S’ils ont un bon niveau de connaissance des troubles bipolaires (prévalence, âge de début des symptômes, risque suicidaire et prise d’un traitement à vie), les médecins généralistes méconnaissent le lien entre la bipolarité et les maladies cardiovasculaires. Ils sont ainsi 68 % à ne pas établir ce lien. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par Odoxa (1) pour le compte de la Fondation FondaMental, de l’association de malades psychiques et de leurs proches Argos 2001 et du Collège de médecine générale et publiée à l’occasion de la journée mondiale des troubles bipolaires, le 30 mars.
Une forte prévalence du syndrome métabolique
« Ces résultats sont préoccupants et montrent où nous devons encore collectivement porter l’effort, observe le Pr Marion Leboyer, psychiatre et membre de la Fondation FondaMental. La prévalence du syndrome métabolique est deux fois plus importante chez les patients atteints de troubles bipolaires qu’en population générale. Or, on sait que ces anomalies métaboliques (diabète, glycémie, hypertension, etc.) prédisposent aux maladies cardiovasculaires ».
Les généralistes ne sont ainsi que 14 % à citer le suivi des constantes métaboliques comme un paramètre d’attention. « En théorie pourtant, une prise de psychotropes implique que les patients bénéficient d’un suivi spécifique et d’un bilan métabolique », insiste le Pr Bruno Etain, psychiatre et co-coordinateur des Centres Experts FondaMental troubles bipolaires. Cette absence de prise en charge spécifique des facteurs de risque des pathologies cardio-métaboliques est d’autant plus préjudiciable que ces maladies sont la première cause de mortalité des patients atteints de troubles psychiatriques. « Des travaux ont évalué entre 15 et 20 ans la perte d’espérance de vie des patients par rapport à la population générale », rappelle Ophélia Godin, épidémiologiste de la Fondation FondaMental.
Pourtant, les patients bipolaires tendent à être mieux suivis que d’autres patients atteints de pathologies mentales et ont, pour deux tiers d’entre eux, opté pour un généraliste comme médecin traitant. « Le tiers restant déclare leur psychiatre en tant que médecin traitant », souligne le Pr Frédéric Urbain, médecin généraliste et membre du Collège de médecine générale.
Malgré ce suivi, « ces patients connaissent une vulnérabilité à la fois psychique et physique, précise le Pr Bruno Etain. Ils sont pénalisés par un défaut de prise en charge conjointe. Les psychiatres pensent par exemple que les généralistes s’occupent du physique, sans forcément s’en assurer. Le risque est que personne ne fasse rien ».
La délicate coopération entre généralistes et psychiatres
Cette coopération entre généralistes et psychiatres constitue un autre enseignement de cette enquête. Sur les 70 % de généralistes qui mettent en place un suivi conjoint avec un psychiatre, ils sont 49 % à se déclarer insatisfaits de cette relation. Face à cette difficile collaboration, le Pr Frédéric Urbain prône un suivi dans le cadre d’un dispositif de soins partagés. « Alors que les patients bipolaires sont considérés comme difficiles par les généralistes, la coopération avec les psychiatres est pertinente et peut amener des clés de compréhension de la maladie », estime le généraliste.
« Les généralistes se plaignent d’un manque de communication avec les psychiatres qui n’ont parfois pas le temps ou le réflexe de transmettre leurs comptes rendus, admet le Pr Bruno Etain. Le préalable à la collaboration doit être une concertation entre ces professionnels de santé, notamment pour se répartir les rôles auprès du patient ». Un autre point de blocage relève du manque de reconnaissance et de valorisation de cette démarche collaborative. « Le dispositif de soins partagés est promu par les textes de loi, mais les dispositions l’encadrant amènent une charge administrative supplémentaire pour le généraliste équivalent à une demi-journée par semaine. Cela est très difficilement gérable », indique le Pr Frédéric Urbain.
(1) Enquête menée par Odoxa auprès de 1 000 Français et de 154 médecins généralistes.
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