De notre envoyée spéciale à Pompéi et Herculanum
A Pompei, la Maison du chirurgien, la Maison du médecin et celle du nouveau médecin font partie de celles qu'on ne visite guère. Non qu'elles soient fermées au public, mais parce qu'il y a mieux à voir sur les 40 hectares d'un site archéologique si admirablement conservé.
Alors le visiteur consacre toute son attention à la maison des Vetti, ses peintures mythologiques et son péristyle, à la Maison du faune et son célèbre bassin, à la Villa des mystères et ses fresques initiatiques, à la maison de Ménandre, qui vient de faire l'objet d'une nouvelle restauration, sans oublier le lupanar devant lequel les touristes s'agglutinent même les jours de pluie. Mais qu'ils ne s'y méprennent pas, les énormes phallus qui ornent souvent l'entrée des maisons n'ont d'autre désir que d'attirer sur elles la fécondité et de conjurer le mauvais il.
Esclaves ou étrangers
Face aux splendeurs artistiques, que détaille à loisir notre guide Alix Barbet, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des peintures murales pompéiennes (1er, 2e, 3e et 4e styles), les maisons des médecins paraissent bien modestes, à l'image de la condition sociale de leurs occupants. Au Ier siècle, cette profession est encore récente et la publication du « De Re Medica », de Celse, médecin de l'époque d'Auguste, en l'an 30, vient tout juste de lui reconnaître un certain statut en posant que « la médecine doit être rationnelle ».
Jusqu'à la conquête de la Grèce, les Romains, à l'exception des techniques dentaires apprises des Etrusques, ont vécu sans médecins, se confiant à la médecine théurgique à travers l'intervention des prêtres ou à la médecine magique avec philtres, potions et amulettes. En pratique courante, c'est le pater familias qui applique les règles traditionnelles de l' ars medica, qu'il tient de son père, et ce uniquement pour protéger la santé de la famille. Lorsque le besoin de médecins se fait sentir, le citoyen romain, pour qui toute tâche manuelle est inconcevable, va confier naturellement cette fonction à des esclaves ou à des étrangers.
Des instruments comme ceux d'aujourd'hui
Les médecins pompéiens ont été identifiés comme tels parce que l'on a découvert dans leurs maisons beaucoup d'instruments en bronze ou en alliage de cuivre, qui sont aujourd'hui au Musée archéologique national de Naples. La qualité des instruments frappe l'il moderne, ainsi que leur évidente ressemblance avec des instruments contemporains. C'est le cas des deux spéculums vaginaux munis d'un mécanisme à vis que l'on pourra voir à l'exposition ; ou de l'étui cylindrique, la theca vulneraria, en bronze, découverte dans la Maison du nouveau médecin. Cette trousse de base comporte des petits instruments d'usage courant : des ligulae ou sondes auriculaires, des hamuli, bâtonnets se terminant par un crochet, une spathomèle ou sonde à spatule, des aiguilles. Le médecin exerce parfois son art sur la rue, comme ce laboratoire de la via dell'Abondanza où l'on a retrouvé un crochet pour embryon et un spéculum vaginal.
On sait que les Romains pratiquaient des interventions sur la cataracte, notamment avec une aiguille pointue utilisée pour percer la cornée et atteindre le cristallin. Les collyres étaient nombreux et variés, sous forme de bâtonnets que l'on cassait pour les dissoudre dans du lait ou du blanc d'uf au moment de l'emploi.
Le barbier-chirurgien du Moyen Age est l'héritier direct des Romains. Celse décrit comment, pour extraire une dent, il commence par une syndesmodotomie au scalpel, avant de la mobiliser si besoin par percussion, puis de l'extraire à la main au davier dénommé odontagra.
C'est le traité de Celse, subdivisé en huit livres, qui a permis de connaître avec précision l'usage que l'on faisait de ces instruments. Celse prodigue ses conseils pour l'extraction des calculs de la vessie, la réduction des fractures et de tous les types de hernies, les sutures des plaies avec un fil de lin ou de laine.
L'examen des squelettes
Outre les textes de Pline, qui décrivent de nombreuses maladies, l'examen des squelettes conservés à Pompéi et à Herculanum a révélé les pathologies qui ont laissé des traces sur les tissus osseux. A Pompéi, des os témoignent des lésions traumatiques, des tumeurs osseuses, des syphilis, des spina bifida, des lésions d'ostéoporose et d'un cas de maladie de Paget. Un cas d'éléphantiasis a également été repéré dans les thermes suburbains. Présent à l'exposition, un tibia ressoudé atteste l'utilisation d'une attelle et d'une réduction de la fracture.
Deux mille squelettes ont été exhumés à Pompéi et quelque 250 à Herculanum, dont plusieurs dizaines en 1985-1986 sur la plage. Les études de population ont montré que l'homme mesurait 1,69 m et la femme, 1,54 m. « La population souffrait d'une hypoplasie de l'émail dû à la malnutrition », ajoute Alix Barbet, qui est commissaire scientifique de l'exposition du palais de la Découverte.
Le temps n'est plus où, comme en avait eu l'idée Fiorelli, responsable du site au XIXe siècle, on remplissait de plâtre ou de ciment l'espace laissé par la dissolution des chairs, entre le squelette et le moule de cendre et de laves durcies. Ces empreintes pathétiques présentent l'inconvénient d'emprisonner le squelette qu'on ne peut plus analyser. Depuis l985, on préfère couler dans l'interstice une résine polymère et exécuter un moule dont le squelette sera absent.
Il y a suffisamment de matériel à exploiter et à étudier à la lumière des techniques modernes d'investigation, et pour des années encore. L'étude de l'ADN ancien prélevé sur les éléments osseux commence tout juste. Orientée sur les sciences et les techniques, la nature et la médecine, l'exposition témoigne du travail accompli depuis une dizaine d'années sur les squelettes, sur les jardins avec l'étude des racines et des pollens, et de la relecture de Vitruve, cet ingénieur militaire et architecte du Ier siècle avant J.-C.
« Il faut arrêter de fouiller, martèle Alix Barbet, creuser, c'est un acte primaire et barbare. » Deux siècles et demi après sa découverte, un tiers de la cité engloutie par l'éruption du 24 août 1979 dort encore sous six mètres de lave. Bien à l'abri pour les archéologues de demain, qui auront de nouvelles techniques de fouilles à mettre en uvre.
Pour en savoir plus, chapitre « la Médecine et la Chirurgie », de Antonio Cascino, Marilena Cipollaro et Giovanni Di Bernardo, dans le catalogue de l'exposition.
Pompéi, nature, sciences et techniques
Le palais de la Découverte accueille du 3 avril au 22 juillet, à l'initiative de son directeur Jean Audouze, « Pompéi, nature, sciences et techniques », exposition conçue par le Musée archéologique national de Naples, où elle a été présentée il y a deux ans, sous le titre « Homo faber, natura, scienza et tecnica nell'antica Pompei ».
Adaptée par Alix Barbet, archéologue, commissaire scientifique, et Jean-Michel Lefour, chef de projet, elle s'est enrichie de quelques objets provenant de la Gaule romaine et comblant les vides laissés par les pièces intransportables. Installée sur 1 000 m2, l'exposition se divise en trois sections : la nature et l'utilisation des ressources naturelles, la science, les techniques et la mécanique.
Un programme d'animation est organisé à cette occasion : ateliers autour de thèmes telle la fresque romaine, débats les samedi de 15 heures à 17 heures dans la « taverne de Pompéi » sur des sujets comme « travail et techniques à Pompéi », conférences par des chercheurs italiens les samedis à 15 heures, visite guidée les mercredis après-midi et pendant les vacances scolaires. Le 13 juin, journée de rencontres scientifiques sur « L'avancée des connaissances sur la nature, les sciences et les techniques au temps de Pompéi ».
Avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris, tél 01.56.43.20.20. Du mardi au samedi, de 9 h 30 à 18 h , dimanche et jours fériés, de 10 h à 19 h. Entrée : 37 F, tarif réduit : 24 F, supplément exposition : 20 F.
Citées enfouies
Si Pompéi est la plus connue, les autres cités rayées de la carte par l'éruption de 1979 présentent le charme de leurs villas aristocratiques, résidences balnéaires d'où l'on jouissait d'un beau panorama. Ainsi d'Herculanum, dont une très faible partie a été dégagée (la cité antique est enfouie sous 12 mètres voire, à certains endroits, 21 mètres de sédiments sur lesquels on a construit des immeubles) et de ses thermes avec vue sur la mer, ainsi de Stabies, de Boscoréale et d'Oplontis.
Dans son livre « les Cités enfouies du Vésuve »*, Alix Barbet invite à suivre l'itinéraire de Pline l'Ancien, qui, au soir de la tragique éruption, pour mieux observer la situation, partit du cap Misène et vint mouiller à Stabies où il succomba sur la plage aux épaisses fumées environnantes. Très bel itinéraire illustré de photographies originales de Stéphane Compoint.
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