En France, chaque année, 158 000 patients développent une infection liée à une bactérie multirésistante, et pas moins de 15 000 personnes en meurent. D’après les projections, l’antibiorésistance pourrait ainsi tuer plus de 10 millions de personnes dans le monde en 2050 et coûter plus de 100 000 milliards de dollars.
Ces chiffres révélés en juin 2015 dans le rapport du « groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques », dit « rapport Carlet », ont amené les cinq Académies réunies pour la circonstance à constater que « le monde s’achemine vers une ère post-antibiotique, où des affections courantes et des blessures mineures pourraient à nouveau tuer ». Dès 2012, quatre de ces Académies, auxquelles s’est ralliée cette année celle de chirurgie dentaire, ont mis en place une veille inter-académique permanente sur le sujet, « dans un effort global de mobilisation scientifique pour apporter les solutions concrètes dont dépendent l’avenir de la santé publique et la qualité de notre environnement ». Elles rappellent ainsi qu’il est indispensable de « favoriser la prévention des maladies infectieuses par l’hygiène et la vaccination », tout comme il est primordial « d’éviter les prescriptions inutiles d’antibiotiques chez les médecins et les dentistes, évaluées à plus de 20 %, et par les vétérinaires grâce au plan EcoAntibio 2017 ». Pour le Pr François Bricaire, infectiologue à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), si « on ne peut que déplorer le mauvais usage des antibiotiques sur lequel nous alertons depuis de nombreuses années sans être entendus, il ne sert à rien de se culpabiliser les uns les autres et il faut désormais que chacun réfléchisse aux solutions qu’il peut apporter dans son domaine ».
Meilleures pratiques et nouvelles stratégies
À l’image de l’activité d’élevage qui, en France, a déjà réduit de 20 % en 4 ans l’usage des antibiotiques (objectif - 25 % en 2017) et qui, en 2013, est passée en dessous de la moyenne européenne en termes de consommation d’antibiotiques vétérinaires, des efforts de diminution générale des prescriptions doivent être réalisés par tous. Si cette réduction est nécessaire, « il est encore mieux de former et d’inciter tous les praticiens à sélectionner le bon antibiotique », rappelle le Pr Bricaire qui explique également que la détection des malades porteurs de germes multi-résistants et asymptomatiques, « de plus en plus nombreux dans nos hôpitaux », est devenue plus que nécessaire.
À cet effet, les Académies recommandent de favoriser le diagnostic précoce par des tests sensibles, rapides et économiques. Si la prise de conscience collective qui s’est amorcée face à la menace grandissante et concrète d’une augmentation de l’antibiorésistance est en train de faire évoluer les pratiques dans le bon sens, ces dispositions plus vertueuses risquent de ne pas suffire. Afin de diversifier l’arsenal thérapeutique, chercheurs et industriels se tournent donc désormais vers de nouvelles stratégies : utiliser des peptides antimicrobiens issus de notre propre arsenal de défense, produire en terre les bactéries « non-cultivables » pour en extraire de nouvelles molécules antibiotiques comme la teixobactine, développer des inhibiteurs des carbapénémases, ces composés sécrétés par les bactéries à Gram négatif qui les rendent insensibles à la plupart des nouveaux antibiotiques, accélérer les travaux sur la phagothérapie et créer une banque nationale de phages régulièrement actualisée ou encore utiliser des bactéries prédatrices isolées de divers écosystèmes dans une optique de « cannibalisme bactérien ».
Si certaines de ces pistes sont déjà bien avancées, d’autres demanderont encore du temps. En attendant, Thierry Naas, microbiologiste au CHU de Bicêtre (Paris), rappelle que « si l’antibiorésistance reste encore une problématique hospitalière, la diffusion communautaire de bactéries multi, voire toto-résistantes a commencé et sera extrêmement difficile à contrôler ».
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