Un entretien avec la directrice centrale du service de santé des armées

Maryline Gygax Généro : « S'adapter aux besoins de nos équipes médicales qui œuvrent sur tous les théâtres d’opérations »

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Publié le 05/07/2018
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Gygax

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LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Depuis le début des années 2000, la France s'est engagée sur des théâtres d'opérations aussi vastes que l'Afghanistan ou le Mali. En quoi cela a-t-il pu changer les pratiques en matière de prise en charge des blessés ?

MARYLINE GYGAX GENERO : Pour chaque opération, le SSA déploie une chaîne médicale complète de prise en charge des blessés, qui commence au plus près du lieu de leur blessure, et se poursuit jusqu'à leur évacuation vers les hôpitaux d’instruction des armées afin de compléter cette prise en charge jusqu’à leur réhabilitation. Toutefois chaque théâtre d’opérations est différent et cela suppose d’adapter le soutien médical.

La zone d’opération en Afghanistan était équivalente à un département alors que l’opération Barkhane s’étend sur une zone de la taille de l’Europe. L’engagement en Afghanistan a conduit le SSA à développer des techniques de sauvetage au combat pour permettre aux soldats de réaliser les gestes qui sauvent dès les premières minutes suivant la blessure.

Les opérations dans la bande sahélo-saharienne ont mis l’accent sur les contraintes liées aux élongations avec des durées d’évacuation doubles par rapport à l’Afghanistan. Le SSA s’est donc adapté en déployant, par exemple, au sein de toutes les unités médicales opérationnelles.

On travaille actuellement sur la mise en place du Prolonged Field Care dont le but est d’optimiser la prise en charge de la coagulopathie dans les hémorragies ou encore sur un nouveau modèle d’antenne chirurgicale plus légère pour gagner en mobilité.

Le SSA entend « privilégier les innovations de terrain », qu'est-ce que cela signifie concrètement ?

L’idée est de favoriser des innovations ayant une application concrète dans la prise en charge des patients et des blessés au quotidien. Le retour d’expérience, systématique et partagé après chaque mission, joue un rôle fondamental pour identifier des pistes d’amélioration. Ce processus « bottom-up » permet de s'adapter aux besoins de nos équipes médicales qui œuvrent sur tous les théâtres d’opérations. L’innovation peut intervenir à tous les niveaux. Il peut s’agir d’innovation en matière de thérapeutique comme avec le PLYO, mis au point par le centre de transfusion sanguine des armées. Le PLYO est un plasma lyophilisé équivalent du plasma frais congelé pour la prise en charge des urgences hémorragiques, sans les contraintes de conservation et de préparation.

L’innovation peut également concerner le matériel, comme avec le développement de nouveaux garrots pneumatiques ou d’un caisson hyperbare de transport (ORACLE). Ces exemples ne sont pas limitatifs et d’autres champs peuvent également être investis : je pense à la formation notamment, avec le développement d’outils de simulation ou l’utilisation de serious games tel que le 3D-SC1 pour l’apprentissage du sauvetage au combat.

Le SSA a entrepris un chantier numérique : le projet AXONE. Qu'en attendez-vous ?

Il s’agit d’un vaste projet de transformation numérique de la composante médecine des Forces qui améliorera considérablement les conditions d’exercice des praticiens du Service comme le service rendu à nos patients. Ce nouveau système d’information sera articulé autour d’un dossier patient dématérialisé qui facilitera les parcours de soins. Il permettra de collecter, pour les militaires, tous les événements de santé survenus depuis leur sélection jusqu’à leur retour à la vie civile, dans une logique de continuum quel que soit le lieu de prise en charge médicale, sur le territoire national ou en opérations.

Conçu pour être interopérable avec différents systèmes ministériels, Axone permettra d’échanger des données médicales, de façon sécurisée. Axone met également en place un ensemble de services numériques tels que la prise de rendez-vous en ligne ou l’accès aux documents médicaux, des fonctionnalités de télémédecine et la mise en œuvre de la messagerie nationale sécurisée de santé. Il sera notamment possible de réaliser des actes de consultation ou de télé expertise, entre antennes médicales, entre antennes médicales et Hôpitaux d’Instruction des armées, et enfin entre antennes médicales et partenaires civils de santé publique.

Le SSA est confronté à certaines problématiques de recrutement, est-ce que vous parvenez à attirer tous les candidats dont vous avez besoin ? Quels sont les moyens que vous mettez en œuvre pour améliorer le recrutement ?

Certaines spécialités sont indispensables au Service : les médecins généralistes, les chirurgiens et les anesthésistes réanimateurs. La principale modalité de recrutement des médecins est un recrutement par concours au niveau baccalauréat. Offrant aux élèves de l'École de Santé des Armées (ESA) de Lyon-Bron la possibilité de suivre des études médicales et militaires tout en étant rétribués, ce concours attire chaque année plus de 1 000 candidats pour 150 places environ.

Cependant, il faut 10 ans environ pour disposer de médecins formés et le SSA utilise désormais d’autres modalités de recrutement pour davantage de souplesse. Il est ainsi possible de rejoindre le SSA en cours d’études ou une fois diplômé. En ce moment, le SSA a pour objectif de recruter chaque année plus de cinquante jeunes médecins généralistes contractuels qui peuvent ainsi vivre, pendant quelques années, une expérience intense en milieu militaire et donner un autre sens à leur pratique.

La notion d’engagement au service de la nation est particulièrement présente, notamment chez les 3 000 réservistes que nous comptons dans nos rangs : ces personnels soignants venus du civil, qui sont formés à travailler comme médecins militaires sur le territoire national voire en opérations extérieures, en moyenne une trentaine de jours par an, sont des atouts précieux pour participer à nos missions à nos côtés et nous sommes toujours très fiers de les accueillir.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9679