L’incidence du cancer du pancréas augmente régulièrement depuis plusieurs dizaines d’années, en partie du fait des progrès de l’imagerie et du vieillissement de la population. Les derniers chiffres de l’INCa indiquaient 11 662 malades en 2012, « mais on sera probablement autour de 16 000 cette année, estime le Pr Hammel. En 2017, il y aura plus de décès par cancer du pancréas que par cancer du sein en France. C’est le seul cancer pour lequel il y a presque autant de nouveaux cas que de décès chaque année. Dans le classement des maladies qui tuent le plus chaque année en France, le cancer du pancréas est quatrième. Dans trois ans, il devrait occuper la deuxième place pour la mortalité par cancer derrière le cancer du poumon. »
MORTALITÉ ÉLEVÉE, URGENCE DIAGNOSTIQUE
Bien que l’efficacité de la chimiothérapie s’améliore peu à peu et qu’elle augmente significativement l’espérance de vie de ceux qui peuvent la recevoir, la proportion des patients survivant à 5 ans reste très faible, voisine de 5 %. Même chez les patients ayant pu avoir une chirurgie à visée curative (environ 15 %), la survie à
5 ans n’est que de 25 à 30 %. Les causes de ces mauvais chiffres pourraient se résumer ainsi :
La croissance tumorale est insidieuse et le cancer est souvent déjà à un stade avancé quand apparaissent les premiers symptômes. Lors du diagnostic, 50 % des patients ont déjà un cancer métastatique et plus de 30 % un cancer non opérable du fait d’un envahissement loco-régional (1).
L’agressivité du cancer du pancréas en fait une urgence diagnostique et thérapeutique. Or un temps précieux est souvent perdu avant d’avoir accès à un spécialiste. Il est donc indispensable de disposer de filières ou de réseaux bien identifiés. Une étude dédiée à cette problématique a été conçue par le groupe coopérateur du Gercor qui propose une charte intégrant une stratégie d’urgence pour optimiser la rapidité d’accès aux soins et le début d’un traitement. Ainsi, tout patient suspecté d’être atteint d’un cancer du pancréas inclus dans cet essai doit avoir un diagnostic histologique et débuter les soins de support et une chimiothérapie dans un délai inférieur à 14 jours (+/-2). Les inégalités de prise en charge sur l’ensemble du territoire restent aussi importantes.
En 2013, une étude a montré que le pronostic était nettement amélioré lorsque le délai entre les premiers symptômes et le traitement était inférieur ou égal à un mois.
Même si la survie à 5 ans reste un objectif encore trop élevé dans la majorité des cas, certains malades avec une tumeur inopérable, s’ils sont traités à temps, pourront avoir une survie dépassant deux ans, voire plus. Chez les rares patients avec une tumeur
< 1 cm, la survie à 5 ans après chirurgie dépasse les 75 %. Chez ceux ayant une lésion précancéreuse dégénérée à un stade précoce (exemple TIPMP en dysplasie de haut grade), la survie dépasse 80-90%. Aussi est-il essentiel de connaître les différents types de lésions précancéreuses, notamment kystiques, qui sont de plus en plus souvent découvertes fortuitement. Enfin, et même si cela ne concerne qu’un nombre restreint de patients, il faut repérer ceux à risque élevé de cancer du pancréas du fait de cas familiaux multiples ou d’une mutation germinale qui les expose à ce risque afin de les faire participer à un programme de surveillance par une équipe experte.
FACTEURS DE RISQUE
Le cancer du pancréas survient habituellement vers l’âge de 60-70 ans. Il est un peu plus fréquent chez l’homme (52 %) que chez la femme. Il survient le plus souvent de façon sporadique, mais des lésions précancéreuses, facteurs environnementaux ou génétiques peuvent favoriser son apparition.
Lésions précancéreuses
– Tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse du pancréas (TIPMP).
– Cystadénome mucineux (CAM).
– Les PanIN (pancreatic intraepithelial neoplasia) « La résection chirurgicale de ces lésions précancéreuses avec facteurs “inquiétants” d’imagerie permet d’éviter la survenue d’un cancer invasif. La survie des patients opérés de CAM ou de TIPMP est proche de 100 % à 5 ans en l’absence de carcinome invasif. »
Facteurs environnementaux Le tabagisme serait responsable environ du tiers des cancers du pancréas.
Affections prédisposantes Le risque relatif de cancer du pancréas chez le diabétique de type 2 est de l’ordre de 1,5.
Facteurs génétiques Une susceptibilité génétique est en cause dans environ 5 à 10 % des cas d’adénocarcinomes pancréatiques. « La principale recommandation pour les personnes ayant un risque génétique est, outre une consultation d’onco-génétique, l’arrêt du tabac, l’éviction d’une surcharge pondérale et la pratique d’une activité physique régulière », insiste le Pr Hammel.
LE DIAGNOSTIC
Des symptômes évocateurs
La survenue de l’un de ces symptômes doit alerter et faire réagir rapidement :
– Ictère (lié à la compression du canal cholédoque, en cas de tumeur dans la tête du pancréas).
– Perte de poids souvent rapide.
– Perte d’appétit, nausées, selles grasses décolorées, diarrhée persistante.
– Douleur qui traduit l’extension de la tumeur en dehors de la glande. Cette douleur transfixiante intermittente est un maître symptôme, trop tardif.
– Apparition d’un prurit, d’un diabète, parfois d’une dépression pouvant être liée à l’asthénie entraînée par le cancer évoluant sans diagnostic ou d’une thrombose veineuse profonde.
– Une pancréatite aiguë est le premier signe d’un cancer du pancréas dans moins de 5 % des cas.
Parfois une découverte fortuite
À partir de l’âge de 40-50 ans, lors d’une échographie, d’un scanner ou d’une IRM demandés pour des douleurs digestives ou gynécologiques, il est de plus en plus fréquent de découvrir fortuitement des anomalies pancréatiques souvent kystiques (TIPMP) (7). Il faut interroger ces patients sur l’existence de cancer du pancréas chez les apparentés et les adresser à une équipe spécialisée (6).
L’imagerie fait le diagnostic
Toute suspicion de tumeur pancréatique justifie d’obtenir très rapidement une imagerie.
Un scanner spiralé d’emblée de préférence (sensibilité 90 %, spécificité 90 %) ; l’échographie est moins sensible et ne montre pas bien le pancréas dans 20 % des cas (2). Il importe de bien préciser qu’est recherchée une tumeur pancréatique et d’obtenir un scanner de qualité (l’examen est aussi un peu “opérateur-dépendant”), centré sur le pancréas avec des coupes fines, après ingestion d’eau (pas de contraste !) et injection intraveineuse de produit contraste iodé. Le scanner permet de faire le diagnostic de petites tumeurs de 10-15 mm potentiellement curables, ou des signes indirects précieux (dilatation canalaire biliaire ou pancréatique d’amont…). Dès les résultats du scanner, le patient est adressé en urgence dans un centre expert où le bilan sera complété.
L’IRM, utile notamment pour le diagnostic des petites métastases, notamment hépatiques.
L’échoendoscopie : particulièrement performante pour le diagnostic des très petites tumeurs ou celles qui sont isodenses, elle a une forte valeur prédictive négative. Actuellement, son intérêt principal est de permettre la réalisation d’une biopsie.
Le Pet-scan a moins d’intérêt. Il peut être négatif en cas de diabète (un tiers des patients) ou faussement positif en cas de pancréatite bénigne.
L'histologie
La confirmation histologique n'est pas systématique. Elle est nécessaire en cas de :
- Doute diagnostique (toutes les tumeurs du pancréas ne sont pas malignes et 10 % des tumeurs malignes ne sont pas exocrines).
- Avant un traitement néoadjuvant préchirurgical.
- En cas de forme non résécable (localement avancée ou métastatique) avant de débuter une chimiothérapie. En pratique, on doit biopsier le site le plus facilement accessible (métastase hépatique proche de la paroi, envahissement duodénal, ou, sinon, la masse pancréatique sous EE). L’adénocarcinome représente 90 % des cancers pancréatiques, les autres étant les tumeurs neuro-endocrines ou d’un type histologique (encore) plus rare (à cellules acineuses, adéno-squameux…).
L’orientation thérapeutique
à l’issue de ce bilan, l’extension, qui est le principal facteur pronostique, permet de classer le cancer et de déterminer l’orientation thérapeutique :
– métastatique, strictement non resécable (50 % des cas) ;
– localement avancé ou borderline (35 %) ;
– résécable (15 %).
UN TRAITEMENT, SELON LE STADE
Cancer résécable
C’est le cas d’un cancer du pancréas avec les caractéristiques suivantes :
– absence de métastases à distance (notamment foie, péritoine ou ganglions) ;
– persistance d’un liseré graisseux autour du tronc cœliaque et de l’artère mésentérique supérieure ;
– veine mésentérique et veine porte à distance.
La chirurgie n’est envisagée que si l’état général du patient le permet. C’est une intervention avec un risque de complications ou de mortalité non nul (2 à 4 % de mortalité et 30 % de morbidité pour les centres à grand volume de cette chirurgie, plus pour les autres). Le geste dépend de la localisation :
– Splénopancréatectomie gauche (SPG) en cas de tumeur du corps ou de la queue du pancréas avec ablation du corps ou de la queue du pancréas et de la rate qui est au contact.
– Duodénopancréatectomie céphalique (DPC) lorsque la tumeur se situe dans la tête ou le crochet du pancréas, avec exérèse de la partie droite du pancréas, du canal cholédoque intrapancréatique et des portions adjacentes de l’estomac et du duodénum puis anastomose gastro-jéjunale, anastomose bilio-digestive et anastomose pancréatico-gastrique ou pancréatico-jéjunale (8). Le risque post-opératoire le plus sérieux est celui de fistule pancréatique.
– Les gestes « limités » (énucléation ou pancréatectomie médiane) ne sont indiqués qu’en cas de tumeur bénigne mais pas de cancer invasif, car ils ne permettent pas la réalisation d’un curage ganglionnaire.
– Les indications de la pancréatectomie totale sont très rares (typiquement une tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse diffuse et dégénérée).
L’intervention est suivie d’une chimiothérapie adjuvante pendant 6 mois (gemcitabine, le plus souvent, ou 5-FU) (10).
Cancer localement avancé
Un cancer est dit localement avancé si en imagerie :
– absence de métastases à distance ;
– envahissement d’un axe artériel majeur (tronc cœliaque, artère hépatique ou mésentérique supérieure) ou veineux non résécable.
Le cancer pancréatique local avancé fait appel à la chimiothérapie et, dans certains cas de tumeurs stabilisées par ce traitement, à une chimioradiothérapie si elle est décidée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Les tumeurs dites « borderline » ont un contact vasculaire moins marqué (exemple : < 180° au contact d’une des artères précitées). L’évaluation en imagerie de ces tumeurs est délicate, ce qui souligne l’importance de la RCP dans ces situations où la décision opératoire est particulièrement difficile (11). « Ainsi la majorité des tumeurs borderline mais seulement quelques tumeurs “localement avancées” peuvent faire l’objet d’une résection “secondaire” après une chimiothérapie plus ou moins radiothérapie, avec un espoir de survie prolongée ».
Cancer métastatique
La chimiothérapie, traitement de référence en cas de tumeur métastatique, d’efficacité croissante avec les années, améliore le pronostic vital et souvent aussi la qualité de vie en retardant l’apparition des symptômes, malgré une certaine toxicité. « On est passé d’une survie médiane inférieure à 6 mois pour les cancers métastatiques, à 10-11 mois au cours de la décennie passée. C’est une amélioration significative et certains malades ayant une tumeur métastatique ont une survie plus prolongée, dépassant deux ans. L’objectif est d’arriver à contrôler l’évolution d’une tumeur non opérable à défaut, pour le moment, d’espérer la guérir. »
La gemcitabine a été le traitement standard en association jusqu’en 2011, éventuellement associée à l’erlotinib, la capécitabine ou un sel de platine : suivant les cas Gembrax (gemcitabine- capécitabine). En 2011, l’association Folfirinox (5 FU, irinotecan et oxaliplatine) est proposée en 1re ligne chez les patients en bon état général et sans cholestase (12, 13). En 2013, l’association du nab-paclitaxel à la gemcitabine s’est également révélée supérieure à la gemcitabine seule mais le remboursement du nab-paclitaxel reste encore problématique en France. En cas de progression tumorale, une seconde ligne de chimiothérapie peut être discutée pour un patient restant en bon état général ; elle permet de contrôler la tumeur dans environ 25 % des cas. L’irinotécan liposomal associé au 5-fluorouracile a montré une certaine efficacité dans cette situation.
La chimiothérapie est proposée aux patients ayant un état général correct. Il faut penser au fait qu’un patient en mauvais état général au moment du diagnostic peut s’améliorer avec la prise en charge active de ses symptômes, ce qui permet, dans les cas favorables, de reconsidérer l’administration d’une chimiothérapie. L’âge n’est pas (plus) en soi une contre-indication, la tolérance et l’efficacité étant identiques. Mais il faut savoir ne pas prescrire une chimiothérapie chez un patient très âgé (sans qu’on puisse arbitrairement fixer de limites : plus de 80 ans ? de 85 ans ?) et qui a des comorbidités invalidantes (troubles cognitifs, cardiopathie sévère, insuffisance rénale…). L’avis du gériatre dans les cas limites est indispensable.
La motivation réelle du patient doit être bien évaluée, sachant que le bénéfice attendu de ces chimiothérapies reste modeste en ce qui concerne l’allongement de la survie et que des effets indésirables gênants peuvent parfois altérer la qualité de vie.
La chimiothérapie est arrêtée en cas de mauvaise tolérance, d’importante altération de l’état général, d’inefficacité démontrée ou d’absence de motivation du patient (9).
Pourquoi autant d’échecs du traitement ?
Le taux élevé d’échecs dans le traitement est expliqué par différents facteurs :
– agressivité biologique du cancer : altérations génétiques, faible vascularisation, croissance rapide, réaction desmoplastique (réponse du stroma à la tumeur épithéliale invasive par une fibrose dense du tissu conjonctif autour du cancer qui gêne la diffusion des cytotoxiques) ;
– facteurs anatomiques : diagnostic tardif, chirurgie morbide, accessibilité difficile, proximité des vaisseaux, graisse, nerfs ;
– altération de l’état général du patient (dénutrition, diabète, sténose digestive ou biliaire).
PRISE EN CHARGE COMPLÉMENTAIRE
Les symptômes invalidants associés au cancer du pancréas (douleurs, dénutrition, sténose digestive ou biliaire, dépression) bénéficient peu à peu d’une meilleure prise en charge :
– mise en place d'une prothèse métallique sans intervention chirurgicale pour traiter une sténose biliaire ou duodénale limitée. Ces prothèses permettent, plus de 8 fois sur 10, de maintenir une alimentation orale jusqu’au décès du patient ;
– prise d’extraits pancréatiques en cas de mauvaise digestion des graisses responsable de diarrhée ;
– évaluation de l’état nutritionnel et nutrition artificielle si nécessaire ; prise en charge d’un diabète (fréquent) ;
– dépistage et traitement d’un état anxio-dépressif ;
– prise en charge de la douleur et recours possible à des équipes spécialisées. Chimio- et radiothérapie peuvent contribuer à diminuer les douleurs et à améliorer la qualité de vie en contrôlant la tumeur.
– les éparines de bas poids moléculaire permettent de diminuer l’incidence de survenue d’évènements thrombo-emboliques, particulièrement fréquents dans cette affection.
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