S I on observe attentivement l'évolution actuelle des relations sociales en France, on sera pris de vertige. Ici, des employés des transports publics qui réclament la retraite à 55 ans, au nom de la « pénibilité » de leur travail, et finiront, tôt ou tard, et quel qu'en soit le coût pour les usagers, par obtenir ce privilège. Là, des salariés de Marks & Spencer, firme britannique, qui sont tous licenciés d'un coup, ou des milliers d'employés de Danone qui perdent leur emploi du jour au lendemain.
Mondialisation, multinationales féroces, exploitation de l'homme par l'homme, l'analyse de ces événements sera simpliste, surtout si on les additionne, comme nous venons de le faire. Le comportement des multinationales, c'est sûr, est redoutable : Marks & Spencer a tout simplement jugé qu'il devait se replier sur le territoire britannique et lâche, sans autre forme de procès, toutes ses filiales à l'étranger. Mais, si le danger pour l'emploi est aussi grand, comment est-il possible que des revendications, qui en somme portent sur des avantages exceptionnels (la vie active peut d'autant moins s'arrêter à 55 ans qu'il va falloir financer les retraites à venir), restent vivaces et obtiennent le soutien de la population, c'est-à-dire ceux-là même qui souffrent des grèves ?
Nous traversons une période qui termine peut-être un cycle de forte croissance, mais ce n'est pas certain. Cette croissance a relancé les revendications des travailleurs, même si, pour d'autres, par exemple les employés de Danone, c'est bel et bien la crise. On croule sous les témoignages poignants de salariés de Danone âgés de plus de 40 ans et qui n'espèrent pas retrouver un emploi. Ceux-là ont obtenu à leur manière la retraite anticipée que d'autres réclament avec vigueur.
De nouveau la crise ? Mais le chômage a encore baissé en février. Tout se passe comme aux Etats-Unis d'il y a un an ou deux ans : la croissance est pour le moment assez forte pour recycler les licenciés. Le phénomène risque de ne pas durer, d'autant que c'est par milliers que les grandes entreprises larguent leurs salariés. Déjà gênées par les 35 heures, les PME n'ont peut-être pas les moyens de prendre le relais des impitoyables multinationales.
Cependant, le vrai problème, c'est la disparité des situations personnelles. Les salariés du secteur privé courent tous les risques, ceux du secteur public demandent la Lune : n'y a-t-il pas là une injustice aussi flagrante que les différences de revenus, seul épouvantail des syndicats ? Elle est même pire : elle oppose ceux qui ont un emploi et ceux qui le perdent. Et elle fonde les avantages de ceux qui obtiennent toujours plus sur le sacrifice de ceux qui ont toujours moins. Demandez à un employé de Danone s'il préfère la retraite à 55 ans ou du travail jusqu'à 65.
Non seulement on piétine le service public au nom de ce qu'il représente, de sorte qu'il n'a plus de service que le nom, mais il n'y a pas de service public sans un secteur privé prospère. Les conducteurs de trains et de bus sont eux aussi des producteurs de richesse. Pourtant, ils ne peuvent améliorer leur sort que si ceux du privé ont un emploi et si cet emploi est mieux rémunéré.
Quelques membres du gouvernement n'ont pas manqué de fustiger la brutalité des mesures adoptées par Danone et par Marks & Spencer. On les approuve, mais pourquoi ne dénoncent-ils pas certaines revendications sociales excessives ? Dans une société qui fait du communautarisme sa bête noire, pourquoi aucun dirigeant, aucun intellectuel (ou si peu) ne s'élève-t-il pas contre cette autre forme de communautarisme qu'est la défense des intérêts catégoriels, forme pure d'égoïsme qui ne choque même pas les usagers ? En France, il y a des tabous intangibles : la revendication, la manifestation (on en fait des milliers chaque année dans tout le pays) et la grève sont devenues institutionnelles. On ne dit jamais qu'une grève est injuste. On ne dit jamais qu'un salarié peut causer à un autre salarié un tort plus grave que celui qu'inflige le patron. Les syndicats de travailleurs, manifestement à la recherche d'un second souffle, devraient commencer par distinguer le bien du mal.
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