Témoignage

Une comédienne confrontée à la perte d’audition

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Publié le 28/06/2021
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Comment vit-on, à 25 ans, le début d’une maladie qui entraîne petit à petit une perte d’audition ? Dans Journal de mes oreilles, Zoé Besmond de Senneville témoigne de son parcours.

Crédit photo : Flammarion

Le jour de ses 25 ans, Zoé Besmond de Senneville connaît de vives douleurs auriculaires qu’elle assimile à une otite. Une fois passée la crise surviennent des acouphènes, d’abord discrets puis plus manifestes, et les douleurs se reproduisent. Après plusieurs mois à tenter de se soigner seule tout en poursuivant ses diverses activités d’étudiante, de comédienne et de modèle d’art, la jeune femme se résout à consulter et accepte de passer un scanner. Là, le diagnostic tombe : Zoé souffre d’otospongiose cochléaire bilatérale. Commence alors un « parcours de combattante » qu’elle raconte dans Journal de mes oreilles, podcast d’abord posté sur internet pour ses proches – « ma famille, les gens avec qui j’ai travaillé ces dernières années et qui n’ont littéralement rien compris à ce que je traversais » – puis repéré par une radio indépendante et finalement par Flammarion, qui a publié son ouvrage ce printemps.

Du choc à l’acceptation, en passant par la révolte

Et pour cause : bien que ce Journal ne soit a priori pas destiné au grand public, et encore moins à un lectorat de médecins, chacun peut se laisser toucher par ce récit, dont l’ambition est, certes, de faciliter la guérison et l’acceptation de soi de son auteure, mais aussi de percer des silences qui se constituent.

Outre celui de la surdité, le premier est surtout celui de la malade incomprise, que Zoé Besmond de Senneville tente de dissoudre avec ses mots. C’est en effet par un style à la fois percutant comme un marteau et tourbillonnant comme une cochlée, qu’on sent adapté à la voix, que la jeune femme s’efforce de partager ses oscillations entre choc de l’annonce (« je ne comprends pas »), choc sensible (« choc sonore, cérébral, qui se passe à l’intérieur des oreilles mêmes, du cerveau, du sensible »), déni (« je ne veux pas comprendre »), révolte (« QU’EST-CE QUE JE N’ENTENDS PAS, BORDEL ? »), négociation (« j’enlève mes appareils »), dépression (« ces torrents de larmes sur mon visage ») et finalement – objectif final de l’auteure – acceptation de la maladie et de soi (« accepter mes nouvelles limites, mon corps tel qu’il est aujourd’hui et l’aimer sans bornes, sans condition »).

La tentation des médecines parallèles

Mais aussi, la jeune femme tente de percevoir ce que dissimule un autre type de silence : celui des non-dits, des vérités tues. À partir de sa trajectoire personnelle, l’auteure réfléchit et s’intéresse plus largement à son environnement proche et moins proche, et aborde des thématiques variées et collectives telles que l’exil ou encore la condition féminine, démarche qui apparaît résolument actuelle.

À noter cependant que dans le cadre de ses réflexions, elle décrit aussi son recours à un nombre important de médecines alternatives, de la méditation transcendantale à la psychomagie en passant par le magnétisme ou encore le reiki. Sa posture, à la fois captivée (« je suis fascinée par ces gens dont les cellules cancéreuses ont disparu sans l’intervention des médecins ») et plus consciente (« je me sens incomprise par toutes les médecines considérées comme normales, et choyée dorlotée prise dans les bras par toutes les autres, les “parallèles” »), voire critique (« Qui veut ? Qui veut s’occuper de moi ? Me sauver, me faire une potion magique ? Tu as des capacités médiumniques ? de guérison ? thérapeutiques ? Tu ne sais pas encore mais tu peux quand même essayer ? ») vis-à-vis de ces approches peut toutefois inviter à s’interroger quant aux motivations de certains patients à recourir à ce genre de méthodes parallèles.

Morceaux choisis

« En ce moment, c’est calme dans mes oreilles. Le silence du confinement leur sied bien. Pas de sollicitation ou sursollicitation. Pas de tentative d’attraper des mots au milieu d’un groupe ici et là. Pas de constant brouhaha de la rue, de la circulation, pas de peur de ne pas entendre la prochaine phrase. Pas de lecture labiale non plus. Et pas d’appareils. »

« Je vis en fait un immense déni de mon propre silence, du silence en général, d’accepter de ne pas saisir les choses et ce que cela me fait. D’accepter là où j’en suis : la maladie en moi, qui me grignote, mes failles, le mal-être depuis la nuit des temps, mais aussi tout ce que cela m’offre, me donne, tout ce qu’il y a à transcender et à apprendre sur ce chemin, et toute la beauté qui passe à l’intérieur de cela. »

Journal de mes oreilles, éditions Flammarion, 176 pages, 15 euros


Source : Le Généraliste