Tomosynthèse : une simple question technique ?

Publié le 15/01/2018
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dépistage cancer du sein

dépistage cancer du sein
Crédit photo : IAN HOOTON/SPL/PHANIE

La tomosynthèse est une évolution de la mammographie numérique qui permet d’obtenir des coupes millimétriques du volume mammaire en sus de l’image classique. La « segmentation » de l’image permet de diminuer les phénomènes de superpositions inhérents à l’imagerie en plan et d’améliorer la visibilité des anomalies intramammaires. Le taux de détection des cancers augmente (sensibilité) mais également la spécificité en diminuant le nombre d’examens complémentaires nécessaires pour éliminer une « fausse image suspecte » engendrée par la superposition des structures normales du sein. La tomosynthèse apparaît donc, en théorie, parfaitement adaptée au dépistage du cancer du sein. De nombreux travaux en cours confirment d’ailleurs les performances dans cette indication en rapportant une augmentation du taux de détection des cancers de 20 à 50 % comparativement à la mammographie et une diminution du taux de rappel de 20 à 30 % (femmes reconvoquées après une 2e lecture pour un examen complémentaire afin de confirmer ou infirmer une anomalie).

Un tournant dans la détection des cancers ?

L’attente des professionnels, mais également des femmes informées par la presse généraliste de cette évolution, est donc importante car si la tomosynthèse est utilisable en situation diagnostique, elle ne l’est toujours pas pour le dépistage organisé. Cela peut sembler incongru, et être considéré par certains comme une perte de chance éthiquement insupportable, mais s’explique par plusieurs facteurs. En préambule, il convient de rappeler que le dépistage organisé du cancer du sein est une action de santé publique et à ce titre engage la responsabilité des pouvoirs publics notamment en termes de sécurité sanitaire et en particulier sur l’exposition aux rayonnements ionisants. Un contrôle qualité (CQ) obligatoire et indépendant des constructeurs existe depuis prés de 20 ans pour la mammographie conventionnelle. Celui-ci a permis outre une nette amélioration du parc d’appareils, une diminution des doses d’exposition. Les modalités du CQ pour la tomosynthèse ont été définies au niveau européen il y a plus d’un an mais ne sont pas mises en place en France par défaut de transposition de la part de l’ANSM. Par ailleurs, nous sommes le seul pays à avoir instauré depuis 2003 un « dépistage-diagnostic » imposant la réalisation systématique d’un examen clinique par le radiologue et la possibilité d’effectuer un bilan complémentaire immédiat notamment une échographie en cas de densité mammaire élevée. Ce protocole devrait diminuer l’apport de la tomosynthèse, les études provenant de pays effectuant un dépistage mammographique exclusif. La deuxième lecture qui ne concerne que les mammographies normales après un éventuel bilan diagnostic immédiat a un taux de rappel de l’ordre de 1,3 %, l’impact de la tomosynthèse sera donc également moins important. Enfin, la plupart des travaux publiés concernent un seul constructeur et l’expérience de l’implémentation de la mammographie numérique en dépistage en 2008 nous a prouvé que les résultats des études cliniques pouvaient être très différents de ceux de la pratique réelle en raison notamment de l’hétérogénéité interconstructeurs. En dépit des blocages énoncés ci-dessus, il est cependant indubitable que sans être une révolution, la tomosynthèse est une évolution quasi inéluctable de la modalité de détection des cancers du sein.

Des problèmes d'organisation

Cependant, et ce point n’est pas négligeable, pour autoriser cette technique en dépistage organisé, il reste à régler des questions organisationnelles. Celui de l’équité d’accès sur le territoire national puisque notre système décentralisé compte plus de 2 500 sites de dépistage qu’il faudra équiper (actuellement seulement 300 sites sont pourvus de cette technique). La problématique de la dématérialisation des films et de la deuxième lecture, actuellement non envisageable au vu du volume de données à faire circuler doit également être prise en compte. La France n’est cependant pas en retard puisqu’à ce jour aucun pays européen n’a encore remplacé la vieille mammographie, toujours performante.

L’implémentation de la tomosynthèse n’est donc pas qu’une problématique technique mais également une question politique : pouvons-nous et surtout voulons-nous continuer avec notre « dépistage-diagnostic » certes coûteux mais efficace et proche de la population ?  

Département d’imagerie, Centre régional de lutte contre le cancer (Lille)

Dr Luc Ceugnart

Source : Bilan Spécialiste