Une thérapie du voyage... immobile

Une fugue organisée pour calmer les patients Alzheimer

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Publié le 10/11/2016
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Crédit photo : Florence Quille

Munie de son ticket, Lucienne attend calmement l’arrivée de son train. Dans quelques minutes, elle s’installera dans le wagon, accompagnée d’un soignant. Destination: la campagne normande et son bocage verdoyant. Vingt minutes de trajet avec arrêt dans plusieurs gares et paysage varié défilant à la fenêtre. Tranquillement installée sur sa banquette, Lucienne semble apprécier la sortie. Elle a même emporté son tricot…

Ce voyage n’est pourtant qu’illusion : un périple virtuel organisé pour les patients Alzheimer ou déments ayant un besoin irrépressible de partir, de fuir une réalité oppressante. Afin de calmer cette envie de départ, l'équipe soignante les emmène en voyage ! « C’est une forme de fugue organisée, explique Emmanuelle Tiry, directrice de l’EHPAD Notre Dame de la Treille à Valenciennes, qui expérimente cette thérapie du voyage dans son nouvel établissement. Le besoin de partir est très fréquent chez les patients atteints d’Alzheimer. Ils errent sans but réel dans les couloirs pour fuir l’enfermement et peuvent parcourir jusqu’à dix kilomètres par jour. Ce qui les,laisse dans un état d’épuisement important. Pour calmer ce besoin de partir, nous les emmenons en voyage. » Une pièce du rez-de-chaussée a été aménagée en hall de gare, dans le pôle d’activité de l’EHPAD. L’horloge, la banquette en bois et le guichet semblent plus vrais que nature. Sur le quai, les portières du wagon s’ouvrent pour laisser accès au compartiment : banquettes rembourrées, étagères à bagages, et paysage défilant sur un écran… L’illusion est totale.

Faciliter la prise en charge

C’est un neurologue italien de l’université de Milan, le Pr Cilesi, qui a développé ce concept il y a cinq ans pour traiter des patients Alzheimer ou déments présentant une déambulation importante ou une forte agressivité. L’expérience a montré que dans 80 % des cas, cette thérapie du voyage apaisait le patient. La déambulation est réduite de 30 % et l’agressivité fortement réduite. « L’objectif de cette thérapie est de réduire la prescription de neuroleptiques, dont les effets secondaires sont néfastes, en apportant une impression d’évasion au patient, explique le Dr Benoit Guislain, gériatre et médecin coordinateur de l’EHPAD Notre Dame de la Treille. En unité de vie Alzheimer, une tiers des patients sont potentiellement fugueurs. Si ce voyage virtuel peut diminuer chez eux la charge émotionnelle, il permettra de recourir moins souvent aux médicaments neuroleptiques et de faciliter la prise en charge par les soignants. Mais il s’agit d’une thérapie complémentaire. Elle ne peut en aucun cas se substituer à une prise en charge classique. Pour les équipes soignantes, c’est un plus. »

Lorsque l’infirmier relèvera les signes avant-coureurs d’une crise d’angoisse, il pourra proposer au patient de partir pour un voyage de 20 à 30 minutes. Le parcours étant celui d’un train inter-cités, le « voyageur » pourra à tout moment descendre en gare, s’il désire. Expérimentée dans plusieurs unités de vie Alzheimer en Italie et en Suisse, cette thérapie est testée pour la première fois en France. « Nous allons cibler les patients ayant un important désir de vagabondage ou agités et évaluer les effets de ces périples virtuels, comme pour un protocole d’essai thérapeutique », explique le Dr Guislain. Voyage à suivre!

Florence Quille

Source : Le Quotidien du médecin: 9533