LA SANTE EN LIBRAIRIE
E N faisant entrer la génétique dans sa collection « Sans aspirine », à la suite des math notamment, les Editions Flammarion semblent confirmer la difficulté de l'entreprise qui consiste, pour le commun des mortels, à saisir les subtilités de cette discipline. Les efforts conjoints d'un professeur de génétique à l'University College de Londres, Steve Jones, et d'un illustrateur qui est aussi un artiste surréaliste, Borin Van Loon, devraient cependant venir à bout de bien des résistances cognitives.
Les choses commencent simplement, par un texte réparti sur deux pages : « La génétique, ça traite des différences... Ça traite aussi des similitudes : entre parents, vivants ou morts », tandis que le dessinateur illustre les différences en s'aidant d'une baleine au milieu d'humains, et les similitudes avec les portraits de trois représentants - dont deux disparus - de la famille royale d'Angleterre. Les dessins, de styles variés, assortis de bulles et de légendes pleines de signification et d'humour, continueront de tenir une place importante dans ce petit livre : non seulement en occupant deux bons tiers de l'espace, non seulement en faisant rire ou sourire le lecteur, mais aussi parfois en portant des messages bien utiles pour suivre plus aisément les arcanes de la génétique.
Personnages et notions
Le professeur de génétique ne se repose pourtant pas seulement sur le dessinateur pour éviter l'ennui au lecteur. C'est dans un style allègre qu'il dispense la bonne parole scientifique ; par ailleurs, le choix d'une présentation historique de sa discipline rend son propos très vivant. Les personnages qui ont créé et développé la science génétique, séduisants, peu sympathiques, originaux, sont en effet rarement ennuyeux. En outre, le lecteur peut progresser dans son appréhension de la génétique de la façon la plus naturelle qui soit, parallèlement aux chercheurs eux-mêmes. De Jenkin à Galton, de Mendel à Morgan, d'Avery à Rosalind Franklin, de Watson et Crick à Jacob et Monod, se découvrent progressivement les notions d'hérédité, de dominance et de récessivité, d'eugénisme, de mutations, de chromosomes, de liaisons géniques, d'acides nucléiques, de double hélice, de code génétique.
Il est alors temps de « récapituler » en quatre pages les notions de base concernant la vie d'une cellule et sa reproduction, avant d'en venir aux plus récentes recherches. Celles-ci ont débouché sur une cartographie plus vite achevée que prévu sans doute, sur une connaissance de plus en plus approfondie des maladies génétiques ou à composante génétique, comme le montrent les auteurs, mais aussi sur de nouvelles interrogations qu'ils n'éludent pas. Que faire par exemple de la singulière « quantité d'ADN sans signification » ? Comment interpréter l'empreinte génétique, modalité personnalisée de répétitions de morceaux d'ADN ? Jusqu'où le renversement du « dogme central » de la génétique, selon lequel il ne pouvait y avoir passage que de l'ADN vers l'ARN et non l'inverse, mènera-t-il les chercheurs ?
Bien sûr, les auteurs s'intéressent aux thérapeutiques, et en particulier aux multiples thérapies géniques imaginables à ce jour, aux rares thérapies géniques à l'essai actuellement.
Mais c'est sur les questions d'éthique que se ferme l'ouvrage. Elles ne datent pas d'hier, comme en ont déjà témoigné, dans les premières pages du livre, Galton et ses héritiers plutôt racistes, voire eugénistes, ou Lyssenko, ennemi des gènes et des généticiens pour la gloire de Staline et l'anéantissement de la génétique et de l'agriculture soviétique. Discriminations en tout genre, recherche de l'impossible enfant parfait, retard des débouchés thérapeutiques par rapport aux connaissances acquises sont les inquiétudes du jour. Faut-il retenir, avec le dessinateur, que « le genre humain porte en lui les germes de sa propre destruction », ou avec le professeur de génétique que « l'histoire de la génétique nous enseigne l'humilité » ?
Les biotechnologies
Le contenu du livre de Martin Brookes, docteur en zoologie, britannique lui aussi, se rapproche de celui du livre précédent. On trouve aussi toutes les bases de la génétique, l'essentiel des connaissances acquises sur les gènes, les maladies génétiques, les espoirs thérapeutiques, les préoccupations éthiques... Le zoologue s'étend davantage sur les biotechnologies, et en particulier sur les aliments transgéniques, dont il présente les avantages et les risques, écologiques surtout à son sens, ainsi que sur le clonage et son avenir. De même, il évoque l'utilisation de l'ADN par le monde judiciaire, en soulignant les limites de la méthode, ainsi que les nouveaux éclairages offerts par la génétique à des disciplines comme la taxonomie ou la géographie humaine.
Si Martin Brookes recourt, comme l'a fait Steve Jones, aux apports du dessin, informatif tout autant que distrayant, il lui laisse pourtant moins de place. Par ailleurs, le papier brun, type recyclé, choisi par l'éditeur, est certes original ; il n'est pas sûr qu'il facilite la lecture de l'ouvrage.
Mais le second livre diffère surtout du premier par la présentation, plus systématiquement didactique. Chaque double page est centrée sur une idée, exposée en trois ou quatre paragraphes complétés de petits encadrés plus anecdotiques, de définitions, de présentations sommaires de personnages importants pour la génétique. L'espoir semble l'emporter pour finir sur les interrogations, l'avant-dernier paragraphe s'inquiétant d'un possible « retour de l'eugénisme », le dernier admirant cette nouvelle boule de cristal de la génétique, qui permet non seulement de sortir de millénaires d'incertitude concernant notre destin, « mais aussi de l'infléchir ».
« La Génétique sans aspirine », Steve Jones, Borin Van Loon, Flammarion, 89 F, 175 pages, 89 F (13,57 euros).
« Tout ce que vous vouliez savoir sur la génétique », Martin Brookes, Le Pré aux Clercs, 119F, 191 pages, 119 F (18,14 euros).
Et aussi
Hymne à la génétique, « troisième révolution médicale », discipline « au service de la santé », ce tout petit livre parle davantage des espoirs nés des récentes acquisitions de la génétique qu'il n'explique vraiment les bases de la discipline.
«La Médecine de demain : le gène apprivoisé », Olivier Révélant, Les Essentiels Milan, 63 pages, 25 F (3,81 euros).
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