Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée

Un traitement invasif prometteur

Publié le 21/06/2018
Corvia large

Corvia large
Crédit photo : DR

L'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée (ICFEP) est retrouvée chez plus 50 % des patients insuffisants cardiaques chroniques ou hospitalisés pour décompensation. Sa prévalence est en lien avec plusieurs comorbidités (obésité, hypertension artérielle, coronaropathie, diabète…) et le vieillissement mais il n'existe toujours pas de traitement médicamenteux spécifique permettant de réduire la morbimortalité. Les dernières recommandations européennes ne proposent que l'utilisation des diurétiques et le traitement des comorbidités (1). La physiopathologie de l'IC à FEVG préservée est différente de celle de l'IC à FEVG altérée et ses présentations cliniques sont en réalité très hétérogènes et associées à un pronostic certainement différent entre la dysfonction diastolique à l'exercice, la surcharge volumique et le profil associant hypertension pulmonaire et IC droite (2). Certains experts soulignent l'intérêt d'une prise en charge personnalisée selon la présentation clinique (3).

Toutefois, l'augmentation de la pression atriale gauche et par conséquent de la pression veineuse pulmonaire au repos et à l'effort est retrouvée quel que soit le phénotype et elle joue un rôle déterminant dans les symptômes : dyspnée, fatigabilité à l'effort et décompensation cardiaque brutale. L'idée d'un traitement interventionnel de l'ICFEP est basée sur la diminution de la pression intra-atriale gauche par la création d'un petit shunt interatrial (< 8 mm) pour décompresser l'atrium gauche vers le droit, sans compromettre le remplissage ventriculaire gauche ou engendrer d'hyperdébit.

Évaluation du DSIA par 3 études

La société Corvia Medical (Tewkesbury, États-Unis) a élaboré un dispositif de shunt interatrial (DSIA) permanent implantable par voie veineuse percutanée (figures 1 et 2). Nous disposons actuellement de 3 essais permettant son évaluation. La première étude pilote chez 11 patients avec ICFEP implantés d'un DSIA, âgés de 70 ± 12 ans avec une FEVG à 57 ± 9 % (en classe NYHA 3,2 ± 0,4) montrait après 30 jours de suivi une diminution significative de 5,5 mm Hg des pressions de remplissage ventriculaire gauche et une amélioration de la classe NYHA. À 1 an, l'amélioration de la classe fonctionnelle et de la qualité de vie se confirmait, avec une réduction des hospitalisations pour IC comparativement à l'année précédente, sans complication liée au DSIA ni d'accident embolique (4).

Une deuxième étude ouverte invasive (The REDUCe Elevated Left Atrial Pressure in Patients with Heart Failure - REDUCE LAP-HF) a démontré que le DSIA permettait à 6 mois de réduire significativement la pression capillaire au repos chez 52 % des patients, et chez 58 % lors de l'exercice malgré l'augmentation de la durée d'effort. Le DSIA restait perméable à 6 mois (5). À 1 an, les chercheurs observaient la persistance de l'amélioration de la classe NYHA, de la qualité de vie et du périmètre de marche de 6 minutes. De même, il était observé une réduction soutenue de la pression capillaire, indexée à la charge de l'exercice. La survie à 1 an était de 95 % et aucune complication liée au dispositif n'était observée (6).

Publiée en janvier 2018, la troisième étude (REDUCE LAP-HF I) est un essai contrôlé versus placebo, de phase II, qui a comparé 22 patients ICFEP avec une FEVG ≥ 40 % et implantés d'un DSIA à 22 patients contrôles (âge moyen 70±9 ans, 50 % de femmes). À 1 mois, une réduction significative de la pression capillaire à tous les paliers d'effort (mesure invasive par cathétérisme droit d'effort) était observée par rapport au groupe contrôle. Il n'était rapporté aucune complication pendant la procédure d'implantation, ni de complication cardiaque, cérébrovasculaire, ou rénale à 1 mois (7).Cette première étude randomisée suggère donc qu'un DSIA pourrait avoir un bénéfice chez les patients avec une FEVG ≥ 40 %.

Un dispositif différent permettant un shunt unidirectionnel grâce à des valvules biologiques, le « V-Wave shunt device » a également été développé par la société V-Wave Ltd. (Israël) et une observation d'implantation réussie a été publiée en 2015 (8).

Ainsi, l'implantation DSIA est une procédure réalisable, bien tolérée et permet de décharger durablement l'atrium gauche en diminuant les pressions atriales gauches à l'effort sans complication thromboembolique. Si les résultats sur l'amélioration de la classe fonctionnelle et de la qualité de vie se confirment, le DSIA pourrait s'intégrer dans la stratégie de traitement de l'ICFEP. Il est donc nécessaire de poursuivre les essais cliniques pour confirmer, par une plus large étude randomisée, l'impact d'un DSIA sur les symptômes, la qualité de vie, la capacité d'effort et les évènements cliniques. L'essai REDUCE LAP HF RCT II est en cours pour répondre à ces objectifs.

Institut du thorax, Inserm 1087, CIC Inserm 1413, université de Nantes (CHU Nantes) et hôpital Laennec
(1) Ponikowski P, Voors AA, Anker SD et al. Eur Heart J. 2016 Jul 14;37(27):2129-200 (2) Shah SJ. J Am Coll Cardiol. 2013 Oct 8;62(15):1339-42
(3) Shah SJ, Kitzman DW, Borlaug BA et al. Circulation. 2016 Jul 5;134(1):73-90
(4) S ndergaard L, Reddy V, Kaye D et al. Eur J Heart Fail. 2014 Jul;16(7):796-801

Pr Jean-Noël Trochu

Source : Bilan Spécialiste