LA SANTE EN LIBRAIRIE
L E livre de Muriel Bonnet del Valle se veut d'abord livre sur la naissance à travers les peuples, comme le suggèrent titre et sous-titre. Mais il tient aussi au moins autant de l'autobiographie, à peine romancée, et du récit de voyage, que du documentaire ethno-médical. En fait, c'est le sentiment de devoir transmettre, qui l'a menée, vers la cinquantaine, à conter son histoire, intimement liée à celle de ses voyages.
Le lecteur suivra donc les amours difficiles de la conteuse avec Juan, de la rue Mouffetard en Casamance et de Montreuil au Brésil. Il admirera la faculté d'adaptation du petit Martin, fruit de ces amours, né sous péridurale : encore ftus, il servira de sésame à sa mère pour aborder les femmes et les sage-femmes africaines qui valorisent tant la grossesse. « Immergé dans la forêt du Yucatan, Martin s'épanouit chaque jour de plus en plus », tandis que sa mère découvre, en compagnie de dona Remigia, la consultation et l'accouchement mayas d'aujourd'hui, entre traditions ancestrales et prières catholiques. Un peu plus tard, il « s'habitue facilement à la vie de l'ashram » indien qui va servir de point de départ à une étude de la grossesse selon la tradition védique. Et s'il aspire à quitter rapidement la maison plutôt misérable d'une sage-femme indienne pour retrouver son père et le confort « d'un pays civilisé », le petit garçon reste « un compagnon de voyage merveilleux » au Brésil, où la narratrice découvrira une maternité qui fait tout pour protéger les femmes de « l'agression de la civilisation ». L'enfant ne sera d'ailleurs remplacé comme compagnon de voyage que par le nouvel amour de sa mère : Auguste dira à Marthe - puisque c'est le nom que s'est donné l'auteur dans le livre - le sens de la couvade, et leur enfant naîtra dans l'eau au milieu des dauphins - c'est peut-être ici qu'intervient un brin de fiction.
Croyances et rituels
A côté des principaux protagonistes de ces aventures lointaines, se meuvent des quantités de personnages point si secondaires qu'il y paraît puisque c'est eux, mères, sage-femmes ou médecins, pères, conteurs, traducteurs, journalistes ou cinéastes, qui vont dire les croyances, les mythes, les rituels, montrer les pratiques spécifiques de chaque culture. On apprend ainsi grâce à Moussa que le ftus, en pays dogon, « a besoin d'humidité et c'est la mélodie des parents qui la lui assure », et on prend le thé rue Lepic avec Frédéric Leboyer dont l'auteur boit les paroles. On s'inquiète avec Ilaria, femme maya, de la fragilité de l'homme blanc, dont le placenta a été volé par les laboratoires cosmétiques ou pharmaceutiques et on écoute avec un brin d'étonnement Salomé, sage-femme française uvrant à domicile... S'étonnera-t-on aussi que l'auteur soutienne le projet de maisons de naissance cher à Salomé, où les enfants naîtraient « comme à la maison » ?
Des expériences contrastées
Le plus surprenant chez Christophe Massin n'est sans doute pas qu'un homme, ou qu'un psychiatre et psychothérapeute, s'intéresse à la période qui entoure la naissance. Il avait déjà manifesté un tel intérêt dans un premier ouvrage qui envisageait les répercussions de la période périnatale sur la vie de l'adulte. La surprise ne vient pas tant non plus de l'évocation de ses « expériences si contrastées » de père de quatre enfants, dont un disparu à l'âge d'un an : ce sont pourtant ces expériences qui l'ont sensibilisé plus particulièrement au discours des parents qui « se confiaient » à lui. Le reste de l'introduction frappe sans doute par son ton mesuré, mais établit des constats qui restent relativement familiers : limites des livres et articles, abondants et plutôt optimistes, sur la procréation et le bébé, isolement et solitude de trop de jeunes mères d'aujourd'hui, contraste entre la sécurité de la naissance assurée par la technologie et les angoisses des mères, entre la déresponsabilisation des parents et leurs exigences vis-à-vis du monde médical, risques de perte de la dimension humaine dans les grandes maternités...
Le mode de rédaction du livre, soutenu par une mise en page aérée et limpide, n'est pas complètement nouveau : l'auteur a regroupé par thèmes des segments de témoignages recueillis auprès de « cinquante personnes, d'âge et d'origine sociale variés, et représentatifs de la société française contemporaine ». Les morceaux de vies ainsi saisis, heureux ou malheureux, souvent difficiles, révèlent l'extraordinaire variété des attitudes vis-à-vis de la décision de procréer, puis tout au long de la grossesse comme lors de l'accouchement et dans les premiers jours qui suivent la naissance, attitudes que l'auteur se garde d'ailleurs bien de juger. Bien sûr, émergent au fur et à mesure des récits et des commentaires, des thèmes de réflexion plus généraux, tel le désir d'enfant, le moment de l'avènement de la conscience humaine, les apports et les limites de l'échographie ou le choix du mode d'accouchement.
Le savoir des mères
Si surprise il doit y avoir, elle pourrait peut-être venir de l'équilibre que parvient à maintenir l'auteur entre des logiques que nos sociétés ont tendance à opposer : ainsi Christophe Massin accueille-t-il volontiers les récits de mères ou de pères qui disent avoir ressenti « le moment de la conception » ou la confiance de leur nouveau-né à leur égard, comme celui de femmes terrorisées par l'accouchement, bref, toutes sortes de discours volontiers considérés comme irrationnels dans notre monde médicalisé. Mais il note aussi qu'aucune preuve ne peut venir confirmer ou infirmer de tels récits et que les craintes des femmes, infondées sans doute dans le contexte médical, doivent être prises en compte par le monde médical. Il s'interroge longuement avec ses témoins sur les places respectives que peuvent prendre la famille et l'équipe médicale et prend tout son temps pour poser les bases de cette relation de confiance, de ce partenariat, qui semblent indispensables à la sécurité physique et psychique de l'enfant et de ses parents. S'il veut réhabiliter le savoir des mères, ce n'est pas aux dépens des apports de la science et de la technologie, et donner aux émotions la place qu'elles méritent ne lui paraît pas imposer de chasser les professionnels du lieu. Enfin, si le tableau qu'il dresse finalement du « couple créateur », pleinement responsable de ses choix, et des parents créés par leur enfant, apparaît quelque peu idéal, le psychiatre reste « bien conscient » que ses conseils « peuvent se révéler plus difficiles à mettre en pratique qu'il n'y paraît » et que l'action qui peut permettre de faire de chaque naissance un accomplissement, initiée sans doute par les parents, dépend aussi « des décrets et lois qui encadrent le suivi périnatal ».
« La Naissance, un voyage », Muriel Bonnet del Valle, éditions Vergôloises (Vergol, 26570 Montbrun-les-Bains), diffusion L'Harmattan, 145 F (22 euros).
« Vous qui donnez la vie », Dr Christophe Massin, Flammarion/ Aubier, 319 pages, 138 F (21,04 euros).
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