Un cri en silence

Publié le 13/05/2016

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Effleurer l’abîme humain plutôt que le sonder imprudemment, le propos d’Henri James s’adresse au romancier américain Hawthorne. Mais c’est aussi une des clés qui ouvrent sur une des œuvres romanesques les plus subtiles où les énigmes sur la nature humaine, ses raisons et ses déraisons sont soulevées sans jamais exiger de résolution. Qu’importe si au final nous avons le cœur (un peu plus) intelligent pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Alain Finkielkraut consacré à la lecture de grands romans. L’essayiste avait d'ailleurs retenu Washington Square dans sa liste de romans de chevet, aujourd’hui repris dans un volume de la Bibliothèque de la Pléiade. L’intrigue ici n’a que peu d’intérêt. Un coureur de dot, beau causeur et bien mis de sa personne, part à la conquête d’une jeune fille de la High Society, fille d’un médecin célèbre qui la méprise incidemment. Et a repéré les intentions peut-être pas totalement guidées par le seul amour de l’impétrant. Mais c’est bien ce face-à-face dramatique entre un père et sa fille qui nous bouleverse aujourd’hui. Ce praticien animé du seul esprit de géométrie ne se trompe peut-être pas dans ses diagnostics. Il n’aura pourtant jamais élucidé les secrets de sa fille, un cœur simple « qui crie en silence pour être lu autrement », selon le mot de Simone Weil. Sans effet stylistique, porté seulement, par une ironie qui distille ses saillies tout au long du récit, ce roman de non-éducation emmène le lecteur vers cette poétique de l’incertain, selon le mot d’Evelyne Labbé, l’éditrice de talent de ce volume. On lira également un autre chef d’oeuvre d’Henri James, Un portrait de femme, illuminé par l’esprit de finesse mais où la souffrance traverse la conscience avant de tomber dans une sorte d’abîme.

Un portrait de femme et autre romans, édition établie par Eveline Labbé, Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard, 65 euros jusqu'au 31/8/2016; ensuite 72 euros.