La prévalence de la dénutrition protéino-énergétique augmente avec l’âge. Elle est de 4 à 10 % chez les personnes âgées vivant à domicile, de 15 à 38 % chez celles vivant en institution et de 30 à 70 % chez les malades âgés hospitalisés (1).
Les objectifs de santé publique chez le sujet de plus de 70 ans sont de passer de 350 - 500 000 personnes dénutries vivant à domicile à 280 - 400 000, et de 100 - 200 000 personnes dénutries vivant en institution à 80 - 160 000, soit une réduction de 20 % du nombre de sujets âgés dénutris (2).
DU DÉPISTAGE AU DIAGNOSTIC
Qui et comment dépister ?
- La HAS recommande de dépister la dénutrition chez toutes les personnes âgées au moins une fois par an en ville, à l'admission puis une fois par mois en institution, et lors de chaque hospitalisation. La fréquence de ce dépistage peut être plus élevée chez les sujets à risque. Les outils de ce dépistage sont la recherche des situations à risque, l'estimation de l'appétit et des apports alimentaires, la mesure du poids et l'évaluation de la perte de poids par rapport au poids antérieur, ainsi que le calcul de l'indice de masse corporelle (IMC). Il est possible aussi d'utiliser le questionnaire MNA (Mini Nutritional Assessment).
- Parmi les situations à risque (voir Généraliste n° XXX), certaines ne sont pas liées à l'âge mais à des pathologies susceptibles d'induire une dénutrition (cancers, maldigestion, malabsorption…). D'autres sont plus spécifiques à la personne âgée : troubles bucco-dentaires, troubles de la déglutition et troubles neurologiques, pathologies psychiatriques ou syndrome démentiel, affection aiguë ou décompensation d’une pathologie chronique, traitement médicamenteux, régime restrictif, dépendance pour les actes de la vie quotidienne, isolement social, deuil, difficultés financières, hospitalisation, entrée en institution (1). Tous ces facteurs de risque peuvent entraîner une réduction des apports alimentaires.
Et l'on sait que le sujet âgé compense cette insuffisance d'apports en puisant non pas dans ses réserves lipidiques, mais plutôt dans ses réserves protéiques (encadré 1).
Les éléments clés du diagnostic
- Le diagnostic de dénutrition et de dénutrition sévère repose sur la présence d'un ou plusieurs critères : données anthropométriques et biologiques, index nutritionnel (tableau 1) (1). La cinétique de la perte de poids est donc un élément essentiel du diagnostic, mais il faut tenir compte de la présence d'œdèmes éventuels ou d'une déshydratation. Attention également lors de l'interprétation de l'IMC, une valeur supérieure à 21 n'excluant pas une dénutrition (en cas d'obésité par exemple).
Le résultat du dosage de l'albuminémie doit être interprété en tenant compte de l'existence d'un éventuel syndrome inflammatoire. Le MNA de dépistage (6 items), n'a de valeur que si l'on réalise le MNA complet (18 items) en cas de résultat inférieur ou égal à 11 (sur 14).
- A noter que la mesure de la circonférence des membres et la mesure des plis cutanés, bien que facilement réalisables, ne sont pas considérées comme des outils simples d’évaluation diagnostique de l’état nutritionnel. Elles nécessitent en effet un bon entraînement de l'examinateur (5).
LES CRITERES DE LA DECISION THERAPEUTIQUE
- Chez la personne âgée dénutrie, l'objectif est d'atteindre un apport énergétique de 30 à 40 kcal/kg/jour et un apport protidique de 1,2 à 1,5 g de protéine/kg/jour (1).
Pour mémoire, en l'absence de dénutrition, les apports recommandés en énergie sont de l’ordre de 36 kcal/kg/jour entre 61 et 75 ans, et les ANC en protéines sont de 1 g/kg/jour. Les besoins en protéines d'un sujet âgé en bonne santé sont donc légèrement supérieurs à ceux d’un adulte jeune (0,8 g/kg/j).
La prise en charge passe bien sûr par la correction des facteurs de risque identifiés. Sur le plan nutritionnel, on peut recourir à différentes modalités thérapeutiques. La prise en charge nutritionnelle orale est recommandée en première intention (1). Elle regroupe les conseils nutritionnels, l'aide à la prise alimentaire, l'alimentation enrichie, et les compléments nutritionnels oraux (CNO). Dans la métaanalyse de Milne (2006, réf 6), l'augmentation des apports alimentaires s'est montrée efficace sur la prise de poids chez des patients hospitalisés, en institution et à domicile. Les résultats sont moins significatifs en ce qui concerne la mortalité et le risque de complications chez les sujets vivant à domicile. "Ces résultats sont sans doute imputables au faible nombre d'études menées en ambulatoire. Mais la démonstration de l'efficacité de la prise en charge nutritionnelle orale sur la mortalité à l'hôpital est un résultat majeur, commente le Pr Hébuterne ". L'alimentation entérale est indiquée en cas d'impossibilité ou d'insuffisance de la voie orale. La nutrition parentérale concerne trois situations seulement : malabsorptions sévères, occlusions intestinales, échec d'une nutrition entérale bien conduite. Le choix entre ces modalités dépend du contexte et tient compte des apports alimentaires spontanés et du statut nutritionnel (tableau 2). Seul le traitement nutritionnel oral est abordé dans la suite de ce texte.
- En pratique, l'évaluation des apports alimentaires et hydriques n'est pas toujours chose aisée. L'interrogatoire du sujet ou de sa famille est essentiel : la personne consomme-t-elle des plats protidiques (viande, poisson, œuf) ? Prend-elle des produits laitiers ? Des fruits et légumes ? Des féculents ? Boit-elle suffisamment ? "Un outil intéressant à cet égard est représenté par l'utilisation d'une échelle visuelle analogique (EVA). Il suffit de demander au patient, sur une échelle graduée de 1 à 10, à combien il estime sa consommation alimentaire de la veille. Chacun d'entre nous sait en effet intuitivement s'il a mangé suffisamment ou pas. Cette méthode d'évaluation des ingesta par EVA est d'ailleurs sur le point d'être validée au vu des résultats obtenus par une étude multicentrique française".
- L'indication d'hospitalisation est laissée à l'appréciation de chaque praticien. "En dehors des situations de dénutrition sévère ou de mise en place d'une nutrition artificielle, où l'hospitalisation est indispensable, on commence généralement par une prise en charge ambulatoire. Ce n'est qu'en cas d'échec que l'on oriente le patient vers l'hôpital. Ou bien lorsque l'on veut rechercher une cause à la dénutrition, ou encore si l'on veut s'adjoindre les services d'une diététicienne, ce type de prestation étant plus facilement accessible à l'hôpital qu'en ville".
- Un cas particulier fréquent en médecine générale est la période de convalescence après un épisode aigu ou une hospitalisation. Cette situation est à haut risque de dénutrition, le sujet ayant mobilisé à cette occasion ses réserves protéiques. Il est recommandé de surveiller la courbe pondérale après le retour du patient à domicile et de débuter si nécessaire une prise en charge adéquate. En cas de fracture du col fémoral, les CNO sont indiqués d'emblée pendant la période de convalescence (1).
LA PRISE EN CHARGE NUTRITIONNELLE ORALE
Les conseils nutritionnels
Leur but est d'augmenter les apports alimentaires.
A cet effet, la HAS recommande (1) :
- de se baser sur les repères du PNNS pour les personnes âgées : viandes, poissons ou œufs 2 fois par jour, lait et produits laitiers 3 à 4 fois par jour, féculents (pain, aliments céréaliers, pommes de terre, légumes secs) à chaque repas, au moins 5 portions de fruits et légumes par jour, consommation d'1 à 1,5 litre d’eau par jour (ou autres boissons : jus de fruits, tisanes) sans attendre la sensation de soif ;
- d'augmenter la fréquence des prises alimentaires dans la journée, en fractionnant les repas, tout en s’assurant que la personne âgée consomme trois repas quotidiens et en proposant des collations entre les repas ;
- d'éviter une période de jeûne nocturne trop longue (› 12 heures) en retardant l’horaire du dîner, en avançant l’horaire du petit déjeuner et/ou en proposant une collation ;
- de privilégier des produits riches en énergie et/ou en protéines ;
- d'adapter les menus aux goûts de la personne et d'adapter la texture des aliments à ses capacités de mastication et de déglutition (couper plus ou moins fin, hacher, mixer) ;
- d'organiser une aide technique et/ou humaine au repas en fonction d'un éventuel handicap ;
- de prendre les repas dans un environnement agréable (et en laissant aux patients le temps de manger).
L'alimentation enrichie
Cette méthode consiste à augmenter la valeur énergétique et protéique d'un repas sans en augmenter le volume. Pour cela, on ajoute différents produits lors de la préparation des repas : œufs, poudre de lait, lait concentré entier, fromage râpé, crème fraîche, beurre fondu, poudres de protéines industrielles, pâtes ou semoule enrichies en protéines. Il existe aussi pour les sujets ayant besoin d'une alimentation à texture modifiée des repas complets hyperprotidiques en poudre ou prêts à l'emploi.
L'annexe 1 des recommandations de la HAS (1) présente diverses modalités pratiques d'enrichissement des repas.
Les compléments nutritionnels oraux (CNO)
- La HAS recommande d'utiliser des produits hyperénergétiques (≥1,5 kcal/ml ou /g) et/ou hyperprotidiques (protéines ≥ 7,0 g/100 ml ou /100 g ou protéines ≥ 20 % des apports énergétiques totaux) (1). "Concernant le remboursement des CNO, leur prise en charge par l'Assurance maladie sera prochainement basée, non plus sur l'existence de certaines pathologies, mais sur la présence de critères nutritionnels, ceux-là même qui sont utilisés pour le diagnostic de dénutrition. Toute personne y répondant, quel que soit son âge et la pathologie en cause, pourra bénéficier du remboursement des CNO. Seule manque encore la parution au Journal Officiel, attendue dans les prochaines semaines. Il s'agit là d'une évolution importante, qui fait de la dénutrition une pathologie à part entière, souligne le Pr Hébuterne".
Rappelons que pour l'heure, les produits de supplémentation orale ne sont remboursables en cas de dénutrition que dans certaines indications : épidermolyse bulleuse, mucoviscidose, infection par le VIH, maladie neuromusculaire, tumeurs ou hémopathies malignes (2).
- Il existe une grande variété de saveurs, de présentations et de textures (CNO salé ou sucré, lacté ou non, plus ou moins liquide), qu'il faut adapter aux goûts du patient et à la présence d'éventuels troubles de déglutition ou de la préhension. Certains compléments sont à réchauffer, d'autres, tels les produits sucrés, sont meilleurs s'ils sont servis frais. Il est possible de modifier la texture des boissons avec une poudre épaississante. Une fois ouverts, ils se conservent au réfrigérateur et sont à consommer dans les 24 heures. Généralement, il faut deux unités par jour pour atteindre un apport alimentaire supplémentaire de 400 kcal/jour et/ou de 30 g/jour de protéines. Les CNO peuvent être consommés lors des collations (2 h avant ou après un repas) ou lors d'un repas ; dans ce dernier cas, ils ne doivent pas se substituer à celui-ci.
Coordonner la prise en charge
- De nombreux acteurs sont susceptibles d'intervenir auprès des personnes âgées dénutries. "Le médecin généraliste a un rôle important, en alertant les différents services concernés. Le simple fait de signaler un patient comme étant à risque sur le plan nutritionnel permet en effet de mettre en place autour de lui les éléments nécessaires à la coordination de la prise en charge : services d'aides à la personne (aide ménagère, portage des repas) ou aide financière (Allocation personnalisée d'autonomie). S'agissant des diététiciennes, leur intervention n'est pas remboursée par l'Assurance maladie dans le cadre de la prise en charge ambulatoire de la dénutrition. En milieu hospitalier, la situation est variable selon les établissements. Cependant, certains patients traités à domicile peuvent tout de même bénéficier de soins diététiques "gratuits", lorsque la diététicienne est missionnée par un réseau de soins ou dans le contexte d'une hospitalisation à domicile. Mais là encore la situation est très disparate sur le territoire ; certains réseaux ou services d'HAD disposent d'une diététicienne, d'autres non".
- Au cours du suivi, la personne âgée dénutrie doit être pesée une fois par semaine. Les apports alimentaires sont à apprécier à chaque réévaluation.
Quant à l'albuminémie, un dosage mensuel suffit (1).
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