Prévention de la radicalisation

Organiser la résilience des jeunes

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Publié le 01/06/2017
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L’ONG marseillaise Santé Sud considère la santé sous son aspect global. C’est pourquoi elle a décidé d’orienter son dernier point rencontre sur la « Prévention de la radicalisation des jeunes : expériences croisées entre Tunis et Marseille ».

« Car, explique Nicole Hanssen, responsable de Santé Sud, cette rencontre entre en résonance avec le travail fait sur le terrain pour les jeunes en rupture sociale, là-bas et ici. Et nous avons envie de réfléchir à cette question sensible de comment protéger ces jeunes en situation de vulnérabilité. » Des associations comme Unismed, basé notamment à Marseille et Nice, ont été mandatées par l’État qui, après avoir mis en place des mesures très sécuritaires, a décidé d’impulser une politique de prévention. Unismed intervient aujourd’hui auprès d'une centaine de familles et de jeunes confrontés aux extrémismes violents dans cinq départements mais aussi dans la formation des professionnels chargés de ces questions.

« Il faut rester humble sur le sujet, car il y a une multitude de facteurs qui fait qu’un jeune bascule, explique Alain Ruffion, psychanalyste et directeur d’Unismed. On a affaire à des jeunes en fragilité identitaire et existentielle qui ont le sentiment d’être rejetés par la société. Il y a alors une captation de ces jeunes au travers d’abord d’un processus communautaire, valorisés par un groupe d’amis puis amenés à une implication cultuelle. Les recruteurs jouent sur une appétence pour la religion et leur loyauté vis-à-vis d’elle qui leur impose de s’éloigner de tous (famille, amis) pour aller mieux. Il s’ensuit un travail d’implantation cognitive de nouvelles croyances qui impose une nouvelle lecture de la réalité. »

Entendre la quête de sens

Souvent les jeunes évoquent un vécu discriminatoire et des humiliations répétées, de la part de leurs pairs ou de la société en général. « Il est alors facile pour les recruteurs de "casser" les valeurs de la démocratie et parce qu’il ne peut être question de justice et d’égalité, de proposer de passer par la violence », souligne Alain Ruffion. Tous les acteurs de terrain, en France et en Tunisie, qui accompagnent les jeunes et leurs familles repèrent une quête identitaire et une quête de sens de leur part. « Ils ont souvent au fond d’eux un mal-être, mais aucun adulte n’est présent pour répondre à leurs questions existentielles » et sont des proies faciles pour une offre individualisée et qui utilise la propagande numérique. « Il s’agit d’un Rubik’s Cube à multifacettes qu’il est difficile de prendre par un seul bout, poursuit Alain Ruffion. Faut-il être fou pour être terroriste ? Les études sont à ce sujet très contradictoires. Il est difficile de faire des généralités, les profils sont très éclatés et touchent l’ensemble du spectre de la société. Beaucoup ne présentent pas de pathologies graves. Il s’agit plutôt d’une faille narcissique, d’un déficit de construction d’identité. » Il ajoute : « Se pose aussi la nécessité de trouver une sécurité identitaire car épouser un groupe aux idées arrêtées procure, à court terme, ce sentiment de sécurité ».

Des équipes mobiles

Pour combattre cet embrigadement, des équipes mobiles, avec un ensemble de professionnels, ont été mises en place. Elles tentent de rétablir un lien de confiance avec les jeunes et travailler avec la famille. Mais Unismed propose aussi des formations pour de nombreux acteurs de terrain et organise un réseau « pratico-pratique » avec ses partenaires en Europe du Nord aussi bien que dans le Maghreb. « La déradicalisation passe par un désengagement puis une reconstruction d’une radicalité alternative renouant avec la démocratie, explique Alain Ruffion. Ce qui nécessite un travail collectif mais aussi individuel. Il faut mailler le territoire avec des espaces de débat ouverts où l’on peut accueillir des questions sans jugement et former des gens à travailler la crise et les doutes sur son identité. » Unismed travaille au développement de l’esprit critique, l’éducation aux médias et à la résilience psychologique et sociale des jeunes adolescents. Car la réponse sécuritaire ne règle rien, il faut également se préoccuper d’un accompagnement psychosocial et d’une réinsertion à l’emploi.

De notre correspondante Hélène Foxonet

Source : Le Quotidien du médecin: 9585