.

Mademoiselle Anne, 22 ans, que son médecin connaît depuis l’heure de sa naissance, a établi avec lui une relation de confiance forte, elle connaît son respect du secret médical. Elle avait consulté pour un test de grossesse, positif et désirait une IVG. Elle n’avait pas de relation fixe, pas de contraception et c’était au cours d’un « rapport d’un soir » mal protégé qu’elle serait « tombée enceinte ». Les modalités de l’IVG avaient été expliquées et elle avait été orientée vers le centre d’orthogénie de la ville. «Si ma mère apprenait cela, ce serait dramatique… » Elle avait demandé à son médecin de « surtout ne rien dire». Bien entendu, le médecin de famille connaissait et suivait sa mère et ses frères. Une interruption médicamenteuse avait pu être réalisée, sans problème et une contraception a été prescrite comme en témoignait une lettre du centre d’orthogénie. Quelques mois plus tard, à son retour de vacances, son remplaçant lui fait part d’un problème survenu au cours d’une consultation qu’il a eu la mère d’Anne … dont le prénom est Anne-Françoise ! En ouvrant son dossier il a vu qu’une IVG lui avait été proposée et l’a questionnée sur la façon elle s’était déroulée… celle-ci fort surprise de cette question a bien voulu croire à l’erreur de saisie dans son dossier, mais a été très perturbée le reste de la consultation… elle venait pour une lombalgie !

COMPRENDRE COMMENT L’ERREUR A PU SE PRODUIRE.

La première démarche consiste à analyser l’erreur et à reconstituer sa ou ses causes. Après vérification, l’IVG avait été notée dans le dossier d’Anne-Françoise la maman et pas dans le dossier d’Anne, la patiente. Comment le médecin a-t-il pu se tromper ? A-t-il ouvert le mauvais dossier (vraisemblablement de toute façon), à cause de la similitude de prénom ? S’est-il agi d’une de ces nombreuses pannes d’imprimante avec rédaction des ordonnances à la main (pas de contrôle visuel du nom qui aurait été imprimé et qui aurait pu interpeller la patiente) ? Le médecin a -t-il été dérangé pendant la consultation par un coup de fil ? Etait-il préoccupé par une histoire personnelle ou un autre dossier ?

COMMENT ABORDER L’ERREUR AVEC LE PATIENT ?

Le médecin est en droit de se poser plusieurs questions : la mère en a-t-elle parlé à sa fille ? Si elle en parlé, comment la patiente a-t-elle réagi ? Comment le médecin va-t-il s’y prendre pour conserver la relation de confiance qu’ils avaient tous les deux avant cet incident ? Comment expliquer cette erreur à la patiente ? Cette situation peut être extrêmement anxiogène pour le médecin qui peut être totalement envahi par ce problème et ne plus savoir ni quoi faire ni quoi penser… Une chose est certaine, c’est qu’il ne peut rester seul avec ce poids ; il faut qu’il en parle avec ses collègues et qu’il réfléchisse à la façon dont on peut prévenir la récidive d’une situation aussi désagréable potentiellement source de « burn out ». Tout au long d’une carrière de médecin, des erreurs minimes surviennent qui n’ont le plus souvent aucune suite et dont médecin et patient s’amusent pour finir et ce d’autant qu’une bonne relation a été construite préalablement. Mais la relation doit être transparente, les erreurs ouvertement désignées. Ce sont ces petits faits, qui le plus souvent sans conséquence, mais qui se doivent d’être repérés pour mettre en place des stratégies qui permettent de les éviter.

L’UTILITÉ DES GROUPES DE PAIRS

Discuter de faits de ce type, d’erreurs d’allure banale, mais pouvant parfois avoir une issue dramatique, est une nécessité. Nous ne pouvons rester seuls. Le faire avec des pairs est important, cela permet de dédramatiser les choses, d’avoir un effet apaisant et libératoire. Instaurer ce type d’échanges permet de trouver des méthodes pour réduire les facteurs extrinsèques perturbants qui influencent nos comportements, gestes et décisions et de s’approprier des outils d’aide.

Cependant, il peut être sclérosant de rester entre pairs. La supervision par un no médecin [juriste ou philosophe par exemple] permet d’élargir le débat éthique et la réflexion autour de nos erreurs, et d’en assurer une meilleure gestion. Dans le cas présenté, le groupe a bien entendu évoqué l’acte manqué d’un médecin père d’une fille du même âge que sa patiente, mais au-delà de ce regard psychanalytique, il a évoqué également la responsabilité partagée (celle du remplaçant, qui n’avait peut-être pas à questionner sur ce fait), et cherché à mettre en avant les facteurs extérieurs pouvant influencer ce type d’erreur. Il a été proposé de noter ces facteurs à chaque fois qu’une erreur de ce type arrivait et que l’on en prenait conscience immédiatement (fait que l’on a tendance à négliger ou prendre avec humour en général).

À travers 3 situations cliniques “d’erreurs”, les auteurs de cet atelier essaieront au décours de notre atelier au congrès de la Médecine Générale de Nice, en Juin prochain, de vous faire partager cette expérience et vous inciter à mettre en place un tel groupe.

Dr Patrick Ouvrard (Responsable de la Communication SFTG. Médecin généraliste à Angers).

Source : Le Généraliste: 2562