L' IMPLICATION de l'agent de l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) dans le nvMCJ s'est faite par étapes. L'agent bovin a d'abord été transmis expérimentalement au macaque, chez lequel il provoque une maladie très proche de la maladie humaine. Des typages de souches de prions chez la souris ont ensuite montré que la période d'incubation et le profil des lésions cérébrales sont à la fois spécifiques et analogues pour les infections provoquées par les agents bovin et humain. Enfin, des souris transgéniques exprimant uniquement la protéine prion bovine, qui se sont révélées hautement sensibles à l'agent humain comme à l'agent bovin, ont permis d'achever la démonstration : l'agent humain est bien l'agent bovin, passé au travers de la barrière d'espèce. Si l'on ajoute à cela que la possibilité de transmission par voie orale de l'agent de l'ESB a été montrée chez des primates, qu'environ un million de vaches contaminées seraient entrées dans la chaîne alimentaire, enfin, que contrairement aux MCJ sporadiques ou iatrogènes, liées à l'hormone de croissance, l'agent du nouveau variant est présent dans certains tissus lymphoïdes, on voit qu'on a tout lieu de s'inquiéter d'un risque iatrogène, beaucoup plus large que le risque anciennement associé à l'hormone de croissance extractive.
Le typage de diverses souches de prions
Pour définir un peu mieux ce risque, des chercheurs du CEA, de l'hôpital Pierre-Wertheimer de Lyon, de l'hôpital de la Salpêtrière, associés à des Britanniques d'Edimbourg, ont typé diverses souches de prions chez la souris et le macaque : nvMCJ d'un malade français, nvMCJ d'un malade britannique, ESB, MCJ sporadique, MCJ iatrogène (hormone de croissance), enfin deux souches de scrapie du mouton, l'une d'origine française, l'autre d'origine américaine. Sans entrer dans le détail des protocoles, on note qu'ils comportaient des passages successifs chez le macaque, ainsi que des voies d'administration I. V. ou intracérébrale.
Similitude entre l'agent bovin et les agents nvMCJ français et britannique
Chez la souris, la similitude des pathologies induites par l'agent bovin et les agents nvMCJ français ou britannique est confirmée. La durée d'incubation et les signes cliniques associés à ces agents sont analogues, et diffèrent de ce que l'on observe avec un agent de MCJ sporadique, iatrogène, ou encore un agent de scrapie.
En ce qui concerne les lésions cérébrales, on remarque que la « signature », provoquée au niveau de l'hippocampe par l'agent de l'ESB chez la souris, est plus marquée lorsque l'agent a préalablement été passé deux fois chez le primate. Cette signature reste bien celle de l'agent de l'ESB : l'agent n'est pas transformé par le passage chez le primate. Simplement, là où l'on observait une certaine hétérogénéité de la sévérité des lésions provoquées par l'agent bovin, on observe, avec l'agent « adapté » chez le primate, une homogénéisation vers les lésions les plus sévères. L'adaptation de l'agent bovin au primate semble donc s'accompagner d'une sélection clonale des souches les plus virulentes.
Cette donnée est en accord avec les durées d'incubation observées chez le macaque. La transmission secondaire de l'agent « initialement » ESB s'accompagne, en effet, d'un raccourcissement de la période d'incubation, qui passe à 18 mois alors qu'elle était de 36 mois lors du premier passage. La pathologie induite chez le macaque par un second passage de l'agent de l'ESB est d'ailleurs très proche de la pathologie induite par l'agent du nvMCJ humain (avec l'agent humain, l'infection primaire du macaque est en fait un second passage chez un primate). On note également qu'en dehors de la durée d'incubation, le nombre de passages n'influence pas la morphologie des plaques et la distribution des dépôts de protéine prion. On reste donc bien dans la notion d'adaptation d'un agent ESB, dont la signature lésionnelle ne change pas.
Deux résultats supplémentaires doivent être mentionnés. Premièrement, aucune différence n'a pu être établie chez le macaque entre les voies de transmission I. V. ou I. C., sinon un léger allongement de la survie de l'animal contaminé par voie I. V. Cette différence semble pouvoir être attribuée au délai d'invasion du SNC par le prion et n'implique nullement des pathologies différentes selon le mode de contamination. Comme, en outre, la signature lésionnelle ne change pas en cas de contamination secondaire, on peut supposer qu'une hypothétique contamination par voie sanguine serait très analogue aux cas primaires observés jusqu'à présent - à la durée d'incubation près - peut-être.
Mode de contamination privilégié chez les jeunes ?
Deuxièmement, le nombre de macaques de tous âges, infectés expérimentalement jusqu'à aujourd'hui, paraît suffisant pour permettre d'affirmer que la maladie, en particulier la distribution des dépôts de prion, n'est pas différente chez un animal jeune ou âgé. La notion est importante. La plupart des cas de nvMCJ chez l'homme ayant été diagnostiqués chez des adolescents ou des adultes jeunes, on s'est posé la question d'un phénotype différent chez les personnes âgées. Auquel cas, l'incidence du nouveau variant pourrait être sous-estimée du fait d'erreurs diagnostiques. Apparemment, l'hypothèse n'est pas vérifiée. Ce constat plutôt rassurant soulève toutefois une question, plutôt inquiétante : celle d'un mode de contamination privilégié chez les jeunes.
Sélection des souches les plus virulentes
Pour le moment, la principale information apportée par l'article en termes de santé publique concerne l'adaptation à l'homme de l'agent de l'ESB. Cette adaptation est progressive et s'accompagne apparemment d'une sélection des souches les plus virulentes. L'agent est par ailleurs transmis par voie périphérique aussi bien que par injection I. C. Là réside, bien entendu, le risque iatrogène et la justification des mesures renforcées arrêtées dernièrement (« le Quotidien » du 19 mars 2001). Si une telle contamination survenait, la maladie pourrait être reconnue comme nouveau variant et distinguée sans ambiguïté des autres formes de MCJ, cliniquement et histologiquement différentes. Le caractère iatrogène ne pourrait cependant être affirmé que sur la base de l'histoire clinique du patient (antécédents chirurgicaux ou transfusionnels).
Le risque iatrogène n'est certes pas avéré pour le moment. Les auteurs concluent néanmoins de la manière suivante : « Considérant les échanges et la consommation de produits potentiellement contaminés par la maladie bovine entre 1980 et 1996, il est évident que de nouveaux cas de nvMCJ peuvent survenir en dehors du Royaume-Uni. Il est par conséquent nécessaire de maintenir une surveillance dans le monde entier, quelle que soit l'incidence locale de l'ESB, et de prendre toutes les précautions capables d'éviter la transmission iatrogène du nouveau variant. »
C. Lasmézas et coll. « Proc Natl Acad Sci USA », 27 mars 2001, vol. 98, n° 7, pp. 4, 142-4, 147.
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