«C ELA aurait-il un sens d'étudier la mauvaise herbe Arabidopsis thaliana pour comprendre la conscience humaine ? Et que dire des tentatives pour comprendre le vieillissement humain en étudiant un champignon ? (...) Utiliser une levure (Saccharomyces cerevisiae) pour étudier le déterminisme génétique du vieillissement - et, par conséquent, la longévité - semble optimiste à l'absurde.La levure vieillissante n'a pas les cheveux blancs, n'a pas la vue qui baisse, ne se plaint pas de la jeunesse, n'a pas d'AVC. En fait, on ne sait même pas si elle vieillit, et quand les chercheurs parlent de l'espérance de vie de la levure, ce qu'ils entendent est le nombre de fois qu'une mère levure peut se reproduire. » Celui qui s'exprime ainsi aujourd'hui dans « Nature » est David Gems (Londres).
On sait, rappelle David Gems, que des mutations dans plusieurs gènes peuvent accroître l'espérance de vie de la levure. « C'est peut-être une bonne nouvelle pour ce champignon unicellulaire, mais cela signifie-t-il quelque chose pour des créatures multicellulaires comme nous-mêmes ? La réponse pourrait être "oui". » Il faut dire que David Gems a la charge de commenter une étude publiée par les Américains Heidi Tissenbaum et Leonard Guarente, et que cette étude révèle que le gène sir-2.1, parent d'un gène qui contrôle la longévité de la levure, contrôle également la longévité d'un animal, le petit ver nématode Caenorhabditis elegans. « Après plus d'une décennie à se demander si l'étude de S. cerevisiae pourrait nous apprendre quelques chose sur le mécanisme général du vieillissement, cela a payé », estime Gems.
Insuline et IGF-1
Chez C. elegans, S. cerevisiae, la drosophile (D. melanogaster) et même la souris, il existe des gènes qui, lorsqu'ils sont mutés, accroissent la longévité. Dans de nombreux cas, les protéines codées par ces gènes ont des équivalents chez des animaux supérieurs. Par exemple, l'espérance de vie de C. elegans peut être triplée si l'on réduit l'activité d'un signal qui correspond à l'insuline ou à l'IGF-1 chez les mammifères.
« Mais, bien sûr, ce que nous souhaitons savoir est si de tels gènes contrôlent le vieillissement (et donc la longévité) chez tous les animaux. Autrement dit, la biologie du vieillissement est-elle conservée à travers l'évolution ? Clairement, la plupart des animaux vieillissent et meurent (bien qu'il puisse exister des exceptions comme Hydra ). » Mais, poursuit David Gems, cela ne signifie pas nécessairement que le vieillissement suit le même processus dans toutes les espèces.
Le privé et le public
« Le gérontologue George Martin a établi une distinction entre le vieillissement "privé", unique pour une espèce ou un groupe d'animaux, et le vieillissement "public", comme le stress oxydatif de l'ADN qui peut être commun à toutes les espèces. Pour savoir si un gène donné, identifié comme déterminant la longévité dans une espèce, touche les mécanismes privés ou publics, on peut voir si son équivalent dans une espèce très différente a des fonctions similaires. C'est ce qu'ont fait Tissenbaum et Guarente avec le gène sir-2.1. »
Chez la levure, le gène sir-2 agit à deux niveaux. Premièrement, il altère la structure de la chromatine (complexe d'ADN, ARN et protéines). Expérimentalement, l'hyperexpression de sir-2 induit la formation d'anneaux extrachromosomiques d'ADN et allonge la vie. L'accumulation de ces anneaux n'ayant pas été observée dans des organismes supérieurs, on peut penser qu'il s'agit là d'un mécanisme « privé ». Deuxièmement, ce même gène agit par un mécanisme « public », à savoir par le biais d'une restriction alimentaire ; « public », car ce phénomène est observé dans de nombreuses espèces animales, y compris, peut-être, les primates. Il était donc légitime de voir si les homologues de sir-2 sont impliqués dans l'espérance de vie d'autres animaux. C'est dans ce contexte que Tissenbaum et Guarente montrent que, chez le ver C. elegans, une hyperexpression de sir-2.1 accroît l'espérance de vie de 50 %.
La restriction calorique
Il fallait ensuite voir si sir-2.1 de C. elegans agit sur une voie associée à la longévité chez C. elegans, à savoir l'insuline et l'IGF-1. Cette voie implique de nombreux gènes, dont daf-2, age-1 et pkd-1. Ces gènes, peut-être en réponse à la présence de nourriture, inhibent le gène daf-16 qui code un facteur de transcription. A l'opposé, des mutations de daf-2, age-1 et pkd-1 activent daf-16 et accroissent l'espérance de vie ; des mutations de daf-16 bloquent cet allongement de la vie. Sans entrer dans les détails, les auteurs estiment que, en réponse à une restriction calorique, sir-2.1 agit sur daf-16, dans la voie insuline/IGF-1.
Bien entendu, il reste à montrer que sir-2.1 est impliqué dans les modifications de la chromatine chez le ver et à vérifier le problème suivant : un travail antérieur chez C. elegans a suggéré que la restriction calorique et le signal insuline/IGF-1 sont indépendants.
« Il semble que quelques déterminants génétiques de la longévité et du vieillissement sont conservés à travers les groupes d'animaux - un fait qui va encourager ceux qui étudient le vieillissement sur des organismes modèles », conclut David Gems.
« Nature » du 6 mars 2001, pp. 227-230 et 154-155.
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