INDIGNATION du Conseil national de l’Ordre et des syndicats de médecins. Un accord annuel sur la stratégie de gestion du risque, signé entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins-conseils l’été dernier, comporte un volet intitulé « accord d’intéressement des praticiens conseils du régime général d’assurance-maladie pour 2010 ». Comptant une trentaine de pages, ce texte, dont « le Quotidien » a pu consulter un exemplaire, décline les conditions qui doivent permettre aux médecins de l’assurance-maladie de recevoir un intéressement évalué à environ 2 à 2,5 % de leur salaire annuel.
Dans le détail, chaque action menée par les praticiens-conseils permet que leur soient attribués des « points » correspondant à une fraction de cette rémunération complémentaire. Au chapitre « régulation », l’accord se fait précis. La maîtrise du poste indemnités journalières (IJ) permet notamment l’attribution de ces fameux points, subdivisée selon les items suivants : évolution des dépenses d’IJ, évolution du nombre d’IJ, contrôle des arrêts de travail de plus de 45 jours, contrôle des arrêts de travail de courte durée. L’attribution de points existe aussi pour les items suivants : évolution des dépenses de transport, évolution des dépenses de statines, d’IEC et de sartans, de kinésithérapie, etc. Un objectif de pénalités financières est même fixé à 900 millions d’euros pour l’année 2010 dans le cadre du Plan national de lutte contre la fraude (PNLF), avec un « socle de performance » (seuil à partir duquel une partie de la prime pourra être versée) fixé à 700 millions d’euros.
Des objectifs collectifs.
Pour le Dr Jean-François Gomez, président du Syndicat général des praticiens conseils (SGPC, affilié à la CGC), majoritaire à l’assurance-maladie, le principe de ce complément de rémunération existe depuis 2007. Selon lui, cet accord ne porte nullement atteinte à l’indépendance décisionnelle des médecins-conseils « dans la mesure où il est spécifié dans son préambule qu’il s’agit d’objectifs collectifs, et non individuels. Il n’y aura jamais d’évaluation a posteriori des résultats individuels ». Pour le Dr Gomez, jamais son syndicat n’aurait signé un accord qui fixerait des « quotas » individuels. Alain Gomez revient sur le chapitre des IJ, qui cristallise l’opposition du CNOM. « La baisse du nombre d’IJ est une stratégie d’entreprise comme une autre, juge-t-il. Il est demandé aux médecins-conseils de procéder à un certain nombre de contrôles, pas d’en faire baisser le nombre ou le montant ». Quid des items « évolution des dépenses d’IJ et du nombre d’IJ » ? Alain Gomez répète qu’il s’agit là d’objectifs collectifs et non individuels. « Nous avons des objectifs de moyens et non de résultats, assène-t-il, cela n’influence pas notre pratique quotidienne. »
« Un pousse-au-crime ».
À l’Ordre des médecins, on a une appréciation différente sur ce contrat d’intéressement, « qui peut jeter le trouble parmi les salariés sur l’indépendance des médecins-conseils dans l’appréciation médicale des arrêts de travail qu’ils reçoivent, tout comme dans leurs conclusions à propos des suites données aux contrôles patronaux ». Pour l’Ordre, il en va de même pour les objectifs d’évolution des prescriptions médicales (statines, sartans, etc.) : « La déontologie médicale limite les prescriptions et les actes des médecins à de qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Ce cadre justifie l’activité des médecins-conseils sans qu’il soit besoin de lui associer une rémunération particulière », conclut l’Ordre, qui se dit malgré tout « totalement confiant » dans la capacité des médecins-conseils à résister « aux pressions de leur employeur ».
Même trouble chez les syndicats médicaux. La Fédération des médecins de France (FMF) dénonce « l’orientation résolument comptable de la gestion de l’Assurance-maladie », et craint que l’indépendance du contrôle médical opéré par les médecins-conseils ne soit « bafouée », altérant en conséquence « les relations confraternelles entre médecins contrôleurs et médecins contrôlés ». La FMF regrette « les interférences de plus en plus pressantes de l’assurance-maladie pour des motifs purement économiques dans les décisions thérapeutiques des médecins ». À MG-France, le Dr Claude Leicher dénonce un accord « scandaleux, qui signifie que les médecins libéraux vont subir encore plus de pressions des médecins-conseils ». Le président de MG-France suggère donc que « les médecins-conseils prennent leurs responsabilités et prescrivent eux-mêmes les arrêts de travail, pour les obliger à avoir les patients en face d’eux ». Enfin, à la Confédération des syndicats médicaux (CSMF), le Dr Michel Chassang juge que cet accord est « un pousse-au-crime ». Pour lui, cela va inciter les médecins-conseils à « faire de l’abattage, c’est la porte ouverte au renforcement des pressions et des contrôles que subissent les médecins ».
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