Pédiatrie

ENFANT EN DANGER : DU REPÉRAGE À L’ALERTE

Publié le 25/10/2021
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Quelle mesure prendre face à un enfant en situation de danger ou de risque de danger ? Qui prévenir et comment agir ? La HAS a publié une recommandation de bonne pratique posant les bases de l’évaluation globale de la situation des enfants en danger ou à risque de l’être.

Crédit photo : JIM VARNEY/SPL/PHANIE

INTRODUCTION
Quelle est la réalité de l’enfance en danger en France ? Le rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) d’avril 2020 soulignait qu’au 31 décembre 2018, 306 800 mineurs bénéficiaient d’au moins une prestation ou mesure relevant du dispositif de protection de l’enfance sur la France entière (hors Mayotte), ce qui représente un taux de 21 ‰ des mineurs (1).En 2018, 110 035 nouveaux mineurs ont fait l’objet d’une saisine d’un juge des enfants, un chiffre qui a connu une croissance importante en 2018, mais plus modérée qu’en 2017 (+ 5,6 % en 2018, contre + 12,5 % en 2017). Corollaire de la mise en danger des enfants, en 2018, 122 mineurs victimes d’infanticide ont été enregistrés par les forces de sécurité, l’auteur pouvant être un membre de la famille ou une personne extérieure à la famille. Parmi ces mineurs, 80 sont décédés dans le cadre intrafamilial, c’est-à-dire que l’auteur des faits se trouve être un parent (père, mère, beau-parent, grand-parent, oncle, tante, fratrie, etc.), contre 67 en 2017.
Dans ce domaine, la France est loin de faire exception… Une étude publiée à la fin des années 2000 indique qu’un enfant sur 10 serait victime de maltraitance dans les pays développés.
Aussi, pour sensibiliser les différents acteurs impliqués dans le recueil d’informations et, surtout, pour harmoniser les pratiques dans ce domaine, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié, début 2021, le premier cadre national de référence pour l’évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger. Ce cadre vise à améliorer la qualité de l’évaluation des informations préoccupantes. « L’objectif est de fournir à chacun des professionnels amenés à évaluer une situation préoccupante les mêmes outils, afin de permettre une prise en charge optimale de chaque enfant », précise la HAS. Autrement dit : faciliter la prise de décision sur les suites à donner et harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire pour permettre une équité de traitement pour les enfants, les adolescents et leurs familles. Si ce cadre s’adresse à tous les professionnels ou institutions qui contribuent au recueil et au traitement des informations préoccupantes, les médecins généralistes – du fait de leur proximité avec les enfants – doivent se l’approprier pour mieux appréhender le circuit de recueil et de traitement de l’information et pour trouver un support à l’accompagnement de l’évaluation.



SIGNES D’ALERTE ET FACTEURS DE RISQUE
Ces signes sont divers et nombreux et pas toujours faciles à identifier. Ils peuvent être liés à des violences physiques, psychologiques ou sexuelles.
Il faut penser aux facteurs de risque d’être victimes de violence (comme un trouble neurodéveloppemental – TND) (TAB. 1). Certaines situations majorent le risque de danger et doivent donc faire l’objet d’une vigilance particulière des médecins : exposition à une maltraitance, situation de handicap, troubles de l’attention, confrontation à un événement traumatique…
Parmi ces situations, la notion de danger grave et immédiat renvoie aux situations nécessitant une action immédiate, du fait :
 • de la gravité du danger : danger vital et risques de séquelles, à apprécier en fonction  • de la gravité des faits rapportés (maltraitances physiques, maltraitances sexuelles, privations graves et/ou répétées…) et/ou de la vulnérabilité particulière de l’enfant/adolescent (moins de 3 ans, situation de handicap…),
 • de la suspicion d’une infraction commise à l’encontre de l’enfant/adolescent ;
 • de l’exposition de l’enfant/adolescent à l’auteur présumé ;
 • d’une mise en situation de danger par l’enfant/adolescent lui-même.



QUI CONTACTER ET COMMENT ?
Face à ces situations, le médecin généraliste – comme un nombre important d’acteurs de l’enfance – doit garder le réflexe de la notion d’information préoccupante. Elle sera transmise à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Cette procédure a pour objectif d’alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur, bénéficiant ou non d’un accompagnement par l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
La finalité de cette transmission à la CRIP (équipe pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle permanente ayant des compétences techniques dans le domaine social, éducatif et médical) est d’évaluer la situation d’un mineur et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. La HAS souligne que la démarche d’évaluation doit être globale, centrée sur l’enfant. Elle doit prendre en compte sa santé physique et psychique ainsi que le développement psycho-affectif et staturo-pondéral, sa scolarité et sa vie sociale, ses relations avec sa famille et avec les tiers, son contexte de vie et les réponses apportées par ses parents à ses besoins fondamentaux. Cette évaluation est réalisée par la CRIP une fois qu’elle a été saisie par le médecin traitant.
Toute information préoccupante doit donc faire l’objet d’une analyse afin de déterminer si une évaluation ou un signalement au parquet est nécessaire. L’évaluation vise à déterminer si l’enfant/adolescent est effectivement en danger ou risque de danger et à définir les actions qui permettront d’assurer sa protection le cas échéant (TAB. 2).
 Comment alerter sur une situation préoccupante ? Face à un enfant en danger ou à risque de danger, le médecin généraliste transmet une information préoccupante à la CRIP. Lorsqu’un médecin est inquiet pour la santé d’un enfant, il peut solliciter le médecin référent de la protection de l’enfance (MRPE) du conseil départemental, les professionnels de l’unité pédiatrique référente enfance en danger pour l’aider à rédiger une information préoccupante qui sera transmise à la CRIP. Le médecin n’a pas à être certain du diagnostic de maltraitance, qui peut être un diagnostic difficile : le seul doute suffit.
Pour parfaire, en France, sur l’ensemble du territoire, l’organisation de ces signalements et leur traitement, la HAS recommande de mettre en place plusieurs modalités de transmission des informations préoccupantes à la CRIP : un formulaire à renseigner sur internet ; un numéro de téléphone dédié ; une adresse mail dédiée ; une adresse postale dédiée. L’agence propose aussi de mettre en place un outil unique de recueil comprenant des éléments d’information concernant l’émetteur de l’information préoccupante ; la situation (personnes concernées, éléments jugés préoccupants, éventuelles actions précédemment menées…) ; l’information ou non des parents sur la démarche (pour les acteurs professionnels) ; la volonté ou non de l’émetteur de l’information préoccupante de rester anonyme.
Chacune des informations préoccupantes transmises à la CRIP (et sa date d’arrivée en particulier) devrait être suivie grâce à un outil spécifique afin de permettre une veille sur le respect du délai prévu pour la réalisation de l’évaluation, le cas échéant.
Pour les situations nécessitant un traitement en urgence (lire encadré à droite), la CRIP doit déterminer l’action pertinente et transmettre si nécessaire au parquet, afin d’obtenir une requête pour une ordonnance de placement provisoire. Une orientation vers une hospitalisation (soins, examens, observation) ou une mise à l’abri peuvent être effectuées rapidement en coordination avec le médecin traitant. Parallèlement, les intervenants de la CRIP procèdent à un recueil d’informations complémentaires qui sont transmises par messagerie sécurisée au parquet et/ou à l’équipe d’évaluation. L’information aux parents est aussi un élément de la prise en charge.
Dans les cas moins préoccupants, les évaluateurs de la CRIP doivent procéder, en lien avec l’enfant/adolescent lui-même, ses parents et son entourage, à une analyse de la situation de l’enfant/adolescent au regard de ses besoins fondamentaux, de sa santé et de son développement. L’adéquation des réponses apportées par les parents et leur capacité à se mobiliser pour répondre aux difficultés éventuellement repérées et les ressources mobilisables au sein de l’entourage afin de soutenir les parents et de faire évoluer la situation sont aussi prises en compte. La HAS recommande une intervention en binôme avec un travailleur social et un professionnel de santé (soignant IDE ou médecin de la CRIP ou de l’ASE) et prévoit d’organiser a minima un échange avec le médecin traitant de l’enfant car il convient de s’assurer que l’enfant bénéficie d’un suivi en santé régulier.
Au-delà du repérage des situations d’enfants/adolescents en danger ou à risque de danger, l’évaluation a un rôle de prévention du danger ou du risque de danger. Ainsi, elle ne se limite pas à l’enfant/adolescent qui fait l’objet de l’information préoccupante : son périmètre s’étend à l’ensemble des enfants/adolescents résidant au domicile. De la même façon, l’évaluation ne porte pas uniquement sur les faits énoncés dans l’information préoccupante et n’a pas pour fonction de les vérifier (car la parole doit être entendue) mais de les analyser de façon contextuelle. L’évaluation est globale : elle porte sur l’ensemble des domaines de vie de l’enfant/adolescent (développement et santé physique et psychique, scolarité et vie sociale, relations avec la famille et les tiers), sur son contexte de vie (cadre de vie, situation des parents) et sur les réponses apportées à ses besoins par ses parents.
Dans le cadre de cette démarche, l’approche et les paroles des évaluateurs sont fondamentales. Cela nécessite de mettre en place une écoute active, c’est-à-dire une écoute empathique, qui favorise la parole sans jugement. La loi prévoit une durée maximale de trois mois pour le traitement de l’information préoccupante.

Dr Isabelle Catala (rédactrice), Dr Gaëlle Pendezec (relecture) (département de Loire-Atlantique, médecin référent protection de l’enfance, direction Enfance et familles)

BIBLIOGRAPHIE
1. Les connaissances pour agir en protection de l’enfance : de leur production à leur appropriation. 14e rapport au Gouvernement et au Parlement. La Documentation française. Mai 2020.
https://www.onpe.gouv.fr/system/files/publication/14e_ragp_complet.pdf
2. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries. Ruth Gilbert, Cathy Spatz Widom, Kevin Browne, David Fergusson, Elspeth Webb, Staffan Janson Lancet. 2009 Jan 3;373(9657):68-81. doi: 10.1016/S0140-6736(08)61706-7. Epub 2008 Dec 4.
3. Évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger : cadre national de référence. Recommandations de bonne pratique. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3120418/fr/evaluation-globale-de-la-sit….


Source : Le Généraliste