Les anticoagulants oraux directs dans la fibrillation atriale

Première ou deuxième intention ?

Publié le 18/06/2015
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Les principales données des essais cliniques sur la place des AOD par rapport aux AVK sont les suivantes :

1) Les AOD permettent une anticoagulation en moins de 2 heures. Ce qui évite la prescription initiale d’héparine et donc le relais héparine/ AVK qui est une période à haut risque hémorragique et thrombotique.

2) Ils ont nettement moins d’interactions avec la nourriture et les médicaments que les AVK. Ils en ont cependant avec certains autres médicaments (interaction du dabigatran avec le vérapamil et l’amiodarone).

3) Ils s’accumulent en cas d’insuffisance rénale (IR), le dabigatran plus que les trois autres. Ils sont donc contre-indiqués ou déconseillés en cas d’IR sévère. Les AVK doivent également être diminués dans cette situation, mais leur dose peut être ajustée en fonction de l’INR.

4) Les antidotes des AOD sont en cours d’évaluation. En revanche, on neutralise très efficacement et très rapidement l’effet des AVK par l’association vitamine K + PPSB (complexe prothrombinique)

5) Le rivaroxaban n’est pas inférieur aux AVK, en termes d’efficacité et de tolérance, dans l’essai pivot en double aveugle ROCKET. Il en est de même chez les patients âgés de plus de 75 ans et ceux ayant une IR modérée. L’apixaban est supérieur à la warfarine en efficacité et tolérance, dans l’essai pivot en double aveugle ARISTOTLE, y compris chez les plus de 75 ans. Le dabigatran est non inférieur à la warfarine dans l’essai pivot en ouvert RE-LY. Mais les populations incluses dans ces essais ont moins de comorbidités que dans la vraie vie, et il n’est pas sûr que chez des patients fragiles, très âgés, avec des fonctions rénales fluctuantes, cette non-infériorité (voire la supériorité) soit encore vraie.

6) Les AOD ne nécessitent pas de suivi de la coagulation en routine dans les essais. Leur maniement est donc moins contraignant. Cependant, le suivi de la coagulation sous AVK participe à la bonne observance.

7) Les AOD n’ont pas été évalués dans la FA associée à un rétrécissement mitral ou une prothèse valvulaire à l’exception du dabigatran. Chez les porteurs de prothèses valvulaires mécaniques, le dabigatran a provoqué plus d’hémorragies et de thromboses que la warfarine (essai RE-ALIGN). Il existe donc un consensus pour exclure de l’indication des AOD les patients avec rétrécissement mitral ou prothèse valvulaire mécanique : non seulement ils nécessitent une anticoagulation plus puissante que dans les FA mais de plus le seul essai disponible dans ce contexte est en défaveur du dabigatran. Les FA sur insuffisance mitrale ou valvulopathie aortique, en l’absence de prothèse valvulaire, ne sont probablement pas des contre-indications aux AOD. En effet, une analyse secondaire de l’étude ROCKET a montré que le rapport d’efficacité entre le rivaroxaban et la warfarine demeure le même chez ces patients.

Un suivi de la coagulation mal validé

Les tests pour suivre la coagulation sous AOD existent et ne sont pas onéreux : activité anti-Xa pour le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, test de thrombine dilué (Hemoclot) pour le dabigatran. Les industriels ont choisi de ne pas ajuster la dose d’AOD à un test biologique et ils ont de ce fait peu communiqué sur la valeur pronostique des résultats de ces tests. La fourchette d’activité anti-xa dans laquelle maintenir le patient sous rivaroxaban ou apixaban est mal connue. Tout au plus sait-on que certaines concentrations inhabituelles pourraient être associées à un risque hémorragique ou thrombotique augmenté (tableau 1).

Un ajustement empirique des doses chez les sujets fragiles

Il est proposé d’ajuster les doses d’AOD en fonction des principaux facteurs de surdosage. Cet ajustement est grossier (tableau 2). Or, les rares études sur la variabilité de la réponse aux AOD montrent qu’à dose identique l’effet sur la coagulation peut varier du simple au décuple d’un individu à un autre. Il manque donc des données pour ajuster de façon cartésienne les doses d’AOD chez les patients les plus fragiles, qui représentent une part non négligeable des sujets âgés en FA.

En attendant que les antidotes aient une AMM, la prise en charge des hémorragies sous AOD est mal codifiée et il n’y a quasiment pas d’études de qualité publiées sur ce sujet. La demi-vie relativement courte de ces produits laisse espérer la résolution spontanée assez rapide des modifications de l’hémostase après leur arrêt. Cependant, la durée d’action du dabigatran peut excéder 48 heures en cas d’IR modérée.

Quelles indications ?

Chez les patients non fragiles avec une bonne fonction rénale, les AOD sont probablement un bon choix en première intention. Cependant le niveau de preuve n’est pas le même pour tous les AOD. En particulier le service médical rendu (SMR) est moins bon pour le dabigatran que pour les autres AOD. Par ailleurs, compte tenu de l’absence d’antidote et sans mesure de l’effet anticoagulant en pratique courante, la Commission de la Transparence a réservé les AOD pour la 2e intention, en cas d’INR instable ou de difficultés d’emploi des AVK.

Chez le patient fragile, les AVK gardent pour le moment leur place en première intention, à condition que l’INR soit stable. En effet, l’INR permettra une adaptation individualisée de la dose.

Chez le patient avec FA valvulaire (prothèse valvulaire, rétrécissement mitral), les AOD ne doivent pas être employés.

CHU Timone, Marseille
Pr Pierre Ambrosi

Source : Bilan spécialiste