Appendicectomie versus antibiotiques pour traiter l’appendicite aiguë non compliquée de l’enfant : un essai randomisé international, multicentrique, en ouvert de non-infériorité
Appendicectomy versus antibiotics for acute uncomplicated appendicitis in children: an open-label, international, multicentre, randomised, non-inferiority trial
St Peter SD, Noel-MacDonnell JR, Hall NJ et al. Lancet 2025;405:233-40.
https://doi.org/10.1016/S0140-6736(24)02420-6
CONTEXTE
Depuis la fin du XIXe siècle (1886), l’appendicectomie est le traitement de référence des appendicites aiguës non compliquées (non perforées) de l’adulte (1). Néanmoins, après une éventuelle alternative thérapeutique par antibiotiques évoquée en 1956 par un chirurgien Britannique (2), plusieurs essais plus récents menés chez des adultes ont suggéré qu’une antibiothérapie était une alternative acceptable à la chirurgie dans cette situation clinique (3-7). Ils montraient un retour plus rapide à une activité quotidienne normale chez ceux ayant reçu une antibiothérapie. Un autre essai randomisé (8) ayant inclus 1 552 adultes a démontré que l’antibiothérapie était non inférieure à la chirurgie en termes de qualité de vie mesurée à 30 jours avec l’European Quality of Life five Dimensions score (EQ-5D). Cependant, dans ce dernier essai, les antibiotiques ont échoué à guérir 29 % des patients du groupe en ayant reçus. Enfin, chez les enfants, les principaux essais antibiotiques versus chirurgie étaient plutôt de type « pilote » et/ou n’avaient inclus que de petits effectifs (5,9).
OBJECTIF
Démontrer qu’une antibiothérapie est statistiquement non-inférieure à la chirurgie dans le traitement d’une appendicite aiguë non perforée de l’enfant.
MÉTHODE
Essai randomisé multicentrique, pragmatique en ouvert conduit dans 11 services hospitaliers de chirurgie pédiatrique situés au Canada, aux États-Unis, en Finlande, en Suède et à Singapour. Le principal critère d’inclusion était les enfants âgés de 5 à 16 ans suspects d’appendicite aiguë non perforée (diagnostic clinique avec ou sans imagerie). Les enfants inclus ont été randomisés pour recevoir soit une antibiothérapie par voie intraveineuse pendant 1 à 2 jours (selon l’évolution clinique) puis par voie orale à domicile (amoxicilline/acide clavulanique ou ciprofloxacine + métronidazole) pendant 10 jours, soit une antibiothérapie intraveineuse pendant 1 à 2 jours puis une appendicectomie majoritairement laparoscopique.
Le critère de jugement principal (CJP) était l’échec de la procédure allouée à 12 mois. Dans le groupe chirurgie, cet échec était défini par une analyse anatomopathologique normale de l’appendice excisée (intervention inutile) ou par la nécessité d’une nouvelle intervention abdominale avec anesthésie générale dans l’année post-randomisation. Dans le groupe antibiotiques, l’échec était défini par la nécessité d’une appendicectomie dans l’année post-randomisation.
L’analyse statistique, stratifiée sur le sexe, l’ancienneté des symptômes (≥ 48 heures ou < 48 heures), et le centre investigateur a été faite chez des enfants évaluables à 12 mois post-randomisation. La non-infériorité a été définie par les investigateurs (en accord avec les parents) comme une borne supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % de la différence absolue entre les deux groupes ≤ 20 % (autrement dit le taux d’échecs du groupe antibiotiques ne devait pas dépasser celui du groupe chirurgie de plus de 20 %).
Pour démonter la non infériorité attendue avec une puissance (risque ß) de 90 % et un risque alpha unilatéral ≤ 5 %, il fallait inclure 978 enfants dans l’essai.
RÉSULTATS
Entre le 20 janvier 2016 et le 3 décembre 2021, 978 enfants ont été inclus dans les 11 sites investigateurs parmi les 9 988 éventuellement éligibles (3 567 enfants avaient une appendicite perforée et pour 5 433 d’entre eux, les parents ont refusé de participer). Comme 42 parents ont retiré leur consentement, 459 (49 %) enfants des 936 randomisés ont été alloués au groupe appendicectomie et 477 au groupe antibiotiques. 90 % (n = 746) des enfants randomisés avaient des données disponibles à 12 mois car il y a eu 65/459 (14,1 %) perdus de vue dans le groupe chirurgie et 25/477 (5,2 %) dans le groupe antibiotiques. Finalement, l’analyse à 12 mois a concerné 394 enfants randomisés dans le groupe appendicectomie et 452 dans le groupe antibiotiques.
À l’inclusion, les caractéristiques cliniques et démographiques des 2 groupes étaient similaires. L’âge médian des enfants randomisés était de 10,7 ans (mini-max = 8,7-13,2), et leur poids médian de 38 kg (mini-max = 36,7-52,0 kg). 62,9 % étaient de sexe masculin et la durée moyenne des symptômes avant randomisation était de 1 jour dans les deux groupes. Les caractéristiques des deux groupes analysés à 12 mois étaient également similaires.
Le taux d’échecs à 1 an (CJP tels que définis dans le protocole) a été de 7,1 % (n = 28/394) dans le groupe appendicectomie et de 33,8 % (n = 153/452) dans le groupe antibiotiques. La différence absolue entre les groupes était de 26,7 % ; IC95 % = 22,4 %-30,9 %. Comme la borne supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % était supérieure à 20 % qui était le plafond choisi de non-infériorité, cette dernière n’a pas été démontrée. Finalement, l’appendicectomie a été considérée par les auteurs chirurgiens comme supérieure à l’antibiothérapie en termes de taux d’échecs de la procédure car les deux bornes de l’intervalle de confiance à 95 % de la différence absolue étaient > 20 %.
Par ailleurs, toujours d’après les auteurs, en prenant comme hypothèse que le taux d’échecs serait le même chez les enfants évalués à 12 mois que chez les perdus de vue, le résultat était inchangé et la supériorité de la chirurgie persistait.
COMMENTAIRES
Concevoir, construire et conduire un essai randomisé comparant deux procédures thérapeutiques totalement différentes est un exercice méthodologiquement délicat, surtout quand il s’agit de prendre en charge une situation clinique aiguë et potentiellement grave. Rien que pour cela il faut féliciter les auteurs de ce travail qui a inclus et suivi un peu moins de 1 000 enfants pendant 1 an. Pour eux et pour les investigateurs qui sont tous chirurgiens, l’échec de la non-infériorité des antibiotiques et la supériorité revendiquée de la chirurgie vont plutôt dans le sens de leur spécialité.
Cependant, même si la chirurgie est supérieure à l’antibiothérapie, le résultat de cet essai n’est généralisable qu’aux pays ayant un haut niveau socio-économique (comme celui de tous les pays investigateurs) qui ont des services de chirurgie pédiatrique à la pointe des prestations diagnostiques et laparoscopiques. Il est probable que le résultat ne serait pas le même dans les pays dits pauvres dans lesquels les services de chirurgie sont moins bien équipés et performants.
Par ailleurs, même si la méthode choisie pour cet essai était pertinente (y compris l’aspect inévitablement en ouvert) quelques biais sont susceptibles de diminuer la crédibilité du résultat. Tout d’abord le choix de la borne supérieure de la non infériorité n’était basé sur aucune donnée scientifique. Il était le simple fruit d’un consensus d’opinions arbitraire entre les parents (qui acceptaient une borne un peu plus élevée) et les chirurgiens (qui avaient une tendance inverse). Ensuite l’analyse statistique n’a pas été faite en intention de traiter et il n’y a pas eu d’imputation multiple aléatoire des perdus de vue ce qui diminue fortement la crédibilité du résultat. Enfin considérer que le taux d’échecs des très nombreux perdus de vue (90 enfants sur 978 inclus, soit 9,2 %) était le même que celui des enfants évalués à 12 mois est une hypothèse audible mais fragile car il y a eu presque trois fois plus de perdus de vue dans le groupe appendicectomie que dans le groupe antibiotiques (14,1 % vs 5,2 %).
En se fondant sur les résultats de cet essai, devant un enfant suspect d’appendicite aiguë non perforée, il serait préférable de le confier au chirurgien plutôt que de lui prescrire des antibiotiques pour peu que le clinicien exerce dans un système de soins riche et chirurgicalement bien doté.
Bibliographie
(1) Fitz RH. Perforation inflammation of the vermiform appendix with special reference to its early diagnosis and treatment. Trans Assoc Am Physicians 1886;1:107-44.
(2) Coldrey E. Treatment of acute appendicitis. BMJ 1956;2:1458-61. https://doi.org/10.1136/bmj.2.5007.1458.
(3) Findlay JM, Kafsi JE, Hammer C, Gilmour J, Gillies RS, Maynard ND. Nonoperative management of appendicitis in adults: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Am Coll Surg 2016;223:814-24.e2. https://doi.org/10.1016/j.jamcollsurg.2016.09.005.
(4) Mason RJ, Moazzez A, Sohn H, Katkhouda N. Meta-analysis of randomized trials comparing antibiotic therapy with appendectomy for acute uncomplicated (no abscess or phlegmon) appendicitis. Surg Infect 2012;13:74-84. https://doi.org/10.1089/sur.2011.058.
(5) Hall NJ, Sherratt FC, Eaton S, & al. Patient-centred outcomes following non-operative treatment or appendicectomy for uncomplicated acute appendicitis in children. BMJ Paediatr Open 2023;7:e001673. https://doi.org/10.1136/bmjpo-2022-001673.
(6) Minneci PC, Mahida JB, Lodwick DL, & al. Effectiveness of patient choice in nonoperative vs surgical management of pediatric uncomplicated acute appendicitis. JAMA Surg 2016;151:408-15. https://doi.org/10.1001/jamasurg.2015.4534.
(7) Minneci PC, Hade EM, Lawrence AE, & al. Association of nonoperative management using antibiotic therapy vs laparoscopic appendectomy with treatment success and disability days in children with uncomplicated appendicitis. JAMA 2020;324:581-93. https://doi.org/10.1001/jama.2020.10888.
(8) CODA Collaborative. A randomized trial comparing antibiotics with appendectomy for appendicitis. N Engl J Med 2020;383:1907-19. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2014320
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