Mise au point

Bilans de prévention, l’approche motivationnelle

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Publié le 06/09/2024
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Lancés en 2024, les bilans de prévention visent à encourager l’adoption de comportements bénéfiques pour la santé. Pour favoriser le changement, l’approche motivationnelle a toute sa place. Elle permet de sortir du simple listing de facteurs de risque au profit d’une démarche collaborative centrée sur les motivations et les freins du patient.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Par Irène Lacamp, avec les Drs Xavier Gocko (généraliste à Roche-la-Molière, MCU au DMG de l’université de Saint-Etienne), Marc Chanelière (généraliste à Oullins, MCU au DMG de l’université de Lyon) et David Costa (généraliste à Nîmes, directeur du DMG et du DU d’entretien motivationnel de Montpellier)

 

INTRODUCTION

Le taux de prévalence des maladies chroniques demeure élevé en France, plus d’un tiers des plus de 16 ans étant concernés (1). Ainsi, 88 % des décès enregistrés dans le pays restent liés à ces troubles. Or nombre de maladies chroniques sont associées à des facteurs de risque évitables.

Dans ce contexte, la Direction générale de la santé propose depuis 2024 de réaliser des bilans de prévention. Ces bilans consistent en un temps d’échange de 30 à 45 minutes permettant aux personnes de quatre classes d’âge clé de « faire le point sur (leurs) habitudes de vie et (leur) environnement » (voir tableau 1) et d’« initier une démarche de sensibilisation et de prévention individualisée » visant à favoriser les changements de comportement (2).

En pratique, l’Assurance-maladie propose de procéder en trois étapes : repérage des risques individuels, priorisation avec le patient d’une ou deux thématiques de prévention, et finalement rédaction d’un plan personnalisé de prévention (PPP) – résumant les objectifs de changement, les freins, les actions nécessaires pour les surmonter, et les ressources et professionnels disponibles pour soutenir et accompagner cet effort.

Pour réussir ces bilans de prévention et aboutir à de réelles modifications de comportement, divers outils sont disponibles : autoquestionnaires préliminaires, fiches d’aide au repérage des risques, modèles de plan personnalisé de prévention, etc. (voir tableau 2). Mais, surtout, l’approche motivationnelle est encouragée : l’Assurance-maladie estime notamment qu’une « intervention motivationnelle brève » peut être mise en œuvre.

GÉNÉRALITÉS SUR L’APPROCHE MOTIVATIONNELLE

> Définition et champ d’application

L’approche motivationnelle consiste, selon la Haute Autorité de santé (HAS), en un « style de communication clinique » verbal et non verbal, centré sur la personne, dirigé vers un objectif de changement, qui permet de renforcer la motivation nécessaire pour accomplir ce changement (4).

Formalisée dans les années 1980 en addictologie, l’approche motivationnelle est aujourd’hui indiquée au-delà, face à tout « état de santé ou pathologie chronique nécessitant un changement de comportement ou de mode de vie », ou encore en cas d’hésitation vaccinale.

> Principes et objectifs

L’entretien motivationnel permet d’explorer l’ambivalence des personnes – partagées entre désirs de changement et obstacles au changement. Il s’agit de se pencher avec elles sur cette balance afin de les aider à prendre éventuellement une décision de changement et à la mettre en œuvre.

L’approche motivationnelle permet de verbaliser la situation et les changements déjà accomplis par les personnes afin de faciliter certaines prises de conscience (situation désirée, situation présente, écart entre les deux) et d’engendrer ou renforcer une action.

> Esprit

L’approche motivationnelle est individuelle, centrée sur la personne : elle prend en compte les désirs, difficultés et environnement de vie de chacun, de façon globale.

Le professionnel de santé reconnaît et respecte la liberté, la responsabilité et l’autonomie des personnes, et propose une relation de collaboration, de partenariat, d’égal à égal. Dans cet esprit, le réflexe correcteur des soignants – qui s’exprime par des injonctions telles que « il faut que vous arrêtiez de fumer », vectrices de rejet – est à éviter et à contourner en amenant l’individu à formuler lui-même ses besoins et désirs de changement.

En effet, un pilier de l’entretien motivationnel concerne l’évocation – opposée à l’éducation et au conseil. Dans cet esprit, le rôle du professionnel n’est pas d’apporter ses connaissances, ni de chercher par l’évaluation ce qui manque à la personne pour changer. Au contraire, il s’agit de considérer que la personne détient les clés pour résoudre l’ambivalence dans laquelle elle se trouve, et que c’est par l’évocation de ses propres ressources, désirs, besoins, valeurs, que le professionnel pourra la faire avancer : la véritable maîtrise de l’entretien motivationnel consiste à refléter explicitement ce que la personne suggère implicitement.

La véritable maîtrise de l’entretien motivationnel consiste à refléter explicitement ce que la personne suggère implicitement

 

L’approche motivationnelle fait appel à l’empathie des professionnels de santé (capacité à se projeter à la place de l’autre et à l’exprimer sans pour autant oublier sa propre situation) et génère de la sollicitude (empathie suscitant une action, un accompagnement).

Elle requiert une attitude d’acceptation, positive, dénuée de jugement – nécessaire pour que les patients puissent se confier.

Appliquée au bilan de prévention, l’approche motivationnelle permet de sortir d’un screening systématique, normatif, pyramidal, de facteurs de risque, de replacer la santé des personnes dans un contexte de vie global (activité professionnelle, conditions de logement, etc.) et de favoriser la réflexion active des personnes. Elle permet de lutter contre plusieurs écueils : vérification simple de l’absence ou de la présence d’une longue liste de facteurs de risque, ciblage unilatéral par un professionnel de santé de ceux qui semblent les plus délétères, délivrance d’informations et d’un plan d’action peu personnalisés.

PROCESSUS

Afin d’explorer l’ambivalence des personnes et renforcer la motivation à changer, il apparaît nécessaire de passer par certaines étapes. Ces processus peuvent être initiés pendant l’entretien motivationnel, et poursuivis dans des consultations ultérieures.

> Engagement dans la relation

Un prérequis à tout entretien motivationnel – y compris lors des bilans de prévention – concerne la possibilité pour le patient de se confier, de faire confiance. Selon la HAS, cela nécessite pour l’effecteur de l’entretien de s’interroger : « à quel point cette personne est-elle à l’aise en me parlant (et à quel point le suis-je moi-même ?) », « est-ce que je comprends son point de vue et ses préoccupations ? », « est-ce que cette conversation ressemble à une relation collaborative ? » (3).

Certains écueils peuvent conduire à un désengagement du patient, comme l’utilisation extensive et peu personnalisée de tests, l’expression de jugements de valeur, ou encore, une certaine forme d’antipathie douce. Par exemple, si un jeune homme exprime lors d’un bilan de prévention un mal-être déclenché par une rupture amoureuse, une tentative de réassurance telle que « une de perdue, dix de retrouvées » serait non empathique, contrairement à une réaction telle que « cette rupture est difficile pour vous ; connaissez-vous des personnes qui ont connu cette situation et qui vont mieux ? ».

> Focalisation

La focalisation concerne la définition d’un sujet de changement et le centrage de l’entretien sur ce thème. Lors du bilan de prévention, c’est l’étape d’identification d’une thématique de prévention clé.

Pour identifier cette thématique, peuvent être posées des questions comme « qu’aimeriez-vous changer en premier dans votre vie qui vous permettrait d’aller mieux ? » ou – de préférence – « si vous aviez une baguette magique qui vous permettait de changer sans aucun effort ni effet indésirable, que changeriez-vous ? ».

La réponse doit pouvoir être acceptée par l’effecteur. Par exemple, si un individu vivant avec une obésité estime que sa priorité ne concerne pas une perte de poids mais l’amélioration de son sommeil, insister sur la nécessité de modifier son alimentation peut susciter un rejet.

Aborder le tabac, par exemple, peut aussi se faire comme suit : « racontez-moi votre vie avec le tabac, les bons et mauvais côtés ». Parfois, la réponse suggère des problématiques autres, plus profondes que celles identifiées dans un premier temps : présence d’une dépression (fumer pour éviter un épisode dépressif), difficultés à s’affirmer (boire de l’alcool du fait de difficultés à dire non), etc.

Un enjeu de cette étape peut être de faire prendre conscience à l’individu de la réalité de sa situation présente, et de la différence avec une situation désirée. Les valeurs de la personne peuvent transparaître. Par exemple, un homme qui souhaite être un « meilleur père » peut se rappeler être arrivé en retard à l’école pour acheter des cigarettes.

> Évocation

L’évocation consiste à discuter du pourquoi changer. À cette étape, peuvent être posées des questions telles que : « comment imaginez-vous votre vie dans dix ans sans alcool ? ». L’objectif est de pousser l’individu à imaginer précisément les bénéfices du changement, à les mettre en lien avec ses valeurs.

> Planification

La planification concerne le comment changer : orientation vers un coach d’activité physique adaptée, d’éducation thérapeutique, etc. Elle ne peut être réalisée sans focalisation et évocation préalables. Plus tard, un manque d’engagement de l’individu dans les mesures proposées peut signer un besoin de retourner à ces étapes.

> Au-delà du bilan de prévention

Lors du bilan de prévention, une intervention motivationnelle brève peut donner des idées ou envies de changement et des pistes de réflexion. Ce court temps constitue ainsi une occasion de contrer certains arguments soutenant le maintien d’habitudes délétères. Par exemple, à la remarque « il faut bien mourir de quelque chose », il est possible de répondre : « la façon de mourir vous importe peu ? ».

Tous ces processus ne peuvent être entièrement déployés pendant seulement 30 à 45 minutes de discussion : une fois initiée, cette démarche de prévention, ces idées et envies de changement pourront être renforcées lors de consultations ultérieures.

 

Tableau 1 : Tranches d’âge clé des bilans de prévention et sujets d’intérêt (selon l’Assurance-maladie)

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En gras : préoccupations de santé principalement exprimées par les patients

TECHNIQUES DE COMMUNICATION

L’approche motivationnelle s’appuie sur des modalités et techniques de communication qui peuvent être appliquées pendant l’entretien de prévention.

> Questions ouvertes

Pour pousser les individus à réfléchir à leur situation et à verbaliser ces réflexions, il est préconisé d’utiliser autant que possible des questions ouvertes – commençant notamment par « pourquoi », « comment » ou « qu’est-ce que », plutôt que par « est-ce que » : mieux vaut demander « que mangez-vous au petit-déjeuner ? » plutôt que « prenez-vous un laitage le matin ? ».

> Valorisation

Les comportements favorables à la santé déjà mis en place sont à valoriser dans un esprit de promotion de la santé. Puis, plus tard, après le bilan de prévention, les tentatives de changement entreprises sont aussi à souligner afin de renforcer le sentiment d’auto-efficacité et la confiance en soi. Mais ce, sans jugement de valeur, même positif – car un professionnel de santé manifestant des jugements de valeur positifs apparaît aussi susceptible d’élaborer des jugements négatifs. Pour éviter des formules telles que « c’est bien », deux techniques sont possibles : rester factuel et poser une question ouverte (« qu’est-ce que cela vous fait d’avoir arrêté de fumer depuis quinze jours ? ») ou évoquer des proches (« si votre meilleure amie réussissait, comme vous, à arrêter de fumer depuis quinze jours, que lui diriez-vous ? »).

> Reflets et résumés

Pour signifier une écoute active et relancer l’entretien, certaines ponctuations sont nécessaires. En particulier, reformuler ce qui a été dit par des reflets et résumés permet de renforcer certains propos, ou au contraire de suggérer des incohérences. La HAS évoque plusieurs façons de faire : l’écho simple (reformulation simple), l’écho amplifié (reformulation exagérée du discours), le double écho (reformulation puis rappel d’un propos contradictoire exprimé plus tôt) (4). Le reflet est la meilleure technique de reformulation, qui va plus loin qu’une répétition, qu’un miroir. Il s’agit d’une phrase affirmative (et non interrogative) qui émet une hypothèse faisant suite à l’énoncé d’un patient. Autrement dit, formuler un reflet consiste à compléter la phrase du patient. Par exemple, face à un patient qui affirme « j’en ai assez de souffrir », on peut compléter : « … et vous êtes décidé à agir efficacement ».

> Demander-partager-demander-demander

Les bilans de prévention constituent l’occasion d’apporter des informations, de proposer des conseils concis. Mais pour que le patient entende et adhère à ces éléments, encore faut-il qu’il ait consenti à les recevoir. Ainsi, l’approche motivationnelle recourt à la technique « demander-partager-demander-demander ». Par exemple, face à une personne non vaccinée qui se présenterait lors d’un bilan de prévention, il s’agit de demander : « me permettez-vous de vous parler de vaccination ? », puis, si oui, « que savez-vous de la vaccination ? », puis « me permettez-vous d’approfondir un peu ce sujet ? », et finalement, « qu’en pensez-vous ? ». Tout refus doit être respecté – d’autant que cela peut renforcer la confiance dans l’effecteur et que le seul fait d’avoir soulevé la question peut suffire à faire réfléchir.

 

Réglementation, quotations et démarches

Un arrêté du 28 mai 2024 (4) repris et détaillé sur le site web de l’Assurance-maladie (5) précise le cadre de réalisation des bilans de prévention.

Ces entretiens peuvent être réalisés par les pharmaciens, sages-femmes, infirmiers et médecins. Aucune formation obligatoire n’est requise. De même, aucune déclaration préalable n’est exigée, même si les professionnels qui souhaitent proposer ces bilans peuvent s’enregistrer sur sante.fr.

Le seul document à remettre au patient à l’issue de l’entretien – physiquement ou sur son dossier médical partagé – est le plan personnalisé de prévention. Si l’effecteur du bilan n’est pas le médecin traitant, le PPP est à lui transmettre par messagerie sécurisée.

Le tarif applicable pour les bilans de prévention – intégralement pris en charge par l’Assurance maladie – est fixé à 30 euros (et 31,50 euros dans les Drom), facturable une fois par tranche d’âge avec le code prestation « RDV ». Aucun dépassement d’honoraire ni majoration ne sont admis, excepté dans quelques situations : entretien de prévention à domicile (pour lequel peuvent être facturés des frais de déplacement) ou réalisation par le médecin, en cas de besoin identifié pendant l’entretien, d’un examen clinique, d’un frottis cervico-utérin, d’un électrocardiogramme ou d’une prescription d’examens complémentaires.

 

Tableau 2 : Ressources utiles avant, pendant et après les bilans de prévention

Diverses ressources sont disponibles sur les sites ameli.fr* et sante.gouv.fr** pour aider les professionnels qui souhaiteraient proposer des bilans de prévention. Une plateforme d’e-learning est ouverte sur le site formation.bilan-prevention.ehesp.fr. Par ailleurs, des formations, dont deux diplômes universitaires (DU) – l’un à Montpellier, l’autre à Tours –, permettent de s’initier et s’exercer à l’approche motivationnelle.

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BIBLIOGRAPHIE
(1) Insee. France, Portrait social, Édition 2023, 23 novembre 2023 
(2) L’Assurance-maladie, ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, Santé famille retraite services, Santé publique France. Mon bilan prévention, Livret de présentation.
(3) HAS. Entretien motivationnel, Outil d’amélioration des pratiques professionnelles, 20 mars 2024 
(4) Arrêté du 28 mai 2024 relatif aux effecteurs, au contenu et aux modalités de tarification des rendez-vous de prévention
(5) Ameli. Mon bilan prévention, un temps d’échange dédié à la prévention, 25 juin 2024 


Source : Le Quotidien du Médecin