L ES Français ayant élu leurs responsables locaux, le gouvernement et le Parlement vont enfin pouvoir se remettre au travail. Ministres en campagne, travaux parlementaires suspendus : c'est peu dire que les élections municipales ont perturbé l'action gouvernementale. Aujourd'hui, l'équipe de Lionel Jospin ne dispose guère que de quelques mois utiles devant elle, avant que le pays ne sombre une nouvelle fois dans les délices des joutes électorales.
Dans le domaine de la politique de santé et de protection sociale - comme d'ailleurs, dans les autres secteurs - le gouvernement va devoir agir dans un contexte politique quelque peu modifié par les résultats des municipales. Et surtout dans un environnement économique moins euphorique que le ralentissement de la croissance aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Europe, ainsi que la déconfiture japonaise, contribuent encore à assombrir. La croissance sera vraisemblablement inférieure à 3 % cette année (plusieurs instituts de conjoncture la situent entre 2,5 et 2,7 %) alors qu'en préparant la loi de finances le gouvernement avait retenu une fourchette entre 3 et 3,6 %. De même, l'augmentation de la masse salariale - et donc des recettes de la Sécurité sociale - pourrait être inférieure aux 5,7 % retenus à l'automne.
C'est dans ce paysage moins réjouissant que celui de l'an dernier que le gouvernement va devoir traiter plusieurs dossiers et, sans doute, quelques crises.
Vache folle et fièvre aphteuse : les crises de tous les dangers
Gérées par Jean Glavany, sous le regard intéressé de Bernard Kouchner, ces deux crises demeurent le sujet de préoccupation prioritaire du gouvernement. Parce qu'elles ont des conséquences économiques et sociales de premier ordre. Parce qu'elles troublent l'opinion. Parce qu'elles peuvent à tout moment s'accompagner d'une jacquerie du monde agricole. Parce qu'elles compliquent les relations de la France avec certains de ses partenaires européens et extra-communautaires. Parce qu'enfin - et surtout - la moindre erreur dans la gestion de ce dossier pourrait avoir des retombées électorales considérables.
Comptes sociaux : les nuages s'accumulent
L'équilibre des comptes sociaux constitue un dossier crucial et qui pourrait bien, dans les semaines à venir, donner lieu à des arbitrages difficiles entre Laurent Fabius et Elisabeth Guigou. Compte tenu du ralentissement de la croissance, la prochaine commission des comptes de la Sécurité sociale, qui doit se réunir aux deuxième trimestre, pourrait présenter des estimations nettement moins optimistes que celles de l'automne dernier, qui tablaient sur un excédent de 15,2 milliards du régime général en 2001. D'autant plus que la croissance des dépenses d'assurance-maladie se poursuit à un rythme soutenu (6,1 % de hausse sur la période janvier-février 2001 par rapport à la période janvier-février 2000), ce qui ne cesse de faire fulminer Laurent Fabius. Dans la programmation pluriannuelle des finances publiques, le ministre de l'Economie et des Finances s'est engagé en effet à ce que la croissance en volume des dépenses de santé soit limitée sur une période de trois ans (2002-2004) à 5,5 %. Un objectif qui paraît aujourd'hui relever d'une douce utopie. La dégradation des comptes sociaux doit cependant être relativisée : ne pas atteindre l'excédent prévu ne signifie pas que la Sécurité sociale se retrouvera dans le rouge. En outre, la part que représentent les remboursements d'assurance-maladie dans le PIB n'augmente pas et se situe aux alentours de 7,3 % depuis plusieurs années.
La maîtrise des dépenses de médecine de ville : l'éternel casse-tête
Aucun gouvernement n'a réussi jusqu'à présent à limiter, de manière durable et acceptable par la population et le corps médical, les dépenses de médecine de ville. Le gouvernement va devoir s'attaquer à deux aspects du problème. D'abord, l'augmentation des dépenses de médicaments qui se poursuit à un rythme élevé, de l'ordre de 8 %. Les pouvoirs publics sont en train de mettre la dernière main à une série de mesures dont, précise-t-on de bonne source, « il ne faut rien attendre de révolutionnaire ». Ce qui laisse supposer qu'Elisabeth Guigou va composer un cocktail de mesures en recourant aux ingrédients habituels : baisses de prix de certaines spécialités et diminution de taux de remboursement pour d'autres.
Ensuite, le gouvernement va devoir traiter le problème des médecins libéraux, qui condamnent le dispositif de lettres clés flottantes. La principale difficulté pour la ministre de l'Emploi et de la Solidarité va être de trouver un système de maîtrise médicalisée des dépenses qui puisse quand même garantir, autant que faire se peut, le respect des objectifs de dépenses.
L'exercice sera d'autant plus délicat qu'il se déroulera, on l'a vu, dans un contexte économique défavorable et sous la haute surveillance de Laurent Fabius. La rédaction du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 qui pourrait intégrer le nouveau dispositif de régulation des dépenses sera particulièrement malaisée. D'autant que certains ne nourrissent guère d'espoirs sur la teneur des recommandations que pourrait formuler, en juin, le comité des sages installé par Elisabeth Guigou dans le cadre de la concertation qu'elle a lancée sur l'avenir de la médecine de ville.
Faut-il rappeler que le calendrier est, là aussi, particulièrement serré ? Ne pas résoudre le problème avant l'automne ce serait, pour Elisabeth Guigou, prendre le risque d'un conflit frontal avec les médecins alors que la France sera déjà engagée dans la campagne des présidentielles. Le genre de situation dont se dispenserait volontiers Lionel Jospin.
Le dossier hospitalier : la bombe à retardement des 35 heures
Elisabeth Guigou a remporté un succès en obtenant la signature de FO, de la CFDT, de la CFE-CGC, de l'UNSA et du SNCH au bas d'un protocole d'accord concernant les personnels hospitaliers non médicaux. Elle semble s'être assurée une certaine paix sociale dans les établissements pour les mois à venir, même s'il faut s'attendre à quelques conflits locaux ou sectoriels. Mais le gouvernement sait bien qu'en matière de politique hospitalière, le dossier le plus explosif demeure celui du passage aux 35 heures des personnels hospitaliers qui doit se faire au 1er janvier 2002. Et qui exigera des moyens financiers supplémentaires que la Fédération hospitalière de France chiffre à une dizaine de milliards.
Les grands chantiers en cours : modernisation sanitaire, APA
S'il est bien, dans le domaine sanitaire et social, un projet de loi auquel tient Lionel Jospin, c'est celui sur la modernisation sanitaire auquel le gouvernement est en train de mettre la dernière main et qui prévoit notamment le renforcement des droits des patients (avec notamment l'accès direct au dossier médical), la régionalisation du système de santé, diverses dispositions sur l'évaluation de la qualité des soins ou la formation continue et, surtout, le chapitre le plus délicat à concevoir : celui de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique qui peut mettre en jeu des sommes très élevées.
Le Premier ministre s'était personnellement engagé, à l'issue des états généraux de la santé, à promouvoir un texte de loi garantissant les droits des patients. Si ce texte devait être adopté, il rejoindrait sans doute les réformes - CMU, emplois jeunes, 35 heures, PACS et projet de loi sur l'allocation personnalisée à l'autonomie qui doit être examiné à l'Assemblée les 17, 18 et 19 avril - qui, avec la réduction du chômage, constitueraient un bilan honorable pour un Premier ministre dont personne ne doute qu'il sera candidat à l'Elysée.
Il reste que les modalités du financement de l'aléa thérapeutique semblent encore poser des problèmes et que, dans un calendrier parlementaire surchargé, faire adopter définitivement cette loi avant les prochaines échéances électorales exigera une ferme détermination politique.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature