ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
C OURBET, Manet avaient chacun voulu un pavillon au même endroit, qui fût tout entier consacré à leur uvre. C'était une manière, ici de se démarquer de la masse, de souligner sa marginalité, là de faire acte d'autosatisfaction que le génie peut excuser.
Rodin vient de terminer son « Balzac », dans un climat de scandale, il pense déjà à son futur musée qui sera après sa mort (1917) sur deux lieux complémentaires, l'hôtel Biron (où il s'installe en 1908 grâce à Rainer Maria Rilke devenu son secrétaire), et Meudon, comme deux pôles encadrant l'évolution du « maître » au sommet de sa gloire.
Mais la volonté d'organiser cette exposition monumentale de son uvre répond aussi à un besoin de revanche sur la réticence du public et l'échec de la commande de « la Porte », qui devait servir d'accès au musée des Arts décoratifs projeté sur les bords de la Seine et qui fut finalement remplacé par la gare d'Orsay, devenue aujourd'hui le musée, où elle trouve tout naturellement sa place, comme une sorte de revanche.
Un pôle d'attraction
L'exposition de l'Alma était une première revanche. La reconstitution au musée du Luxembourg (qui fut, de son vivant, le musée d'Art moderne), offre une vision de la quasi-totalité de son uvre sculpté (120 pièces) mais également de fougueux dessins qui ne sont que des flashs lumineux, soyeux et fulgurants, de corps fiers de leur beauté ; et de précieuses photographies, dont il était très friand, et qui offrent une originale lecture de son uvre. Elles sont dues à Eugène Duret, restaurateur, place de l'Alma. Il fut l'organisateur de l'exposition. Ses clichés traduisent admirablement, par le jeu de la lumière, la troublante sensualité des uvres.
Rodin était trop révolutionnaire pour ne pas attirer à lui les sarcasmes de la presse et la méfiance des institutions dont il souhaitait l'attention, pensant, à juste titre, que la reconnaissance d'une uvre comme la sienne passe par la commande publique.
En 1900, Rodin a déjà derrière lui divers éléments prévus pour « la Porte » (devenue « de l'Enfer », en référence à Dante), « l'Age d'airain », « le Penseur », « le Baiser », « Ugolin », mais surtout des commandes officielles prestigieuses, comme « le Monument aux bourgeois de Calais », un « Hommage à Claude Lorrain » pour Nancy, un « Victor Hugo » prévu pour le Panthéon.
Le tumultueux dialogue érotico-artistique engagé avec Camille Claudel, qu'il a rencontrée en 1833, a déjà porté ses fruits, aussi bien pour l'un que pour l'autre.
L'essentiel, et la part la plus importante de son uvre, est déjà accompli.
Après l'exposition de l'Alma, le pavillon sera remonté à la Villa de Brillants à Meudon, où le sculpteur, jusqu'alors, vivait dans l'intimité avec sa femme Rose Beuret.
Le caractère monumental de la présentation de son uvre, qu'il peut y établir en continu, transforme une simple maison familiale en pôle d'attraction de toute l'Europe intellectuelle, mondaine et politique. On y croisait Mme Théodore Roosevelt, Gabriel d'Annunzio, G. B. Shaw, les deux surs Stephen (futures Vanessa Bell et Virginia Woolf), quelques aristocrates anglais. Ce qui fit dire à la première biographe de l'artiste, que c'était devenu « le Bayreuth de la sculpture ». Rainer Maria Rilke y vint en tant que secrétaire, fasciné par ces sculptures qui semblent « vous regarder derrière les hautes portes vitrées comme la faune d'un aquarium ».
Le grand rêve muséographique de Rodin s'amorce avec ce pavillon de l'Alma. Une telle uvre ne peut se comprendre que dans son développement, une lecture totale, tant la plupart des pièces qui la composent sont reliées les unes aux autres : ici par le projet de « la Porte de l'Enfer », qui fut la constante préoccupation de l'artiste.
Ce fut aussi un formidable « coup médiatique ». Rodin était devenu une gloire internationale.
Il aura des successeurs dans cette ambition d'offrir à la vue du plus large public la totalité de son uvre, en Brancusi par exemple. Une uvre indivisible.
« Rodin en 1900. L'exposition de l'Alma », Musée du Luxembourg, jusqu'au 15 juillet. Tous les jours de 11 h à 19 h. Nocturne le jeudi jusqu'à 22 h. Prix d'entrée : 44 F (tarif réduit le mardi : 34 F). Un important catalogue est édité par la RMN.
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