Le don d’ovocytes en France

Un déséquilibre entre l’offre et les besoins

Publié le 10/05/2012
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ACTUELLEMENT en France, le don d’ovocytes est marqué par un déséquilibre important, pointé par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de février 2011, entre un besoin croissant dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation et un nombre de donneuses notoirement insuffisant. En 2008, précise le rapport, 265 dons d’ovocytes ont permis 145 naissances, alors que plus de 1 600 couples étaient en attente de don. Il semble en fait que la demande réelle soit beaucoup plus importante, comprise entre 1 500 et 6 000 couples. « Cette situation, explique le Dr Catherine Guillemain, conduit à un tourisme procréatif important orienté essentiellement vers l’Espagne et à un moindre degré vers la Belgique ou, plus récemment, vers les pays de l’Est. Le système espagnol est celui qui fonctionne le mieux en matière de qualité de la prise en charge et de sécurité sanitaire. Mais, dans ce pays comme dans d’autres, les donneuses sont souvent très jeunes, un antécédent de maternité n’étant pas exigé pour faire un don, elles sont rémunérées et ont la possibilité de renouveler leur don plusieurs fois. »

Pour remédier à l’insuffisance de dons en France, il faut bien entendu améliorer l’information, faire connaître aux femmes cette possibilité qu’elles ont d’être donneuses d’ovocytes, cela fait partie des missions de l’agence de biomédecine (www.agence-biomedecine.fr). Il est essentiel également de minimiser le plus possible les contraintes liées au don et de faciliter le parcours des donneuses. « Ces femmes font une démarche difficile, indique le Dr Marianne Capelle, il paraît normal que les frais entraînés par leur geste, frais de transport, d’hébergement si nécessaire, soient totalement pris en charge. Ce qui n’est pas toujours le cas. Mais il ne faut pas se voiler la face, le véritable obstacle au don d’ovocytes tient au fait que ce n’est pas un acte anodin ; c’est un acte chirurgical qui nécessite un parcours contraignant avec des consultations gynécologiques, des examens biologiques, des entretiens psychologiques… Les dons spontanés existent bien entendu. Certaines femmes font cette démarche très altruiste en étant parfaitement conscientes de la pénibilité du parcours. Et l’on peut d’ailleurs constater que les campagnes d’information, comme celle réalisée par l’agence de biomédecine en novembre 2011, favorisent ces dons spontanés. Mais le don relationnel reste actuellement en France la principale source d’alimentation du système. » Ces dons relationnels permettent de diminuer les délais d’attente, qui sont aujourd’hui au minimum de douze mois et plus généralement compris entre dix-huit mois et trois ans, comme l’indique le rapport de l’IGAS. Un couple en attente de don recrute lui-même une donneuse dans son entourage ; pour respecter le principe d’anonymat, les ovocytes de cette donneuse ne seront pas attribués à ce couple, mais augmenteront la ressource ovocytaire du centre et diminueront ainsi les délais d’attente. Le rapport de l’IGAS se montre très critique sur ce don relationnel qu’il juge contestable à plusieurs égards ; il pointe notamment le traitement différencié en termes de délais des couples avec donneur, la position parfois délicate dans laquelle se trouvent les solliciteurs auprès de proches à qui ils demandent un don engageant, constate enfin que le don relationnel ne repose pas toujours sur des dons désintéressés ou libres. Mais, tout en soulignant les risques du don relationnel, les rapporteurs de l’IGAS se disent toutefois conscients « que cette méthode pragmatique (…) ne peut disparaître immédiatement sous peine de tarir l’offre d’ovocytes. »

Deux nouvelles dispositions de la loi vont changer les pratiques.

Deux nouvelles dispositions de la loi de bioéthique révisée en 2011, toutes deux en attente de décrets d’application, vont changer les pratiques en matière de don d’ovocytes : la suppression de l’exigence de primomaternité, qui permet désormais aux femmes sans enfant d’être donneuse d’ovocytes, et l’autorisation de la vitrification des ovocytes. La vitrification pourrait faciliter le don d’ovocytes en France, mais elle pourrait aussi ouvrir la voie à la création de banques d’ovocytes, « ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions éthiques », note le Dr Capelle. Des femmes jeunes auraient la possibilité de faire conserver une partie de leurs ovocytes pour elle-même en vue d’une grossesse ultérieure. « Considérer que la conservation d’une douzaine d’ovocytes les mettra à l’abri de tout risque d’infertilité est un leurre, souligne le Dr Guillemain, la conservation des ovocytes offrira une sécurité partielle, mais en aucun cas une garantie absolue sur la possibilité d’une procréation ultérieure ». « Par ailleurs, remarque Marianne Capelle, cela risque d’aboutir à reculer l’âge des grossesses. » L’âge limite pour l’AMP (assistance médicale à la procréation) est actuellement fixé à 43 ans, mais il est plus élevé dans d’autres pays, 47 ans en Belgique, 50 ans en Grande-Bretagne « et ce recul de l’âge est déjà aussi une réalité en France », précise le Dr Capelle. « Outre le fait que ces grossesses tardives sont des grossesses à risque, il y a là une évolution de la société qui est quelque peu inquiétante », estiment Marianne Capelle et Catherine Guillemain. « La conservation des gamètes doit répondre à une indication strictement médicale et non à une indication de confort. »

D’après un entretien avec les Drs Marianne Capelle et Catherine Guillemain, hôpital de la Conception, CHU, Marseille.

 Dr HÉLÈNE COLLIGNON

Source : Bilan spécialistes