Organisation des soins

LES RISQUES DU « NOMADISME » MEDICAL

Publié le 09/03/2012
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La méthode EVISA, est une méthode d’analyse de pratique qui permet le repérage des événements indésirables liés aux soins ambulatoires, d’estimer leur fréquence et leur gravité, d’évaluer leur « évitabilité ». De l’importance d’organiser un suivi.

Mme F., 39 ans, patiente de votre cabinet, vous consulte pour des douleurs du pied droit évoluant depuis trois semaines. Elle vous apporte des radios, prescrites en votre absence par un confrère, mettant en évidence une fracture déplacée du 2ème métatarsien. Vous apprenez que les symptômes ont débuté après une longue marche en « tongs » dans les rues de Paris. Le lendemain, la patiente a ressenti des douleurs à la station debout et a consulté au bout d’une semaine votre confrère. Celui-ci a évoqué un échauffement plantaire dû à la longue marche et a prescrit du repos et un antalgique de palier 1.

Les douleurs s’aggravant, Mme F s’est rendue aux urgences où un diagnostic de tendinite a été posé et deux applications quotidiennes d’un gel anti-inflammatoire local prescrites.

Toujours souffrante, Mme F. est revenue vers le premier médecin, qui a ordonné des radios du pied qui ont mis évidence une fracture déplacée du 2ème métatarsien. Mme F vous consulte alors et vous explique qu’elle ne s’est jamais « cogné le pied ».

Vous lui expliquez ce qu’est une fracture de fatigue, vous prescrivez la mise en décharge du membre, des cannes anglaises et radiographie de contrôle à J10.

Deux semaines plus tard, sa radiographie montre une forte aggravation du déplacement fracturaire. Mme F. n’a pas respecté la mise en décharge et a repris ses activités habituelles. Vous insistez sur la nécessité de l’immobilisation du pied durant six semaines et l’adressez à un orthopédiste. Vous revoyez deux mois après Mme F., totalement asymptomatique et en pleine capacité physique.

ANALYSE PAR LA METHODE EVISA

EVISA est une méthode qui permet d’identifier et d’analyser les événements indésirables (EI) liés à la médecine générale dépistés à l’admission à l’hôpital. Mise au point par le Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine en 2009, la méthode EVISA (en 5 points) fournit un cadre général d’analyse des EI pour la médecine de ville. Elle est adaptée de la méthode ALARM (Association of litigation and risk management) prévue à l’origine uniquement pour l’hôpital.

-› Le cas de Mme F. est un bon exemple d’une succession d’événements ayant transformé, par retard de diagnostic, une banale fracture de fatigue en un déplacement fracturaire avec cal osseux. Cet événement indésirable aurait pu aboutir à des complications évoluant vers la chronicité comme une algoneurodystrophie.

-› Après cette première étape, la méthode EVISA permet d’analyser les causes immédiates et les causes latentes, nommées aussi causes profondes, d’un événement indésirable pour juger de l’évitabilité supposée de cet événement et, enfin, proposer des actions préventives.

Pour le cas présenté, la cause immédiate est la poursuite de la marche malgré la présence d’une fracture.

Les causes latentes sont :

- Le « nomadisme » médical, c’est-à-dire la prise en charge hors du parcours de soins coordonné par le médecin traitant (il a été ici consulté en dernier !) ;

- Le manque de communication entre médecins (aucune transmission orale ou écrite entre eux) ;

- Une prise en charge « routinière » ne permettant pas aux médecins l’évaluation clinique nécessaire pour suspecter d’emblée le diagnostic de fracture de fatigue, pourtant possible dès la première consultation après une semaine d’évolution ;

- L’inobservance du traitement par la patiente, favorisée par l’absence de suivi clairement organisé par les premiers médecins consultés.

L’identification des causes latentes est permise par la recherche des différences entre le parcours et le contexte habituels de gestion d’une pathologie et la situation particulière du cas étudié.

-› À quoi sert cette analyse ?

Elle propose des actions d’amélioration ciblées sur les causes latentes comme :

- Le rappel du bénéfice à consulter d’abord son médecin traitant qui doit a priori être le plus légitime pour prendre en charge initialement son patient, hormis pour l’urgence vitale ;

- La prévention du « nomadisme » médical en incitant fortement le patient au retour vers le prescripteur initial, pour une prise en charge optimale ;

- L’écoute attentive des plaintes du patient par le médecin ;

- La mise en place de protocoles, fiches, alertes ou aide-mémoire informatisés en lien avec le type d’événement analysé ;

- La participation à des groupes d’échanges rassemblant les médecins généralistes et les médecins urgentistes, se basant sur des situations complexes impliquant la ville et l’hôpital.

-› Dans le cas clinique présenté, l’évitabilité du déplacement fracturaire semble probable si le diagnostic avait été porté plus tôt et si la patiente avait respecté les consignes d’immobilisation du pied.

Dr Frédéric Villebrun (médecin généraliste et HAS), Pr Jean Brami (médecin généraliste et HAS), Pr René Amalberti (Prévention médicale et HAS).

Source : lequotidiendumedecin.fr