Antidépresseurs chez l’enfant et l’adolescent

Sans suivi, un risque élevé de suicide

Publié le 28/01/2016
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Un doublement du risque de tentative de suicide et de comportement agressif chez les enfants et les adolescents de moins de 18 ans prenant des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline.

Les chiffres de la méta analyse publiée par le Dr Tarang Sharma et ses collègues du centre Cochrane de Copenhague semblent sans ambiguïté. « Les documents fournis par les laboratoires pharmaceutiques ne préviennent pas de façon adéquate les dommages potentiels » de ces médicaments, affirment-ils dans leur conclusion.

Les auteurs ont réanalysé les données d’étude sur la duloxétine, la fluoxétine, la paroxétine, la sertraline et la venlafaxine. Ils n’ont retenu que les études randomisées contre placebo, soit 70 essais totalisant plus de 18 500 patients. « Certains effets secondaires n’apparaissaient pas dans les articles, en dehors des listings individuels des patients qui ne figuraient que dans 32 études », expliquent les auteurs, qui soulignent une « sous-déclaration ».

Sur l’ensemble de la population, l’analyse ne montre pas de différence significative en termes de mortalité toutes causes et de tentatives de suicide. Toutefois, les patients qui prenaient un antidépresseur faisaient plus fréquemment preuve d’un comportement agressif que ceux qui prenaient un placebo.

Si l’on considère les moins de 18 ans, enfants et adolescents, les résultats font apparaître un surrisque. Ceux sous antidépresseur présentaient 2,39 fois plus de risque de suicide que ceux non traités (dans l’étude, le risque de suicide regroupe autant les tentatives que les projets de suicide ainsi que les idéations suicidaires), 2,79 fois plus de risque de comportement agressif, 2,15 fois plus de risque de d’akathisie.

Une levée de l’inhibition problématique

Le lien entre inhibiteurs sélectifs de la sérotonine et risque suicidaire n’est pas nouveau, puisque les premiers cas ont été rapportés en 1990. En 1997, le Dr Robert Bourguignon, médecin généraliste belge, avait publié une lettre dans « The Lancet » dans laquelle il mettait en garde contre les effets de la fluoxetine (Prozac). Selon le Dr Olivier Phan, qui dirige la consultation jeune consommateur du centre Pierre Nicole, ce « risque bien connu » est lié à la levée de l’inhibition. « Ces patients ont envie de se suicider mais ne le peuvent pas car la dépression les inhibe, précise-t-il. Chez les enfants, et les adolescents, le retentissement est encore plus important et il faut parois envisager une hospitalisation. »

Pour autant, les psychiatres ne jettent pas la faute sur le médicament lui-même. « Le traitement est indispensable à plusieurs jeunes que l’on a en consultation. Le vrai problème, c’est l’indication dans laquelle ils sont prescrits, poursuit le Dr Phan, si on se contente de prescrire un antidépresseur sans suivi régulier et sans psychothérapie alors oui, on expose le jeune à un risque. Il faut aussi respecter des règles simples comme ne jamais prescrire d’antidépresseur dès la première visite. »

La dépression chez l’enfant et l’adolescent s’inscrit le plus souvent dans un contexte de conflit familial qui ne se résout pas par le traitement seul. « Un des facteurs majeurs de dépression de l’enfant et de l’adolescent, c’est l’inceste et le traumatisme qui ne se guérissent pas avec des médicaments. De même les enfants dépressifs ont souvent un environnement familial très dégradé », conclut le Dr Phan.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin: 9466