Courrier des lecteurs

Pourquoi une telle catastrophe ?

Publié le 24/01/2025
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La situation catastrophique actuelle de la santé en France est conséquence de causes politiques, économiques, scientifiques.

Des causes politiques

Lorsque dans un but politique social louable, on a proposé au corps médical une convention, celle-ci était au départ raisonnable et fut progressivement acceptée. À l’époque, les actes techniques et les médicaments n’avaient pas des coûts très importants. La prise en main de la santé par l’État, publique pour les hôpitaux et privée dite libérale pour médecins, infirmiers, cliniques, etc. fit que cette dernière ne fut plus libérale que de nom. Cela engendra un budget de santé publique qui devint une véritable patate chaude dans les mains des gouvernements successifs. Au point qu’on a pu écrire ou entendre à une certaine époque que « cela ne rapportait rien » ou qu’en diminuant le nombre de médecins, il y aurait moins de dépenses en oubliant… Les malades !

Or, les années passant, l’amélioration de la Santé devint de plus en plus coûteuse et l’État n’eut de cesse que de rogner systématiquement et en permanence toute proposition d’ajustement normal des coûts des techniques, consultations, médicaments nouveaux, interventions chirurgicales. Le budget santé augmentant inexorablement devint parfois une variable d’ajustement dans le budget général, une véritable plaie pour les ministres qui durent aussi s’occuper des retraites… or…

Les facteurs économiques

Au fur et à mesure que l’État a persisté à baisser ses propositions conventionnelles en les faisant stagner ou augmenter à la marge pour dire que les remboursements étaient corrects, il a volontairement (j’assume cette accusation) ignoré les coûts réels. Les prix des actes médicaux, quels qu’ils soient, n’ont plus jamais suivi l’inflation, les augmentations des salaires publics et privés, accumulant les années passant, des retards considérables. Un véritable mensonge organisé et assumé par tous les politiques droite et gauche tout ensemble.

Le passage de la consultation à 30 euros est très mal vécu alors qu’il n’est même pas mathématiquement le rattrapage réel qui eût dû être !

Pour mémoire, ma consultation conventionnelle de début de carrière me permettait d’aller deux fois me faire couper les cheveux alors que (n’en voulant rien à mon charmant coiffeur) je pouvais juste à peine le voir une fois en prenant ma retraite. Voilà pourquoi est apparu le secteur 2 et pourquoi le passage de la consultation à 30 euros est très mal vécu alors qu’il n’est même pas mathématiquement le rattrapage réel qui eût dû être !

Ou encore, côté pharmaceutique, les hurlements des belles âmes face à la dépendance qui oublient les raclements systématiques des prix opposés aux industriels. Devenus internationaux par nécessité de concurrence, ils ont fini par faire fuir la recherche à l’étranger et délocaliser les productions pour échapper aux diktats de sa majesté la Sécurité sociale et vendre internationalement à leur prix. Il comprend le remboursement de la recherche passée pour un produit qui se doit maintenant d’être de niveau mondial, les coûts des recherches actuelles qui ne pourraient pas souffrir deux échecs successifs à peine de se faire avaler par les crocodiles du marigot, et tout cela sans oublier de faire fonctionner l’entreprise. Il y a cependant souvent à discuter… Mais regardons par hasard les prix de ces téléphones dont on devient les véritables esclaves… Qui hurle face à leurs prix ? Où est notre industrie fabriquant des téléphones ? Qu’est devenue notre industrie pharmaceutique ?

Ne pas oublier l’aspect scientifique

On touche là, l’aspect scientifique du problème avec soixante ans de progrès techniques colossaux à proprement parler. Ils ont renchéri inexorablement les coûts des examens complémentaires quels qu’ils soient et obligé à des investissements énormes, de plus en plus inaccessibles pour nombre d’établissements publics comme privés. Que voit-on ? La prolongation de 10 à 20 ans de vie en moyenne aggravant d’ailleurs le problème des retraites que d’aucuns ne veulent absolument pas admettre et/ou comprendre ce qui complique singulièrement les choses… L’augmentation du budget Santé fit apparaître subtilement la naissance des complémentaires au point que même Mme Touraine, ministre, avait essayé (sans réussir) de refiler une grosse partie de la patate chaude aux assurances (qui n’attendent que ça !). Aussi les Français paient-ils actuellement une cotisation à la Sécurité sociale et une deuxième qui croît de 10 % tous les ans au fur et à mesure des déremboursements… Qui connaît une assurance philanthrope ? Si bien que déjà, 5 % ne peuvent pas payer une complémentaire et que leurs prix actuels deviennent dissuasifs pour nombre de gens de la classe moyenne (environ 10 %).

De plus, on assiste à une financiarisation progressive de la santé, que ce soit dans les groupes de cliniques, les Ehpad, les labos d’analyses, etc. et ce n’est qu’un début. Poussons même le bouchon plus loin. Devant les progrès immenses dans la génétique et l’immunitaire, les traitements anticancéreux terrassant tumeurs et métastases sont des applications individuelles d’un coût énorme qu’on doute totalement d’être généralisable. En effet, la méthodologie s’avère difficilement automatisable en tout cas rapidement… Et cela face à une Sécu qui finit par rembourser assez bien le très grave nécessaire mais beaucoup, beaucoup trop… du n’importe quoi !

Au total, on obtient quoi ? Une France dont les salaires ne sont plus adaptés aux coûts réels de la santé et en fait beaucoup plus… qu’une médecine internationalisée « up to date ». Et pourquoi cela… ?

L’éducation passée et actuelle, dont on n’a pas parlé, ne permet plus de satisfaire les postes d’emplois complexes et freine de surcroît une réindustrialisation qui se doit d’être dans les hautes technologies à plus-values exportables. Il est impensable de prétendre, en dehors de mini-niches, réindustrialiser à des prix de production 3, 4 voire 5 fois supérieurs aux concurrents internationaux. L’affrontement prochain de l’industrie automobile française aux autos chinoises, même fabriquées en Europe… de l’Est, que j’espère le moins cruel possible en sera un exemple.

La santé n’est ainsi qu’un des aspects du problème global dont la dette pharaonique représente l’addition d’une mise à la cave mensongère des problèmes gênants à la démagogie persistante ayant toujours la faveur de certains de nos concitoyens. Le malheur est que cela va nous précipiter encore plus vite vers la médecine déjà à deux vitesses qui va pénaliser de plus en plus de Français. Il est temps d’étaler les vérités et de se retrousser les manches d’autant que cette fameuse IA va encore plus cristalliser les mensonges. Si on veut sauver notre Sécurité sociale, il va falloir la restreindre au remboursement du très strict nécessaire, ce qui va poser de graves problèmes d’éthique, et exiger une gestion sévère exempte de toute démagogie (un rêve !). En face, pour rembourser le reste… Il va falloir que notre industrie et notre commerce redeviennent suffisamment puissants et biens moins entravés pour pouvoir donner des salaires qu’elle ne peut pas donner actuellement.

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Dr Patrick Leboulanger ancien gastro-entérologue

Source : Le Quotidien du Médecin