C 'EST l'histoire d'une réforme utile qui tarde à se concrétiser. Le 29 décembre 1999, il y a donc plus d'un an, le « Journal officiel » publiait le fameux décret relatif à l'évaluation individuelle et collective des pratiques professionnelles des médecins libéraux. Une évaluation qui, apprenait-on alors, serait uniquement fondée sur le volontariat, non assortie de sanctions et pilotée localement par les sections (généralistes ou spécialistes) des unions régionales de médecins libéraux, donc par la profession elle-même.
Un an plus tard, on n'en sait guère plus sur ce vaste chantier qui, lorsque ses grandes lignes furent connues, avait été accueilli par la profession sans enthousiasme mais sans hostilité, dans la mesure où l'essentiel semblait préservé. Comme ils le demandaient, les médecins libéraux seraient en effet jugés exclusivement par leurs pairs (des confrères habilités par l'ANAES), à leur demande, et sans menace disciplinaire (le conseil départemental de l'Ordre étant toutefois informé si des faits ou manquements « mettant en jeu la sécurité des patients » sont constatés et non rectifiés).
Certes, les élections aux unions régionales de médecins libéraux ont considérablement ralenti l'élaboration de ce dispositif, les sections des unions étant maîtresses d'uvre de cette évaluation. Mais, après une année 2000 « blanche », en tout cas sans aucun effet d'annonce, les médecins s'interrogent sur les raisons de la (longue) durée de la phase préparatoire. Le Dr Michel Chassang, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), confirme parfaitement cette méfiance. « Il y a aujourd'hui un fort climat de suspicion chez les généralistes car, pour l'instant, on reste dans la confusion des genres. S'il s'agit d'assimiler l'évaluation au contrôle ou à la sanction, on a tout faux. Pourquoi, à ce propos, fournir une attestation aux médecins évalués (comme le prévoit effectivement le décret) ? Il ne s'agit pas de désigner les bons et les mauvais, mais d'aider à améliorer les pratiques. Croyez-vous qu'un médecin qui a conscience de frauder prendra le risque de se faire évaluer? »
Chargé du dossier de l'évaluation des pratiques au sein de l'ANAES, et généraliste lui-même, le Dr Michel Doumenc se veut rassurant aussi bien sur le calendrier que sur l'esprit « très positif » du dispositif d'évaluation. « Il n'y a pas de retard car il faut construire un système nouveau valable pour l'ensemble des médecins libéraux et toutes les spécialités. L'ANAES travaille de concert avec les unions et les choses avancent. Nous envisageons désormais une montée en charge progressive de l'évaluation dans deux ou trois régions, avec quelques médecins. Il faut que la profession comprenne que c'est un service qui lui est offert. C'est exactement comme sur l'autoroute, lorsqu'on voit un panneau indiquant une station de gonflage gratuite : chacun peut y aller ou pas, mais une fois qu'on y va, il faut être sûr qu'il n'y a ni péage ni piège. »
Selon certaines sources syndicales, l'évaluation collective des pratiques (sous la forme de groupes de pairs d'une quinzaine de médecins confrontant leur activité sur un point précis) précédera l'évaluation individuelle au lieu d'exercice afin de ne pas brusquer les choses.
Bientôt des manuels d'autoévaluation
Pour l'instant hélas, même si les candidats officieux sont nombreux, aucun médecin évaluateur n'a encore été officiellement habilité ni a fortiori formé à l'évaluation, deux missions que la réglementation a confié à l'ANAES. Or ces médecins habilités pour cinq ans constituent la pierre angulaire du système puisque ce sont eux qui, dans chaque région, à l'appel des sections des unions, conduiront concrètement le cycle complet d'évaluation (consultation de dossiers médicaux rendus anonymes, visites au cabinet du médecin dans le cas d'une évaluation individuelle, phase contradictoire, formulation de recommandations ou de réserves, information de la section concernée). Le recrutement et la formation de ce corps de médecins évaluateurs devrait prendre plusieurs semaines, voire des mois.
Si le consensus sur les critères habilitant des médecins à juger la pratique de leurs confrères tarde à se dégager, la mise au point des outils méthodologiques de l'évaluation dans le secteur ambulatoire (autre tâche qui incombe à l'ANAES) a progressé. Prévus dans le décret, les guides d'évaluation professionnelle, qui permettront aux médecins libéraux volontaires d'autoévaluer leur pratique médicale (première phase de la démarche), sont quasiment finalisés. « Un médecin qui se pose des questions précises sur son exercice trouvera là une première réponse », indique-t-on à l'ANAES. Quant aux recommandations et référentiels de (bonne) pratique, qui constitueront demain le socle scientifique de l'évaluation, leur élaboration avance également. Une dizaine de grandes recommandations ont déjà été explorées par l'ANAES (exemple : « La prise en charge du diabète de type 2 » fait 52 pages), chaque recommandation donnant lieu ensuite à plusieurs référentiels de pratique...
Quoi qu'il en soit, le dispositif d'évaluation sera jugé sur pièce. Il pourrait être un outil essentiel dans l'amélioration de l'exercice en ambulatoire, au même titre que la formation médicale continue. Encore faut-il que la profession adhère massivement à un système qui tarde à être clarifié et, à cet égard, le temps qui passe n'est pas le meilleur allié.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature