Libérer Papon ?

Publié le 16/01/2001
Article réservé aux abonnés
1276288043Img19006.jpg

1276288043Img19006.jpg

L A libération de Maurice Papon n'est devenue concevable qu'après l'intervention de Robert Badinter. Les avocats du condamné avaient deux fois demandé la grâce présidentielle qui, par deux fois, avait été refusée.

En désespoir de cause, ils ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme, en invoquant un « traitement inhumain et dégradant ». Ils ne s'attendaient pas que l'affaire rebondît, à la faveur d'un discours de Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel, ancien ministre de la Justice et artisan de l'abolition de la peine de mort en France. M. Badinter est la conscience judiciaire du pays, il est unanimement respecté, à droite comme à gauche, il est juif et sa famille n'a pas été épargnée par les exactions nazies. « On dit crime contre l'humanité, a-t-il déclaré, je dirai qu'il y a un moment où l'humanité doit prévaloir sur le crime. »
Jusqu'à cette déclaration, aucun argument ne militait en faveur de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux. S'il s'est retrouvé en prison à 90 ans, c'est parce que la justice a mis près de vingt ans à instruire les plaintes déposées par les familles des victimes ; interrogé par les médias, puis par les juges, il n'a jamais exprimé aucun regret ; pire, alors que sa détention devenait inévitable, il a tenté de se soustraire à la justice en gagnant la Suisse où il fut arrêté. Il n'a jamais cru à la justice française, il n'a jamais pensé qu'il méritait les poursuites dont il faisait l'objet, il n'a jamais consenti à établir le moindre lien entre les fonctions qu'il occupait en 1942 et les mesures de déportation qu'il a pourtant signées de sa main. Aussi bien les propos de M. Badinter ont-ils été vivement critiqués, par Serge Klarsfeld, Michel Slitinsky (membre d'une des familles déportées) et beaucoup d'autres.
En s'exprimant avec son humanisme coutumier, M. Badinter a semé la confusion dans la mesure où des lignes de clivage sont apparues au sein de la gauche et de la droite. Le journaliste et historien Jean Lacouture a approuvé l'ancien président du Conseil constitutionnel, alors que divers élus de gauche s'opposaient à lui. Les gaullistes se sont montrés relativement plus discrets, mais on connaît la position de la plupart d'entre eux, depuis Philippe Séguin, qui a publié dans « le Monde » un article intitulé « Assez ! » dans lequel il se prononçait contre une chasse aux sorcières passéiste, jusqu'à ces vieux résistants, comme Maurice Druon, qui ont témoigné pour Maurice Papon pendant son procès.
Le président de la République n'a pas voulu grâcier Maurice Papon parce que son dossier était brûlant. M. Badinter lui a donc offert une porte de sortie et Jacques Chirac est désormains en mesure de prendre une décision de type « humanitaire ». Nul doute qu'une large partie de l'opinion, moins sensible aux crimes d'il y a soixante ans qu'au sort d'un nonagénaire, est de l'avis que la prolongation de la détention de Papon relève de l'acharnement judiciaire.
Même si on n'est pas de l'avis de M. Badinter, même si on pense que seules les victimes pourraient pardonner à Papon, même si on est confondu par le refus du condamné de reconnaître ses responsabilités, on pourrait être conduit à penser que la justice a fait son œuvre et que, libre ou non, Papon aura de toute façon une fin de vie misérable.
Cependant, son cas personnel rejoint le débat sur la sécurité. Si, pour des raisons humanitaires, il convenait d'abolir la peine de mort en France, faut-il aussi, pour des raisons similaires, abolir la détention ? Il est évident que Maurice Papon n'a pas subi, en prison, un traitement « inhumain », mais celui que subissent tous les détenus. La répression de la criminalité par la détention, et par la détention seule, n'est pas dégradante pour la société qui y recourt. Et l'âge du criminel n'a rien à voir avec le châtiment qu'il subit. Pétain lui-même est mort en prison. Peut-être a-t-on ouvert trop tôt le débat sur la remise en liberté de Papon.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6836