Hépatites, NASH, hépatocarcinome, etc. : après la révolution que vient de connaître la lutte contre le VHC, le récent congrès français d’hépatologie a été l’occasion de faire le point sur les nouveaux défis de la discipline. Désormais, le challenge est autant dans l’amélioration du parcours de soin que dans les progrès médicamenteux, comme l’explique le Pr Christophe Bureau, secrétaire général de l’Association française pour l’étude du foie (AFEF).
Le Généraliste Le congrès de l’AFEF a été marqué par l’absence d’essais cliniques dans l’hépatite C. Faut-il y voir la preuve qu’on peut guérir tous les patients et que le problème du VHC est derrière nous ?
Pr Christophe Bureau : Il n’y a effectivement plus de recherche thérapeutique, car on guérit 95-98 % des patients après une première ligne, et pour les 2-3 % d’échecs, la seconde ligne se montre efficace dans 98-99 % des cas. Ceci avec des traitements raccourcis de 8 à 12 semaines. Avec des produits aussi efficaces et bien tolérés, on a désormais les moyens d’atteindre l’objectif d’élimination du virus de l’hépatite C en 2025. Le problème n’est plus celui de l’efficacité mais du parcours de soins, comme l’attestent plusieurs présentations du congrès. On cherche à rapprocher les patients du traitement. Environ 110 000 d’entre eux restent à traiter, parmi lesquels 30 000 sont identifiés. Il y a encore des personnes vulnérables, qui se savent infectées mais ont du mal à se faire soigner (personnes incarcérées, migrants, usagers de drogues). Pour améliorer l’accès aux traitements (actuellement réservés aux hépato-gastroentérologues avec parfois jusqu’à 150 km à parcourir), les antiviraux directs vont pouvoir être prescrits sous certaines conditions (absence de maladie sévère du foie et de comorbidité) par les généralistes à partir du premier trimestre 2019. Ils prendront en charge ces patients vulnérables, du dépistage au traitement, jusqu’à la vérification de la guérison. Cette recommandation a été annoncée lors de la journée nationale de lutte contre les hépatites virales en mai 2018 et figure dans le plan santé du gouvernement.
L’effort doit porter aussi sur le dépistage...
Pr C. B. Tout à fait. Pour les 75 000 personnes qui ne connaissent pas leur statut, l’AFEF recommande d’ailleurs, dans la lignée du rapport Dhumeaux, un dépistage au moins une fois dans la vie pour chaque adulte, sans nécessité de le réitérer s’il est négatif et en l’absence de facteur de risque. Il faut bien comprendre que la notion de population à risque pour le dépistage de l’hépatite C n’est pas pertinente, car dans plus de 30 % des cas, quand on la diagnostique, on ne sait pas comment le patient s’est infecté. Si on ne dépiste qu’en fonction des facteurs de risque, on entretient une épidémie cachée, avait souligné la HAS en 2016. Une campagne d’information sur le dépistage de l’hépatite C se déroule actuellement, destinée d’abord aux professionnels de santé (presse spécialisée, réseaux sociaux) puis au grand public.
Autre temps fort du congrès : pour la première fois, une mesure sur la prévalence de la NASH en France a été présentée. Qu’en est-il exactement ?
Pr C. B. Les résultats de cette grande enquête en médecine générale (cohorte Constances) suggèrent que nous avons surévalué la prévalence de la NASH avec les modélisations mathématiques. Cette étude avait pour objectif d’évaluer la fréquence de la consommation d’alcool, des hépatites virales et de la stéatose hépatique. Les patients bénéficiaient d’un examen clinique et d’examens biologiques permettant d’obtenir un score de stéatose (Fatty liver index). Sur plus de 100 000 patients vus en médecine générale, on retrouve 10 % de consommateurs excessifs d’alcool, c’est beaucoup. Quand on les exclut, pour isoler les stéatoses « pures », sans consommation d’alcool, la fréquence de ces dernières est de 16,7 %. C’est moins qu’attendu, d’autant que seules 2,6 % posent vraiment problème avec une fibrose avancée.
Mais si on additionne stéatoses « pures » et buveurs excessifs, on obtient une grande population à risque de maladie du foie. Or en France, beaucoup de patients cumulent les facteurs de risque liés à l’alcool et ceux liés à la « maladie du foie gras ». C’est le « bon vivant » qui a une « petite » consommation d’alcool, mange trop de sucres et de graisses et se retrouve à 55 ans avec une maladie du foie. Plutôt que de NASH, on pourrait parler de « cirrhose nutritionnelle » en France, même si pour les études, on sépare les deux. Pour rappel, une consommation d’alcool est excessive dès qu’on dépasse 30 g/j pour les femmes et 40 g/j pour les hommes (1 unité d’alcool = 1 verre = 10 g).
Comment identifier les patients à risque de maladie du foie en médecine générale ?
Pr C. B. Nous travaillons à des recommandations de diagnostics non invasifs des maladies du foie qui, je l’espère, déboucheront sur des propositions de repérage dès 2019. On pourrait concevoir un questionnaire simple pour cibler les consommations d’alcool à risque et des outils permettant de savoir quand s’adresser au spécialiste. L’hépatologie aura bientôt atteint un plafond de verre si les généralistes ne participent pas au repérage et à la prévention des maladies du foie.
De même, dans le domaine du cancer, deux nouveaux inhibiteurs de tyrosine kinase (cabozantinib et régorafénib) arrivent en deuxième ligne après le sorafénib. Mais si les malades ne sont pas diagnostiqués plus tôt – ce qui leur permet d’accéder à la chirurgie, à la destruction percutanée ou à la greffe –, on améliorera peu la survie.
Nous ne pourrons plus progresser sans la collaboration des médecins généralistes. Les hépatologues ont besoin de discuter avec eux pour savoir ce qui est faisable, compte tenu des conditions d’exercice.
Propos recueillis par le Dr Cécile Froment
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature