La durée de séjour en maternité s’étant désormais beaucoup réduite, l’ictère néonatal, qui était à l’origine un problème de néonatologiste, devient parfois une pathologie à gérer en cabinet libéral. Il faut absolument repérer l’ictère intense à traiter par photothérapie, ainsi que la cholestase et ses urgences : l’atrésie des voies biliaires — urgence chirurgicale — et l’insuffisance hépatique avec son risque hémorragique.
INTRODUCTION
En période néonatale, certains nouveau-nés font un ictère, en général modéré et qui disparaît rapidement : c’est l’ictère physiologique. Mais si la plupart des ictères régressent en une semaine, certains ne vont pas avoir cette évolution classique, et la constatation d’un ictère chez un nourrisson de moins de 1 mois nécessite une vigilance particulière.
Deux points sont importants à connaître : l’ictère à bilirubine libre intense est à traiter très rapidement par photothérapie intensive pour éviter l’ictère nucléaire ; et l’ictère à bilirubine conjuguée nécessite une enquête étiologique afin d’écarter rapidement l’atrésie des voies biliaires qui correspond à une urgence chirurgicale.
L’ictère est la principale cause de ré-hospitalisation dans les deux premières semaines de vie.
La majeure partie des problèmes liés à l’ictère du nouveau-né sont vus en maternité, mais la brièveté des séjours augmente le risque d’avoir à s’occuper d’un ictère du nourrisson en médecine de ville. C’est l’occasion de rappeler l’importance de la visite recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS) entre J10 et J15 postnatal (1).
L’ictère physiologique et l’ictère au lait de mère ne seront que des diagnostics d’élimination.
PHYSIOPATHOLOGIE
L’ictère de la période néonatale est la conséquence d’un déséquilibre du métabolisme de la bilirubine. Ce dernier comporte trois étapes :
• la production (par dégradation de l’hème issue de la destruction des hématies),
• la conjugaison (au niveau du foie),
• l’excrétion (fécale et urinaire).
En temps normal, il y a un équilibre entre ces trois étapes et le taux de bilirubine sanguine (TBS) est quasiment nul.
Chez un nouveau-né, des conditions particulières aboutissent à une hyperbilirubinémie :
• par un excès de production : à la naissance, l’hématocrite est élevée et la durée de vie des hématies est plus courte,
• par immaturité hépatique rendant la conjugaison plus faible,
• par l’absence de colonisation intestinale rendant le cycle entérohépatique moins performant (2) (3).
DIAGNOSTIC
L’ictère ou jaunisse se manifeste par une coloration jaune des téguments (peau, conjonctives et muqueuses). Cette coloration est liée à la présence de bilirubine au niveau cutané, c’est un reflet indirect de l’hyperbilirubinémie sanguine.
Le diagnostic d’ictère est clinique. Même si un œil averti ne repère un ictère qu’à partir de 50 µmol/L, cela reste suffisant pour repérer les ictères après la sortie de maternité. L’évolution de l’ictère étant crânio-caudale, un ictère au niveau des membres inférieurs, surtout s’il atteint la plante des pieds, est le signe d’une hyperbilirubinémie élevée.
L’évaluation d’un ictère est plus difficile sur peau noire ou asiatique, cela expose à un risque de sous-estimation, il faut donc dans ce cas bien examiner les conjonctives.
À l’examen clinique, on appréciera l’état général, la prise de poids et on recherchera soigneusement une hépatomégalie.
L’examen sera complété par la couleur des selles et des urines. Ces éléments font partie des items qu’il est recommandé de chercher à la visite entre J10 et J15 post-natal (1) et bien sûr à revérifier à la visite du premier mois.
ENQUÊTE
La constatation d’un ictère impose de vérifier plusieurs éléments :
→ La date d’apparition Elle permet de classer les ictères en deux groupes : les ictères précoces apparus dans les 24 premières heures de vie, qui sont gérés en maternité, et les ictères tardifs apparus au-delà de 72 heures de vie (2).
→ L’évolutivité Il est important de se renseigner sur l’évolutivité. Et de savoir si l’ictère a nécessité une surveillance particulière, voire un traitement par photothérapie intensive en maternité. Il est fréquent qu’en maternité, les nouveau-nés aient une surveillance systématique quotidienne de la bilirubine transcutanée par bilirubinomètre transcutané ou flash. On pourra alors s’enquérir de l’évolution de la courbe, notamment au moment de la sortie : était-elle stable, en augmentation ou en diminution (2) (3) ?
→ La notion de facteurs de risque Certaines circonstances vont être des facteurs aggravant pour l’évolution d’un ictère. C’est le cas pour :
• un âge gestationnel inférieur à 38 SA,
• un ictère d’apparition précoce,
• une incompatibilité fœto-maternelle dans les groupes sanguins ABO ou autres (un dépistage systématique est fait en fin de grossesse avec la recherche d’agglutinines irrégulières),
• un antécédent familial de maladie hémolytique : sphérocytose ou déficit en G6PD,
• un antécédent d’ictère traité par photothérapie dans la fratrie,
• la présence d’hématomes, d’une bosse séro-sanguine ou d’un céphalhématome,
• une origine familiale des Antilles, Afrique ou Asie,
• un allaitement maternel exclusif et inefficace.
Normalement, si un facteur de risque est repéré à la naissance, cela exclut la possibilité d’une sortie précoce afin de surveiller plus particulièrement ces nouveau-nés.
Deux situations sont à prendre particulièrement en compte après la sortie de maternité : la naissance à moins de 38 SA et un allaitement inefficace (3).
BILAN COMPLÉMENTAIRE
En présence d’un ictère dans le premier mois de vie, il est important d'effectuer des examens complémentaires. Cela permettra de cibler :
→ L’intensité de l’ictère Le bilirubinomètre transcutané ou flash, s’il est très utile pour le dépistage et la surveillance des ictères en maternité, se révèle moins performant chez les nourrissons plus âgés (2) (3). L’intensité de l’ictère sera appréciée par le dosage de bilirubine sanguine. Ce prélèvement sanguin permettra également d'ajouter des examens dans un but de recherche étiologique. Les résultats sont généralement disponibles sous 24 heures.
→ La recherche d’un ictère à bilirubine conjuguée ou cholestase Elle se fait par le dosage de la bilirubine conjuguée. La cholestase se définit par un taux supérieur à 20 µmol/L ou supérieur à 10 % de la bilirubine totale (la bilirubine libre se calcule en soustrayant la bilirubine conjuguée à la bilirubine totale).
→ La recherche d’une infection et d’une anémie commence par un premier bilan de « débrouillage » qui comporte :
• un dosage de bilirubine sanguine totale et conjuguée,
• une NFS et une CRP,
• un groupe sanguin et un test de Coombs si la maman est de groupe sanguin O (2).
Une attention particulière sera apportée aux unités dans lesquelles sont donnés les résultats du taux de bilirubine sanguine. L’unité de référence est la µml/L mais des laboratoires les rendent souvent en mg/L, ce qui est source d’erreur et surtout de sous-estimation (2).
PRISE EN CHARGE
Pour commencer
En présence d’un ictère chez un nourrisson de moins de 1 mois, certaines circonstances sont à prendre en compte très rapidement.
→ Devant un ictère à bilirubine libre C’est un ictère jaune franc avec des urines claires et des selles colorées (4). Il est urgent d’en apprécier la sévérité, car avec un taux élevé de bilirubine sanguine libre, il y a risque de passage de la barrière hémato-encéphalique, or la bilirubine est toxique pour les cellules des noyaux gris centraux. Les lésions sont irréversibles, avec développement d’un l’ictère nucléaire. C’est une encéphalopathie grave et c’est la première cause d’encéphalopathie néonatale évitable (3).
Le taux maximum acceptable de bilirubine sanguine dépend de l’âge post-natal, et pour poser l’indication de photothérapie, on se réfère à une courbe. Cette courbe correspond au taux de bilirubine sanguine libre au-dessus duquel la photothérapie est indiquée. Ce taux est défini en fonction de l’âge. Il augmente rapidement dès les premières heures de vie pour arriver à un plateau le 5e jour.
Tout ictère dont le taux de bilirubine libre atteint 340 µmol/L après 96 heures de vie, ou 360 µmol/L au 5e jour, doit être hospitalisé pour une prise en charge adaptée et immédiate. Un taux supérieur à 420 µmol/L au-delà de 96 heures de vie est une hyperbilirubinémie sévère. Elle est à risque neurologique (2).
Le traitement est la photothérapie intensive. Elle consiste à exposer le maximum de surface cutanée à une lumière bleue tout en protégeant les yeux. Le recours à l’exsanguinotransfusion est devenu exceptionnel. Des thérapeutiques adjuvantes peuvent compléter le traitement : perfusion d’albumine, injections d’immunoglobulines polyvalentes (2) (3).
L’ictère à bilirubine libre peut être révélateur d’une infection qu’on évoquera devant un mauvais état général et une augmentation de la CRP. Il arrive parfois qu’un ictère dans le premier mois de vie soit associé à une infection urinaire, souvent à Escherichia Coli. Cela impose l’hospitalisation pour une antibiothérapie adaptée.
→ Devant un ictère à bilirubine conjuguée C’est un ictère jaune vert avec des urines foncées et des selles décolorées. Il est en général d’apparition retardée au-delà du 10e jour. Il peut s’associer à une insuffisance hépatique.
En présence d’un ictère à bilirubine conjuguée, il est urgent d’éliminer une atrésie des voies biliaires. Les urines foncées et les selles décolorées peuvent ne pas être présentes au début, et l’échographie du foie et de la vésicule peut être faussement rassurante. C’est une urgence chirurgicale. Plus l’intervention sera précoce, meilleur sera le résultat (3) (4).
En cas d’insuffisance hépatique avec un TP bas par déficit en vitamine K, il est urgent d’injecter de la vitamine K en raison du risque hémorragique.
Pour mieux apprécier la couleur des selles, nous pouvons nous référer à l’échelle de colorimétrie des selles du carnet de santé à la consultation de la deuxième semaine et celle du deuxième mois.
Dans un second temps
Une fois écartées ces situations où une hospitalisation est nécessaire, il reste les ictères modérés, pour lesquels une recherche étiologique est nécessaire.
→ L’ictère à bilirubine libre C’est l’éventualité la plus fréquente. Certaines situations peuvent être gérées au cabinet mais pour d’autres, il sera préférable de demander un avis spécialisé. On va ainsi évoquer :
• L’ictère physiologique : il est lié à la destruction des hématies fœtales associée à une immaturité hépatique. Il est en général modéré, apparaît après 24 heures de vie et disparaît en généralement en 10 jours. Il concerne plutôt un garçon né par césarienne, allaité et qui présente une perte de poids physiologique importante. Il est en général en voie de résolution à la sortie de maternité mais exceptionnellement, il est prolongé et peut interroger lors de la consultation de 10-15 jours. Il reste un diagnostic d’élimination.
• L’ictère lié à l’alimentation ou ictère au lait de mère (2) : il est traditionnel de relier un ictère prolongé à l’allaitement maternel. Face à un ictère persistant associé à un allaitement, on doit différencier deux situations :
– Les ictères par carence d’apport calorique : ils sont fréquents, on doit y penser devant un enfant qui ne prend pas assez de poids (moins de 20 gr/jour), a peu de selles et d’urines. Ces ictères peuvent être intenses avec un risque d’ictère nucléaire, surtout s’il est associé à une déshydratation. Dans les cas modérés, on sera amené à vérifier la qualité de l’allaitement (observation d’une tétée, contrôle de la prise de lait en pesant l’enfant avant et après une tétée). Il sera important de réveiller l’enfant pour l’alimenter régulièrement afin de limiter les périodes de jeûne. On pourra aussi se faire aider par un conseiller en lactation.
– Les ictères au lait de mère : ils sont rares, apparaissent vers le 5e jour de vie avec une prise de poids normale du nouveau-né. Cet ictère peut persister pendant 1 mois. Il n’est ni nécessaire ni recommandé d’arrêter l’allaitement, pas plus que de chauffer le lait (2). Il s'agit d'un diagnostic d’élimination.
• Les ictères hémolytiques par incompatibilité de groupe sanguin : si l’incompatibilité Rhésus est devenue rare avec la prévention (en général, elle se manifeste précocement après la naissance et est réglée à la sortie de la maternité), on se méfiera des incompatibilités dans les groupes ABO. C’est le cas lorsque la mère est de groupe O et l’enfant de groupe B et surtout A. Dans ce cas, la maman a des anticorps naturels qui passent chez le fœtus en fin de grossesse. Le test de Coombs est fréquemment négatif. Il y a un risque d’anémie au cours des premiers mois, il est donc important de contrôler la NFS et le taux de réticulocytes vers l’âge de 4 à 6 mois, voire de débuter une supplémentation en fer si le taux d’hémoglobine est bas au bilan initial. Les autres incompatibilités (Kell, E, c) sont plus rares et souvent repérées pendant la grossesse par la recherche d’agglutinines irrégulières (3).
• Les ictères hémolytiques par résorption d’hématomes : lors de la naissance, surtout si elle a été difficile, le nouveau-né peut avoir des hématomes (céphalhématome, bosse séro-sanguine, hématome cutané). Ils peuvent, en se résorbant, être à l’origine d’un ictère.
• Les ictères hémolytiques révélant une hémolyse constitutionnelle : parfois, un ictère néonatal peut révéler une hémolyse constitutionnelle comme la sphérocytose ou une enzymopathie du globule rouge comme le déficit en G6PD.
• Les ictères par défaut de glycuroconjugaison : un ictère prolongé peut être révélateur d’une maladie familiale héréditaire, en premier le syndrome de Gilbert. C’est une maladie assez fréquente dans la population générale (3 à 10 %), l’ictère est isolé, l’examen clinique est normal, et on peut retrouver à l’interrogatoire des épisodes d’ictère chez des apparentés en général provoqués par un stress : jeûne ou infection. Mais il peut aussi s’agir du syndrome de Crigler-Najjar, beaucoup plus rare.
• L’hypothyroïdie congénitale : normalement dépistée avant la sortie de maternité, l’hypothyroïdie congénitale peut être à l’origine d’un ictère prolongé, en général peu intense. Dans ce cas, il est fréquemment associé à une difficulté à maintenir la température corporelle, à une hypotonie… Il sera bon de vérifier dans le carnet de santé que le dépistage a bien été réalisé, et en cas de doute de faire un dosage de T4 et TSH.
→ L’ictère à bilirubine conjuguée C'est une éventualité rare, mais il impose rapidement une enquête étiologique qui se fera en milieu spécialisé voire en hospitalisation (3) (4). On le sépare en deux groupes :
• Les cholestases extra-hépatiques avec l’atrésie de voies biliaires, dont le diagnostic n’est pas toujours facile. Il est associé à une décoloration des selles, des urines foncées. C’est une urgence chirurgicale qui requiert une hospitalisation, comme nous l’avons déjà expliqué plus haut.
• Les cholestases intra-hépatiques : elles peuvent être infectieuses (bactériennes notamment avec Escherichia Coli, ou virales), malformatives (syndrome d’Alagille avec son visage particulier de l’enfant), métaboliques (maladies de surcharge), ou génétiques (mucoviscidose).
BIBLIOGRAPHIE
1. HAS. Sorties de maternité après accouchement : conditions et organisation du retour à domicile des mères et de leurs nouveau-nés. Recommandations pour la pratique clinique : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1290110/fr/sortie-de-maternite-a….
2. Cortay A, Renesme L, Raignoux J, Bedu A,
Casper C, Tourneux P, Truffert P Ictère à bilirubine non conjuguée du nouveau-né de 35 semaines et plus : du dépistage au suivi après sortie de la maternité. Recommandations pour la pratique clinique, Arch. Pédiatr., 2017; 24 :192-203.
3. Houlier M, Dusser P, Keslick A, Le Gouëz M, Marsaud C, Labrune P Diagnostic et prise
en charge de l’ictère à bilirubine libre, Médecine et enfance. Juin 2013, 192-193.
4. Broué P, Cuvinciu O. Ictère du nourrisson, Pas à pas en pédiatrie, http://pap-pediatrie.com/hepatogastro/ict%C3%A8re-du-nourrisson.
5. Lacaille F, Lachaux A. Hépatologie de l’enfant. ELSEVIER MASSON, 2017, p. 47-49.
Dr Anne Chevé (pédiatre, 16, rue Amiral-Romain-Desfossés, 29200 Brest, dr.anne.cheve@wanadoo.fr)
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC